EDITORIAL – Version française

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En Turquie, un coup d’État peut en cacher un autre…

Erdogan est désormais adulé comme le sauveur de la démocratie et qualifié en Occident de chef d’un gouvernement « déterminant dans la lutte contre l’État islamique ».

Quand on sait comment la Turquie de l’AKP soutient l’EI… Livraisons d’armes, supports logistiques, infiltration de djihadistes européens en Syrie, trafic de pétrole…

Et quand on observe les purges qui sont en cours dans le pays… À commencer par l’appareil judiciaire directement et immédiatement visé, puis les administrations, jusqu’à l’enseignement… Quelques heures à peine après l’échec du soulèvement militaire, le sauveur de la démocratie a limogé des milliers de fonctionnaires et 2.745 juges… Deux-mille sept cent quarante-cinq ! Ce limogeage, sur quelle base ? Les juges étaient-ils en rue les armes à la main ? Comment est-il possible d’établir une telle liste en à peine quelques heures ? Cette liste existait évidemment bien avant le déclenchement de l’insurrection…

Les officiers supérieurs, un panel assez large apparemment, présents dans l’infanterie, les blindés et la force aérienne, des militaires dans la plus pure tradition kémaliste, étaient semble-t-il convaincus que leur mouvement allait être suivi par un peuple animé de cet idéal nationaliste, très prégnant en Turquie, et républicain, de sauver l’État de droit et la laïcité de l’islamisation rampante (voire de « l’Erdoganisation ») du pays.

Ils ont de toute évidence mal appréhendé la popularité d’Erdogan et le taux d’islamisation de la population elle-même, en repli identitaire assez manifeste.

Quant aux citoyens qui ne soutiennent pas l’AKP, mais sont néanmoins descendus dans la rue pour « défendre la démocratie », ils font penser aux Égyptiens qui ont applaudi des deux mains le coup d’État d’al-Sissi…

Ces derniers pensaient que les militaires allaient rétablir la démocratie au Caire ; et ils se retrouvent aujourd’hui avec une des pires dictatures de la planète.

Les citoyens turcs, quant à eux, ont cru qu’ils défendaient la démocratie en s’opposant à l’insurrection kémaliste ; et ils ont achevé d’asseoir au pouvoir la dictature islamiste que leurs homologues égyptiens redoutaient de voir s’installer chez eux.

Et le sauveur de la démocratie d’exulter en se gargarisant du mot : « En démocratie, si le peuple veut voir rouler les têtes, il faut que cela soit ! » Et que revive la peine de mort !

La Turquie, un pays qui oscille entre sa tradition kémaliste, ardemment défendue tout au long du XXème siècle, et un retour au passé du Califat ottoman, tel qu’impulsé désormais par l’AKP…

L’actualité du Monde arabo-musulman ne cesse de rebondir… On en oublierait presque les relents de révolution que connaît le Bahreïn ; et plus aucun média ne s’intéresse à la « failed-statisation » de la Lybie…

Quant au deuxième anniversaire du massacre de Gaza, c’est complètement oublié… Certes, c’était il y a déjà deux ans… et il n’y a eu que 2.000 victimes civiles… qui, en outre, étaient palestiniennes…

C’est aussi qu’il y a désormais beaucoup de raisons de considérer la lutte palestinienne pour l’autodétermination comme une cause perdue… La résistance armée palestinienne a décliné et seuls quelques « forcenés » s’en prennent encore aux troupes d’occupation (aux termes du droit international), assurés d’y laisser leur peau, tandis que la Communauté internationale a manifestement jeté l’éponge et laisse faire, laisse tout faire…

Absolument tout.

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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