PALESTINE – Année moins que zéro ?

0

Bilan de 70 ans de conflit…

La politique israélienne serait-elle la politique du pire ? S’il est une situation géopolitique à même de déchaîner l’opinion internationale, c’est bien souvent la question israélo-palestinienne. Et le paradoxe dans le même temps, est qu’une certaine lassitude semble avoir gagné les deux camps concernés et les opinions liées à vouloir trouver une issue favorable à ce conflit engagé depuis bientôt 70 ans.

Israu00EBl - Entre 4 mursLe désengagement de la communauté internationale et en particulier, plus récemment, celui des États-Unis, marquent probablement un tournant dans le doux fantasme ancestral que ce conflit sera un jour résolu, et avec le concours d’une tierce partie, et que ce conflit verra sa fin avec la concrétisation sur le terrain de l’État palestinien.

Les « printemps arabes » n’ont certainement pas profité à la Palestine, qui pour certains a fait son printemps en 1988 (comme pour l’Algérie qui l’aurait fait en 1991, au début de la décennie noire). Les intérêts divers des belligérants à vouloir maintenir la situation en l’état n’y est pas pour rien : côté israélien, à poursuivre la colonisation sans compromis pour le premier ministre Netanyahou qui est à la tête d’une coalition nationaliste, d’extrême-droite, empreinte d’une religiosité croissante, inédite, et ne fera aucun compromis pour ne pas perdre sa majorité ; côté palestinien, dans la division, avec une Autorité palestinienne dominée par le Fatah, qui a largement collaboré en terme de sécurité avec Israël depuis les accords d’Oslo de 1993 et connaît une perte de légitimité très forte face au Hamas, refusant dès lors de s’engager, sauf événement brusque et majeur, dans l’organisation d’élections, pourtant prévues, pour assurer à la fois la succession de Mahmoud Abbas, usé, et rééquilibrer les compétitions de pouvoir avec le Hamas. Ce dernier n’aurait probablement plus le même succès à Gaza qu’en 2006 ; mais en Cisjordanie, il pourrait triompher. Nous en sommes au stade de spéculations mais qui sont plus que plausibles. Ce que ni Tel-Aviv ni Ramallah (ndlr : siège de l’Autorité palestinienne, situé en Cisjordanie) ne souhaitent à priori.

En attendant, les Palestiniens n’ont pas d’État et le « statu quo » joue chaque jour un peu plus en leur défaveur.

Les signatures pour la construction de nouveaux blocs de colonies ou l’agrandissement de certains déjà proéminents n’a de cesse : en particulier, celui, récemment, de Maale Adoumim sur les hauteurs de Jérusalem qui, s’il continue sa croissance, ferait probablement un haricot géographique de la Palestine, définitivement coupée en deux. Il en serait fini de la potentialité d’un État viable, continu et contigu. Déjà que Gaza reste isolé par le blocus maintenu par Israël et l’Egypte qui a resécurisé le Sinaï depuis l’arrivée du président al-Sissi et largement entamé les possibilités d’approvisionnement « illégal » via les tunnels vers le petit territoire enclavé. Dans le même temps, Israël avait relancé des pourparlers avec le Hamas, il y a quelques mois, pour mieux diviser et isoler l’Autorité palestinienne. Mais, à notre avis, pour se rassurer aussi, sur le fait que l’État islamique n’ait pas prise un jour sur Gaza, ce qui serait bien pire que le mouvement islamiste palestinien lui-même. Les jeux d’alliances se font et se défont avec vitesse grand V autour de la question.

Depuis près de quinze ans, les négociations entre Israéliens et Palestiniens sont au point mort

Les deux camps se sont radicalisés depuis l’échec des négociations de Camp David II, en 2000.

La droite israélienne menée par Ariel Sharon s’est petit à petit emparée de l’ensemble du paysage politique israélien, reléguant toute opposition à poussière. La gauche israélienne ne s’est jamais vraiment remise des accusations portées contre elle à l’époque. Non, les Palestiniens ne veulent pas la paix et ils l’ont prouvé en 2000, menant eux-mêmes, selon l’ancien premier ministre travailliste Ehud Barak, les discussions à l’impasse. Ce mensonge éhonté reconnu par son auteur même n’avait pas fait de vagues dans le pays. Portant également la responsabilité lourde du « pêché originel », en 1948, avec l’expulsion des Palestiniens, la gauche porte aussi dans son histoire les germes de l’obsession de la colonisation, dès 1967 ; ce sont le nœud gordien de cette histoire. Lors des dernières élections de mars 2015, le « camp travailliste » proposait un programme pas si éloigné que cela de la droite, de quoi rendre perplexe : capitale éternelle Jérusalem, démantèlement des petits blocs de colonies, mais maintien des plus importants (ceux qui constituent précisément le principal obstacle à la paix).

