EDITORIAL – Version française

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Bashar al-Assad et le régime syrien sont-ils en train de gagner la partie d’échecs engagée il y a bientôt cinq ans sous le soleil du Sham ? Reste-t-il encore quelque chose à prendre en compte de l’Armée syrienne libre et de la révolution en Syrie ? L’État islamique a-t-il déjà perdu la guerre ? Et quelle partition les factions kurdes vont-elles jouer dans ce concert devenu un peu plus lisible ?

La face du théâtre change… L’Occident a perdu l’initiative et la presse européenne a beau accentuer de toutes les manières son « Poutin-bashing » (devenu obsessionnel depuis la réémergence de la guerre froide soudainement ressurgie à la faveur de la crise en Ukraine) et répéter que « plus d’un millier de civils ont été tués dans les frappes russes en Syrie… selon l’OSDH » (l’Observatoire syrien des Droits de l’Homme, une nébuleuse d’officines qui avaient inondé les médias de bobards dès le début du conflit, « source » plus que douteuse citée et re-citée à l’envi par des journaleux d’une incompétence crasse et que l’on croyait remisée au hangar des « tout le monde peut se tromper », mais qui revient aujourd’hui dans les éditoriaux comme une plaie), il n’empêche que la politique de Moscou porte ses fruits et permet à l’armée régulière syrienne de s’imposer presque partout, et même face à l’État islamique.

L’armée régulière syrienne est en effet à Moscou ce qu’il manque à la Coalition internationale menée par les États-Unis : une force d’intervention au sol, bien équipée et déterminée, capable de coordonner son action avec l’appui aérien massif d’alliés dont les frappes, seules, ne suffisent pas à anéantir les brigades djihadistes qu’elles parviennent péniblement à contenir, voire à faire reculer de quelques kilomètres là où, mal implantées, elles peuvent être repoussées par des milices locales.

Parfaitement en phase l’une avec l’autre, l’armée syrienne et l’aviation russe ont ainsi obtenu des résultats probants depuis le lancement des opérations, fin décembre 2015 : les régions de Latakieh, d’Idlib et, à présent, d’Alep, sont progressivement reconquises, les unes après les autres, par le régime qui, peu à peu, reprend le contrôle du pays.

Si les frappes russes sur tous les opposants à Bashar al-Assad (et pas seulement sur l’État islamique) affaiblissent la résistance aux djihadistes (puisque l’opposition syrienne se bat aussi contre l’EI), en débarrassant l’armée régulière syrienne de combats secondaires qui la distraient d’objectifs majeurs et mobilisent des effectifs, ces frappes permettent cependant la reconfiguration d’un front terrestre efficace contre « Daesh ».

Une restructuration des opérations militaires orchestrée par Moscou et Damas, en cours depuis cinq mois et qui, face à l’État islamique et au grand dam d’Ankara, implique de manière de plus en plus évidente les milices kurdes du PKK (ou, plus exactement, leurs avatars syriens, les escouades du YPG)… Affaire à suivre.

Cependant, il ne faut pas trop rapidement enterrer le Califat, toujours activement soutenu par la Turquie, qui retire des profits pétroliers colossaux de cette collaboration de circonstances et joue plus que jamais la carte djihadiste contre les Kurdes de Syrie, de plus en plus enclins à renoncer à leurs velléités révolutionnaires premières et à, tout compte fait, trouver avec Damas le terrain de l’entente vers une forme d’autonomie régionale (que le président al-Assad apparaît tout à fait disposé à leur accorder, pour le moment… tant il est vrai que les alliances se font, se défont et se recomposent sans cesse, au Moyen-Orient ; et qu’un jour, peut-être, messieurs Erdogan et al-Assad pourraient à nouveau se serrer la main).

L’État islamique, en effet, n’existe pas seulement sur les terrains syrien et irakien, où, certes, il semble moins à l’aise que naguère. L’État islamique, c’est aussi la menace d’attaques, de plus en plus maîtrisées et coordonnées, dans les pays des différentes coalitions qui l’affrontent dans les régions où il s’est ancré territorialement. Des attaques maîtrisées et de plus en plus complexes qui vont inévitablement se multiplier au fur et à mesure que l’État islamique recrute en Occident, dans le Caucase, et ailleurs…

En Syrie et en Irak, en outre, le recul du Califat a surtout concerné les territoires revendiqués avec acharnement par les miliciens kurdes, en Syrie surtout, et, en Irak, des zones où les djihadistes ne bénéficiaient pas du soutien total des populations locales, partiellement chiites ; et il ne faudrait donc pas se bercer d’illusions et croire que les villages sunnites, qui constituent autant de fiefs parfois inconditionnels de l’État islamique, se laisseront ré-envahir par des armées renforcées de miliciens du Hezbollah ou de Chiites de Bagdad et dont le principal soutien régional demeure l’Iran.

Toutefois –et tout cela étant dit-, c’est vers le symbole originel de la révolution syrienne que les regards se dirigent à cette heure, là où l’Armée libre meurt au combat, une heure tragique à laquelle se tourne la page de cette histoire : les ruines d’Alep… que d’aucuns avaient comme presque oubliées.

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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