ÉGYPTE – Des nouvelles d’Hosni ?

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Hosni Moubarak est né le 4 mai 1928, dans le delta du Nil, dans le gouvernorat de Menufeya.

Son père est un petit fonctionnaire dans cette Égypte monarchique où, comme souvent, les fils de milieux pas trop défavorisés peuvent espérer faire carrière dans l’armée. Mohammed Hosni Moubarak est donc envoyé à l’académie militaire et poursuit sa formation dans l’armée de l’air.

Les aléas des promotions et l’habilité de l’individu l’amène à occuper des fonctions de plus en plus importantes dans la hiérarchie militaire, jusqu’après la période de guerre contre Israël (1967 et 1972), lorsqu’il devient le commandant de l’armée de l’air, puis ministre des affaires militaires.

Coup de pouce vers le pouvoir

En 1975, deux ans après la guerre du Kippour, Moubarak est choisi pour occuper la vice-présidence de la république. Anouar el-Sadate, qui avait succédé à Nasser, décédé d’un arrêt cardiaque en 1970, s’entoure de militaire et renforce ainsi l’emprise de l’armée sur l’État égyptien.

Moubarak n’est pas destiné à prendre les rênes de l’État, mais, en octobre 1981, le président Sadate est assassiné par des éléments de l’armée qui lui reprochent les accords de paix signés avec Israël en 1978 à Camp David.

La surprise est générale et le pouvoir est à prendre. Pragmatique sans guère d’illusion –comme il le démontrera régulièrement par la suite-, Hosni Moubarak profite de sa position pour s’imposer, non sans avoir négocié l’affaire avec les principaux dignitaires de l’armée : il exercera le pouvoir politique, mais toutes les questions militaires (y compris les secteurs de l’économie détenus par l’armée) seront du seul ressort du Conseil supérieur des Forces armées, en quelque sorte un État dans l’État, en tout cas un pouvoir parallèle avec lequel le nouveau raïs saura d’autant mieux composer qu’il en est issu tut comme l’était avant lui el-Sadate.

Le 13 octobre 1981, il remporte l’élection anticipée qui suit la mort d’el-Sadate et devient président de la république arabe d’Égypte. Il ne quittera le pouvoir que chassé par le peuple en colère : réélu en 1987, puis en 1993 et en 1999, et par des majorités discutables dépassant systématiquement les 80% (et sans candidat d’opposition), il aura gouverné l’Égypte pendant trente ans.

Si sa popularité au sein du peuple égyptien est réelle et augmente même au fil des années, alors que l’Égypte s’affirme de plus en plus dans le rôle de chef de file du monde arabe, elle commence à chuter dans les années 1990, et se succéderont six tentatives d’attentat contre sa personne, et notamment, en 1995, une tentative attribuée aux islamistes, en Éthiopie, où il assistait au sommet de l’Union africaine.

Déjà, en effet, les difficultés économiques majeures que connaît l’Égypte, où se développe une pauvreté structurelle qui touche près de 70% de la population, vont entamer l’image de Moubarak, qui ne peut entreprendre les réformes nécessaires, enferré par ses amis militaires, pour lesquels il n’est pas question de renoncer aux privilèges énormes dont bénéficie l’armée, et par ses amis de la finance cairote qui profitent de la politique de plus en plus libérale insufflée par le président, lequel s’enrichit lui-même, ainsi que sa famille, à la faveur des avantages qu’il accorde à ses amis.

Tandis que, en parallèle, l’insécurité se développe et le tourisme, importante ressource économique pour une large frange de la population, périclite, face aux activités islamistes qui s’intensifient.

À la fin des années 1990, Moubarak est de plus en plus contesté par une population aux abois, qui se tourne contre lui, et notamment à la suite de nombreuses affaires de corruption dans lesquels son fils Alaa est impliqué.

En 2005, il se fait réélire une fois de plus… Mais, cette fois, personne n’est dupe quant à l’évidente manipulation des résultats.

La chute et ses conséquences

Ce n’est pas tant la fraude électorale et les successifs dénis de démocratie qui vont entraîner le soulèvement populaire qui fera chuter Moubarak, ni non plus les faits de corruption avérés qui émaillent l’image de sa famille… La plupart des Égyptiens n’aurait pas même prêté attention à ces « détails » si la population, dans son immense majorité, n’avait été au bord de la misère économique, au point de connaître des carences alimentaires devenues insupportables.

La nuit du nouvel an, 2010-2011, la ville d’Alexandrie est secouée par de graves attentats. Les condoléances du président seront refusées par les proches des victimes, et le peuple commence à se soulever.

Les manifestations s’enflamment fin janvier et, encouragés par la révolution « printanière » tunisienne, les Égyptiens se répandent dans les rues, l’excès de misère les ayant affranchis leur peur du régime policier dans lequel Moubarak avait enfermé le pays.

Le président promet des réformes et limoge plusieurs membres du gouvernement, mais insiste sur sa volonté d’aller au bout de son cinquième mandat, qui devait s’achever en septembre 2011. Peut-être n’a-t-il pas pris la mesure du ras-le-bol populaire qui est en train de s’exprimer. Moubarak croit qu’un discours suffira à faire rentrer les choses dans l’ordre. Il communique à « son peuple », affectant une vive émotion, par la télévision d’État, tandis qu’internet est coupé dans tout le pays.

La contestation ne désarmant pas, le président et son entourage changent de politique et misent sur la répression. L’attaque meurtrière lancée par des partisans de Moubarak contre les manifestants de la place Tahrir (la « bataille du chameau ») scelle le sort du président-soldat : loin de s’enfuir, les contestataires résistent et accusent désormais Moubarak d’avoir agressé le peuple.