Aujourd’hui, la coalition gouvernementale israélienne est prête à en découdre avec les Palestiniens, à réduire leurs droits, à sanctionner les associations pacifistes qui œuvrent des deux côtés pour le maintien d’un dialogue civil, et à réduire la liberté de ton d’un certain nombre de penseurs, intellectuels et journalistes, en les faisant passer pour de dangereux antisionistes, révisionnistes, voire plus.

Du côté palestinien, le Hamas a dû s’adapter au contexte régional : arrivé au pouvoir en 2007 et créant un « Hamasthan », à Gaza, il a mené la fronde contre Israël par l’envoi intempestif de roquettes au sud du pays allant jusqu’à devoir supporter trois guerres violentes contre la population qu’il administrait. Il continuait à chanter, sur un tas de cendre, mais il était toujours là. Perdant son allié égyptien après le coup d’État qui a renversé Mohamed Morsi en Égypte en 2013, le parti au pouvoir à Gaza, conduit par Ismaël Haniyeh, a été contraint de trouver d’autres soutiens politiques et financiers. Aujourd’hui, Khaled Meechal, son grand patron, est hébergé à Doha, au Qatar… L’autre partenaire privilégié est bien sûr… l’Iran, dans son combat conjoint avec le Hezbollah libanais contre Tel-Aviv.

Les divisions inter-palestiniennes perdurent

L’Autorité palestinienne semble parfois n’en avoir que le nom : la succession d’Abbas se fait attendre et sa « trahison » passe mal chez certains radicaux faisant le lit du Hamas.

Collaborer en termes de sécurité avec Israël : oui, mais pourquoi faire ? Rien n’a bougé pour les Palestiniens, les conditions de vie restent compliquées, et ils sont fatigués à tel point de ne probablement plus être motivés par un soulèvement général.

La violence ne leur a pas réussi en 2000. La résistance pacifique non choisie ne leur a rien apporté non plus. Que reste-t-il ? Les agressions, comme ce fut le cas à la fin 2015 à Jérusalem même avec la révolte des « petits couteaux », qui ont réussi à créer un climat de psychose dans la ville comme les attentats suicides aux terrasses de cafés il y a des années. Nul besoin de roquettes. Nul besoin de venir de Cisjordanie. Les Arabes israéliens et notamment la génération déçue d’Oslo, de ces jeunes nés après 1988, ont engagé un combat inégal contre l’ennemi, ce pays fort, cet État fort, cette armée forte, qui ne peut rien faire contre des attaques à l’arme blanche.

Ni non plus contre des bulldozers de chantier à Jérusalem, quand ils deviennent des armes par destination. Doit-on rappeler d’ailleurs que, dans ce contexte mouvant de menaces terroristes et de danger nationaux, l’arme blanche reste aujourd’hui l’arme la plus meurtrière dans le monde ?

La colonisation se poursuit en Cisjordanie et autour de Jérusalem

L’idée du gouvernement israélien, en favorisant l’expulsion des Palestiniens, en ne renouvelant pas leur statut de résident pour x raisons, et en multipliant les constructions israéliennes à Jérusalem-Est, est de parachever la judaïsation de Jérusalem ; en faisant disparaître jour après jour Al-Qods, et ce que les Palestiniens revendiquent encore comme la capitale de leur futur État. Future capitale d’un futur État qui semblent bien mal embarqués.

Côté Cisjordanie, il y a actuellement plus de 400.000 colons, qui vivent dans des mini-villes forteresses, protégées par l’armée, et reliées au reste du monde par des routes ultrasécurisées de contournement traversant à grande vitesse la Cisjordanie et que ne peuvent pas emprunter les Palestiniens.

Des zones historiques restent très sensibles, comme la ville nationaliste de Hébron, théâtre de tensions permanentes, d’agressions, d’incursions, de vengeances et de provocations débordant sans complexe le cadre du droit internationale et son respect. Doit-on rappeler l’assassinat de ce Palestinien à bout portant à Hébron et dont les images ont fait le tour du monde ? Le soldat Elor Azaria, inculpé d’homicide involontaire, avait invoqué devant la cour de Jaffa la légitime défense, difficilement justifiable au vu des images. Objet d’une campagne médiatique nationale, il avait été défendu par une frange de l’opinion israélienne qui exigeait presque que ce soldat soit décoré comme un héros.

