EDITORIAL – Version française

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Le « Printemps arabe » s’est dissipé comme il en va des rêves un peu absurdes…

Il s’est très rapidement évanoui dans les mémoires médiatiques et semble avoir été refoulé dans l’oubli, comme un songe dont on ne se souvient plus ni des détails, ni du dénouement ; un terrifiant cauchemar, dont les mass-médias ont détourné le regard, comme pour conjurer la réalité qui dément aujourd’hui tous leurs prêches euphoriques de jadis.

C’est là, trop souvent, la règle, hélas, dans les rédactions : toujours dire tout comme tout le monde, pour être bien certain de ne jamais se tromper tout seul… et ne jamais revenir sur les erreurs commises : il ne faut pas « désorienter » le lecteur, crédule, qui ne comprendrait pas que la feuille de chou qu’il tient entre ses doigts ne lui dit pas (toujours) la vérité.

Ainsi, la Tunisie s’enfonce lentement dans la terreur d’un djihadisme sournois, qui sait comment, très facilement, mettre à genoux ce petit pays dont 7 à 10% du PIB reposent sur le secteur du tourisme, qui lui-même fait travailler les nombreux secteurs associés ; soit près d’un demi-million d’emplois (près de 15% de la population active). Les deux grands coups, magistraux, qui ont frappé l’un à la suite de l’autre des lieux éminemment symboliques du tourisme –le prestigieux Musée du Bardo, le 18 mars 2015 ; et une des plus belles plages du pays, près de Sousse, le 26 juin 2015- ont suffi à réduire à néant les efforts titanesques que les entreprises tunisiennes avaient mis en œuvre pour ramener en Tunisie les charters de consommateurs étrangers : les prix cassés, les salaires réduits de personnels surexploités, plus encore qu’à l’époque de la dictature de Ben Ali, pour la joie des vacanciers de masse, les spots publicitaires affichant sable blanc immaculé, mer azurée et transats à l’ombre des palmiers… rien n’y fait désormais ; ces images ont été remplacées par celles des cadavres et du sang, les quelques tour-operators qui s’étaient décidés à revenir sur le terrain devenu bien trop dangereux de l’Afrique du Nord sont repartis illico, et les faillites s’enchaînent dans la spirale vicieuse du marasme économique et du mécontentement populaire.

En Égypte non plus, le tourisme n’a pas repris (au Caire et à Alexandrie, les hôtels tournent à moins de 50% de leur capacité ; moins de 15% en haute Égypte) ; et pour cause : il ne se passe pas un jour sans que la police n’ouvre le feu sur des manifestants ou sans qu’ici et là n’explosent quelques bombes… et un État islamique égyptien s’est emparé du Sinaï. Par contre, la dictature a bien repris, elle, plus féroce qu’elle ne l’a jamais été depuis la mort de Gamal Abdel Nasser (1970) : des forces spéciales traquent les opposants, ceux qui avaient manifesté sur la place Tahrir en janvier 2011, les étudiants surtout, qui disparaissent ou que l’on retrouve criblés de balles dans le désert… Le bras de fer qui s’était immédiatement joué entre les Frères musulmans et l’armée aura donc été remporté par l’armée, au grand soulagement d’un Occident d’un cynisme dorénavant implacablement muet.

Le Yémen est devenu le champ de bataille de la guerre froide que se livrent l’Iran et l’Arabie saoudite. Le président Hadi, candidat unique (sic) à la succession du dictateur Saleh –lequel, par ailleurs, est revenu récemment dans la course au pouvoir- a pris la fuite à Aden, abandonnant la capitale, Sanaa, aux insurgés houthistes soutenus par Téhéran ; les tribus et les clans s’entredéchirent à nouveau pour se partager la dépouille de ce pays, l’un des plus pauvres de la planète ; et les milliers de combattants d’al-Qaeda se frottent les mains de tous ces désordres et prospèrent joyeusement dans l’est, dont ils tiennent déjà la plupart des villes.

Et qu’en est-il de la Syrie ? Que l’on n’évoque plus guère au vingt-heure que lorsqu’il s’agit de s’inquiéter de la progression des fous de Dieu, sans plus se préoccuper ni des millions de personnes déplacées, ruinées, des centaines de milliers de familles réfugiées, démunies, sans aide, amputées d’un frère, d’un père, d’enfants assassinés par la guerre, ni des dernières brigades de l’Armée libre qui se battent encore et désespérément, à Alep ou dans la banlieue de la capitale… La Syrie où, selon maints observateurs non-avertis, la révolution devait triompher en quelques mois du baathisme et de Bashar al-Assad, qui hantent cependant encore et toujours les palais de Damas, tandis que les deux tiers du pays ont déjà été annexés par l’État islamique.

Quant à la Libye, enfin…

Je me souviens… -c’était en 2011- des propos d’une députée européenne : « Les forces de l’OTAN ont bien fait leur boulot, très bien même, en bonne complémentarité avec les rebelles sur le terrain ! » ; j’avais émis quelques doutes… On m’avait demandé de me taire.

La Libye a totalement disparu de « l’actualité ». C’est qu’elle est désormais à des années lumières des prédictions hystériques des chroniqueurs qui surenchérissaient d’arrogance à l’encontre du régime de Kadhafi…

Plongée dans le chaos le plus total, cette non-nation en faillite vertigineuse se décline à l’aune des factions, de ses deux gouvernements et de ses deux parlements qui, contrôlant, respectivement, Tobrouk et Tripoli, se prêtent à une guerre civile sans fin sous les rires moqueurs des indépendantistes berbères du Djebel Nefoussa, nichés dans leur fief du Djebel Nefoussa, et des clans de Zintan -lesquels détiennent toujours, comme une sorte de trésor de guerre, Séif al-Islam Kadhafi, le fils aîné du dictateur défunt, qu’ils refusent de livrer à l’ONU et auquel ils auraient déjà coupé trois doigts- ; et laissent ainsi s’engouffrer dans le pays les légions de l’État islamique qui ont pris le contrôle de plusieurs villes, de Syrte notamment, et se répandent, comme en Syrie et en Irak, et ce malgré la chevauchée pas très héroïque d’un général qui, probablement, avait cru pouvoir croquer la pomme en emmenant derrière lui une partie de ce qu’il restait encore de l’armée régulière pour charger les islamistes et imposer son protectorat aux tribus.

Mais peut-être reviendra-t-on plus amplement dans la presse sur le sort de ce pays, lorsque le drapeau du djihad flottera sur Benghazi et Tripoli, comme il flotte déjà sur les faubourgs de Bagdad et de Damas.

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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