Au bout d’un mois de manifestations et d’occupations de bâtiment publics, l’armée, qui a compris que le vent avait tourné, s’érige en « protecteur du peuple » et « conseille » à son cadet de démissionner. Hosni Moubarak s’exécute, le 11 février 2011.

Le « jugement »

La démission du raïs ne suffit cependant pas aux manifestants dont les revendications, initialement sociales et économiques, se sont progressivement politisées, notamment avec l’implication accrue de jeunes, pour beaucoup étudiants et qui revendiquent la démocratisation des institutions.

Les manifestants réclament l’arrestation du président, pour qu’il rende aux Égyptien les fonds détournés tout au long de sa carrière, mais surtout pour qu’il rende compte du sort des centaines de protestataires tués durant la révolution.

Les tensions sont grandes et les rues ne désemplissent pas ; l’armée n’a pas le choix… Moubarak est arrêté.

C’est alors, durant les procédures d’instruction, qu’Hosni Moubarak fait malaise, suivi d’un infarctus, et qu’il est hospitalisé. Il est transféré dans un hôpital militaire où il est placé en détention.

Deux procès vont s’ouvrir, l’un pour juger l’ordre qu’il avait donné de couper internet en Égypte, sept jours durant ; l’autre pour corruption, et surtout pour le meurtre des manifestants.

Moubarak apparaîtra affaibli lors du procès, auquel il assistera couché sur un lit mobile… Une image pitoyable dont d’aucuns se demandent dans quelle mesure elle n’a pas relevé d’une mise en scène, partie de l’accord passé entre l’ex-prédisent et l’armée qui, pour réaliste qu’elle fut face à la colère populaire, n’en a pas moins continué de ménager celui qui était sorti de ses rangs et d’essayer de lui sauver la mise.

Ainsi Hosni Moubarak sera-t-il condamné, le 28 mai à une amende de plus de 23 millions d’euros pour avoir ordonné la coupure d’internet ; mais la peine est motivée en tant que dédommagement à l’économie égyptienne, que la rupture des communications a engendrée, et non pas du fait qu’il s’était agi pour le président de contrôler l’information et d’empêcher le peuple de s’organiser.

Le 3 août 2011, commence le second procès. Moubarak plaide non-coupable. Le procureur requiert la peine capitale. Presqu’un an plus tard, le 2 juin 2012, le président déchu est condamné à la prison à vie. Il fait appel du jugement.

Le 20 juin, nouveau coup de théâtre médical : Moubarak serait victime d’une attaque cérébrale… Le procès d’appel est reporté… Le temps passe… L’ancien raïs se fait progressivement oublier…

Jusqu’à ce que la jeune démocratie égyptienne s’écroule, le 3 juillet 2013 : profitant de la crise économique galopante et de l’impopularité croissante, soutenue par les médias enfin libérés, qui minent la présidence du premier chef d’État démocratiquement élu, Mohamed Morsi, l’armée (re)prend le pouvoir et les putschistes placent le général al-Sissi (si tôt promu au grade de maréchal) à la tête du pays.

Quelques semaines plus tard, le 21 août 2013, la Justice ordonne la mise en liberté conditionnelle de l’ancien président, eus égard à sa santé déclinante ; mais sans toutefois lever les chefs d’accusation, pour lesquels un procès d’appel est toujours en attente.

Dans les faits, Hosni Moubarak est libre.

Ce que les juges confirmeront le 2 mars 2017. Moubarak est acquitté et « officiellement » libéré le 24 mars, la Justice égyptienne ayant estimé que le procureur n’a pas pu fournir suffisamment de preuves que l’ancien président avait lui-même et directement ordonné les tueries.

Il n’est jugé coupable que d’un seul délit, de corruption mineure, d’avoir utilisé de l’argent publique pour réaménager la résidence privée de sa famille au Caire…

Une retraite « mal méritée », mais paisible…

Plus personne ne doute, aujourd’hui, de l’absence totale d’indépendance de la Justice égyptienne sous la férule totalitaire du « maréchal-président » al-Sissi.

L’armée n’abandonne pas un de siens, surtout lorsqu’il l’a si bien servie.

Alors que le président Moubarak et ses proches sont acquittés, de très nombreux journalistes et membres de l’opposition, dont beaucoup de ces jeunes révolutionnaires de la place Tahrir, croupissent dans les prisons du régime où la torture sert plus à « rééduquer » qu’à obtenir des informations. Les militaires sont revenus au pouvoir et le système d’avant 2011 semble rétabli, certainement pire encore.

Justice n’est pas rendue aux 846 morts et 6.467 blessés de la révolution.

Le peuple égyptien n’a pas oublié Moubarak, mais n’ose pas exprimer son ressentiment ; ou bien l’a-t-il oublié…

Quoi qu’il en soit, la route de la démocratie est barrée – et sévèrement gardée.

Moubarak lui-même ne peut quitter l’Égypte (il fait officiellement encore l’objet de quelques inculpations mineures), mais il réside paisiblement, avec « une bonne conscience », dans le confort de sa villa des bords de la Mer rouge.

Ses paroles, prononcées le 1er février 2011, quelques instants avant sa destitution, résonnent encore dans l’esprit de ceux qui les ont entendues et deviendront certainement vérité…

« Cette chère nation est ce pour quoi j’ai vécu, pour quoi je me suis battu et dont j’ai défendu le sol, la souveraineté et les intérêts. Sur son sol je mourrai. L’histoire me jugera, comme elle l’a fait pour d’autres. »

 

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Dorian Kronenwerth

Political Scientist and Economist - Managing Editor for English

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