Jamais la société israélienne n’a été aussi extrême et en partie autiste, ne voyant -et on peut le comprendre- que sa sécurité avant tout le reste et avant tous les autres. Malheureusement, au-delà de ces actes qui ne sont pas si isolés que cela, Israël s’enferme entre quatre murs et s’isole du monde : mur côté sud-Liban, barbelés supplémentaires côté syrien, mur côté égyptien, mur côté cisjordanien. L’État hébreu devient une forteresse assiégée, un espace sanctuarisé.

Les Israéliens sont-ils davantage en sécurité ? Bonne question car des opération comme le « dôme d’acier », tout comme les opérations préventives de masse à Gaza, n’avaient pas empêché des roquettes de tomber dans la banlieue de Jérusalem et de Tel-Aviv il y a quelques années. La classe politique israélienne n’a plus de vision à long terme, pas plus que les dirigeants palestiniens d’ailleurs. C’est une gestion de crise du quotidien, point barre.

La cause palestinienne, le combat des utopistes et des idéalistes

La Palestine n’est plus que l’objet d’un combat militant de millions d’individus dans le monde qui vivent dans une forme d’utopie et d’idéalisme. Une utopie et un idéalisme qui sont vitaux pour l’Homme, car si le droit international était seulement respecté, si les résolutions des Nations-Unies étaient respectées et qu’Israël se désengageait des Territoires palestiniens comme préalable à tout dialogue, une reprise des négociations pourrait peut-être être remise sur pieds.

Malheureusement, nous n’en sommes mêmes pas au point où la colonisation des territoires serait déjà dans un premier temps stoppée ! La lassitude gagne les esprits et la reconnaissance de la Palestine auprès des Nations-Unies sera sûrement le dernier fait d’armes de Mahmoud Abbas. Peut-être le premier aussi en réalité… Car il n’est jamais parvenu à se hisser en héritier charismatique et volontariste après la mort du raïs, Yasser Arafat. Et cela fait douze ans que cela dure !

Mais les crises régionales l’ont emporté en termes d’urgence : l’Iran, Daesh, la Syrie, l’Irak, etc.

Pour Israël, la politique du pire ?

En réalité, Israël œuvre à sa propre instabilité, car le premier danger pour Israël vient de l’intérieur, de ces Arabes israéliens qui représentent la troisième force politique du pays, de cette frustration palestinienne historique, de cette arrogance des colons israéliens qui ne pensent qu’à « Eretz Israël » et à la Judée-Samarie.

Mais, s’il n’y a pas d’État palestinien, cela signifie qu’à terme on s’acheminera vers un État binational, car Israël ne pourra pas contenir longtemps une telle situation démographique et politique explosive.

De plus, l’action même des colons validerait cette hypothèse binationale, puisque jamais aucun retrait ne serait envisagé, voire même techniquement possible. Si la natalité des Palestiniens a diminué un peu depuis des années, du fait du pessimisme ambiant, des difficultés économiques et d’un taux de scolarisation et de diplômés très important, la natalité des ultra-orthodoxes juifs ne suffira cependant pas à maintenir une supériorité juive dans le seul État binational actuel.

S’acheminerait-on vers une guerre civile intramuros ? C’est une question inquiétante. Finalement, « le Mur », en Cisjordanie, permet encore de se voiler la face, et de calmer les esprits derrière huit mètres de hauteur en béton. Mais le jour où les sociétés se retrouveront confondues dans un seul et même territoire, comment avancer ensemble en sublimant des décennies de rancœurs et de frustrations ? Les Palestiniens ne digéreront jamais de ne pas avoir d’État et de devoir accepter cette forme-là de « droit au retour », dans un « État juif » ; et les Israéliens, enfermés jour après jour dans un rejet de l’autre et des Arabes, ne seront pas prêts de traiter sur un pied d’égalité leurs nouveaux coreligionnaires.

Même les Américains, difficilement accusables d’antisionisme primaire, avaient avant de se retirer de ce terrain régional explosif (il y a plus d’un an), en la personne du secrétaire d’État John Kerry, alerté sur les risques d’apartheid dans laquelle glissait irrémédiablement la société israélienne depuis des années.

Or, le sentiment naturel de supériorité n’est jamais synonyme de coexistence viable et pacifique.

 

Share.

About Author

Sébastien Boussois

Politologue, Chercheur associé à l'Université de Québec à Montréal (Observatoire sur le moyen-Orient et l'Afrique du Nord) , Collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes (Université Libre de Bruxelles - Belgique) et du Centre Jacques Berque (Rabat - Maroc)

Leave A Reply