KURDISTAN – Le Kurdistan irakien, en marche vers l’indépendance

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Le Kurdistan est un pays sans frontière. Territoire de l’Asie mineure en forme de croissant, il s’étend sur 530.000 km2 environ, dans le sud-est de la Turquie, dans le nord-est de l’Irak, dans le nord-ouest de l’Iran et dans le nord-est de la Syrie. De ces quatre pays, seuls deux reconnaissent officiellement une région sous la dénomination de « Kurdistan » : l’Iran, avec sa province du Kurdistan, et l’Irak, qui a même avalisé une région autonome du Kurdistan.

Au Kurdistan irakien, les Kurdes ont connu, depuis 1964, une histoire très mouvementée, la population civile ayant été maint fois déportée et contrainte à s’exiler… Cette guerre contre l’État islamique (EI) en constitue un nouvel épisode, et probablement le tournant décisif : profitant d’une situation jugée « exceptionnellement favorable » dans le nord de l’Irak, les Peshmergas (littéralement, en kurde, « celui qui va vers la mort ») reprennent de nouveau le contrôle des régions kurdes irakiennes, qu’ils avaient perdues en 1975 au terme de l’accord d’Alger conclu entre l’Iran et l’Irak.

En 1983 et 1984, en effet, l’Iran avait ouvert deux fronts contre l’Irak, tous deux au Kurdistan ; et, le 20 août 1988, l’Irak et l’Iran ayant signé un accord de cessez-le-feu à Genève, l’armée irakienne, disposée le long de la frontière iranienne, profita de son positionnement en territoire kurde pour combattre les velléités d’indépendance de la région. Épuisée par huit années de guerre, l’armée irakienne voulait gagner rapidement…

La série d’opérations militaires menées contre les Kurdes, où les armes chimiques ont été utilisées dans six régions entre 23 février et le 6 septembre 1988, fut dénommée « Anfal » par le régime irakien, pour lui donner un fondement religieux susceptible de légitimer sa politique. Le terme « Anfal » est en effet un mot d’origine arabe, qui signifie « butin » ; il est tiré du titre de la huitième sourate du Coran, qui justifiait le massacre des infidèles. Les gaz furent utilisés à très large échelle au cours de ces opérations ; et Saddam Hussein  fut sans doute le premier dirigeant au monde à utiliser de telles armes contre la population de son propre pays.

Pendant la campagne d’Anfal, environ 100.000 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants restés dans les villages ciblés, ont été tuées par l’armée irakienne. L’armée irakienne appliquait la politique de la terre brûlée, détruisant les villages et déportant les populations kurdes ; plus de 2.000 villages kurdes furent détruits au cours de ces opérations. Des centaines de milliers de villageois furent déportés après la destruction de leurs villages.

Halabja, une ville située à proximité de la frontière iranienne, dont la population, au moment où elle fut attaquée, dépassait 70.000 personnes, a été qualifiée de « petit Hiroshima », bombardée par l’aviation irakienne, les 17 et 18 mars 1988. La cause principale de l’attaque fut la prise de cette ville par les Peshmergas, aidés par les Iraniens.

Dans cette affaire, le premier point qu’on ne peut pas déterminer avec précision est relatif au nombre exact des victimes. Les chiffres varient selon les sources. En comparant les différentes sources, il ressort qu’au moins 5.000 personnes ont trouvé la mort à Halabja, tandis que le nombre de blessées et de ceux qui resteront handicapés n’est pas connu.

Le deuxième point est la qualification du gazage d’Halabja. S’agit-il d’un génocide, d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre ? Aucune juridiction ne s’est prononcée sur cette question, bien que les éléments constitutifs du « crime contre l’humanité » sont indiscutablement présents.

Il reste à rappeler que les attaques chimiques qui ont eu lieu pendant l’opération Anfal ne furent pas les premiers cas d’utilisation de gaz contre les Kurdes par le régime de Saddam Hussein. Les 15 et 16 avril 1987, le régime irakien avait déjà lancé des attaques au gaz contre des villages kurdes de la région de Soulaimanye et d’Erbil. Les pertes humaines avaient cependant été limitées ; il aurait été question de 300 morts et blessés. D’autres attaques ont eu lieu en mai, juin et septembre 1987.

L’Occident voyait en l’Irak un important partenaire économique, un pays qui occupe une place de premier ordre en termes de réserves pétrolières. Tout le monde voulait sa part du gâteau et, pour cela, tous ont préféré ne pas réagir aux plus scandaleux des crimes de guerre et se voiler les yeux devant l’usage des armes chimiques en violation du droit international.

Mais, à la faveur de la première guerre du Golfe (1991), l’armée irakienne étant occupée à lutter contre la coalition internationale menée par Washington, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) et le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), les deux principaux partis kurdes d’Irak, unirent leurs forces et réussirent à reprendre le contrôle de zones importantes dans le nord montagneux de l’Irak.  Au lendemain de cette guerre, les Kurdes se sont donc trouvés en position d’auto-administrer une grande partie du territoire du Kurdistan irakien. Cette portion de territoire s’est en effet trouvée de facto indépendante du reste de l’Irak. Les mouvements politiques kurdes ont pu tirer parti du contexte politique international et des sanctions onusiennes imposées au régime irakien pour se constituer une administration étatique et gouverner tant bien que mal leur propre territoire, en dépit d’une situation économique et politique difficile. Cette situation inédite a perduré durant douze ans, jusqu’à l’agression anglo-américaine contre l’Irak (la deuxième guerre du Golfe), en 2003.

La chute de Saddam Hussein a effectivement entraîné le début d’un processus de réunification forcée de l’Irak, qui était divisé depuis plus d’une décennie. Le renversement du régime irakien marque ainsi la fin de la première période d’autonomie ou « d’indépendance de fait » des Kurdes irakiens, qui se sont alors engagés dans des négociations pour la constitution d’un Irak proclamé « démocratique et fédéral ». Ces négociations ont abouti à l’adoption, le 15 octobre 2005, de la constitution irakienne  actuelle. Le Kurdistan est désormais reconnu par l’Irak et la communauté internationale comme un État fédéré doté de compétences étendues, devenu une terre d’accueil pour des irakiens fuyant la violence imposée par l’EI.

Entre-temps, cependant, le droit international, en matière d’autodétermination, a évolué, pour donner naissance à un droit à l’indépendance au bénéfice des peuples des territoires non-autonomes et de ceux qui étaient soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangère. Il est certes arrivé que des déclarations d’indépendance ont été faites en dehors de ce contexte. Mais la pratique des États, dans ces derniers cas, ne révèle pas l’apparition, en droit international, d’une nouvelle règle interdisant que de telles déclarations soient faites…

La Cour internationale de justice avait conclut, en 2010, dans son avis consultatif sur la question de la conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, que le droit international général ne comporte aucune interdiction applicable aux déclarations d’indépendance.

Aujourd’hui, le Kurdistan irakien se prépare à déclarer l’indépendance. Sa déclaration d’indépendance ne violerait pas le droit international présent.

Et, sur le plan des rapports de force s’exerçant dans on environnement régional, les obstacles à cette indépendance ont aujourd’hui presque tous disparu…

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Rachid Rachid

Juriste - Droit international

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