MONDE ARABE – Le mythe du panarabisme, de la Nahda aux « printemps arabes »

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Le Monde arabe est vaste : il s’étire depuis le Sultanat d’Oman, à l’est, jusqu’à la Mauritanie, à l’ouest. Il est caractérisé par un grand nombre de cultures et de coutumes, des peuples différents et des problématiques complexes, résultats d’une longue histoire, tumultueuse et turbulente. Mais cette histoire a été pour une grande part structurée par des points communs nombreux, qui ont forgé une « familiarité » arabe, laquelle a donné naissance au mythe du « panarabisme ».

Maxime Rodinson (Les Arabes, 1979) évoquait trois éléments susceptibles de définir l’appartenance à un peuple ou à une nation « arabe » :

« Nous pouvons considérer comme appartenant à l’ethnie, peuple ou nationalité arabe ceux qui : 1) parlent une variante de la langue arabe et, en même temps, considèrent que c’est leur langue « naturelle », celle qu’ils doivent parler, ou bien, sans la parler, la considèrent comme telle; 2) regardent comme leur patrimoine l’histoire et les traits culturels du peuple qui s’est appelé lui-même et que les autres ont appelés ‘arabe’, ces traits culturels englobant depuis le VIIe siècle l’adhésion massive à la religion musulmane, qui est loin d’être leur exclusivité; 3) revendiquent l’identité arabe et ont une conscience d’arabité. »

La langue, l’histoire et la conscience arabe font certainement partie de ce qui a été utilisé pour caractériser les Arabes et constitue la base du panarabisme –un échafaudage qui regroupe les Arabes et a constitué pendant certaines périodes une force motivante, produisant du changement et du progrès, mais aussi divisant et générant des conflits à travers le Monde arabe.

Définir le « panarabisme »

Pour produire une définition du « panarabisme », il convient avant tout de prendre conscience qu’il s’agit d’une terminologie occidentale, qui désigne ce que les Arabes définissent quant à eux comme le « nationalisme arabe ».

Ce mouvement manifeste le souhait et une démarche relatifs à l’unité politique arabe, un mouvement qui a été, pour une grande partie, un produit de la première guerre mondiale, bien qu’il y eut, depuis la montée au pouvoir des Turcs ottomans au XIVème siècle, des mouvements entre Arabes pour la réunification, afin de rétablir le pouvoir politique arabe.

Le panarabisme naquit donc en tant qu’idéologie résistante à l’occupation étrangère et promouvant le débat quant aux éléments de l’héritage arabe qui seraient les plus pertinents dans la formation de l’image d’États arabes –certains continuaient à défendre la primauté des liens islamiques (ce qui devint la base du panislamisme), d’autres, comme l’un des premiers grands théoriciens du panarabisme, Sati al-Housri, rejetaient les sentiments islamiques en faveur d’une nation unifiée par la culture arabe, l’accent étant alors mis sur les composantes laïques de l’héritage arabe –une vision d’un État arabe similaire aux nations d’Europe.

Le panarabisme devient donc l’expression revendicative d’un héritage commun au Monde arabe –culturel, linguistique et historique. La religion y joue un rôle, mais marginal, dans la mesure où la laïcité constitue une caractéristique importante du panarabisme –bien évidemment, pour le panislamisme, la religion est centrale. Mais les deux mouvements s’accordent sur l’appartenance de tous les Arabes à un même peuple.

Leur but commun est de créer une entité politique arabe unique, de l’Atlantique au Golfe, avec la nationalisation de la région entière, comme creuset du peuple ; une entité politique arabe unique née du besoin de se défendre de l’impérialisme et du colonialisme, en envisageant l’unité du Croissant fertile comme puissance.

Toutefois, simultanément à ces mouvements, des mouvements nationaux arabes sont apparus au XXème siècle et se sont cristallisés face aux dominances syrienne, égyptienne ou irakienne qui promouvaient le panarabisme. L’État-nation est un concept qui avait émergé dans le monde islamique au XIXème siècle déjà : l’amour du pays comme sentiment positif (al-watan).

Mais beaucoup voient alors le nationalisme comme opposé à l’universalisme islamique. Différentes conceptions du terme « nation » se structurent dès lors : al-aawmiyya, qui repose sur la langue arabe commune et inclut donc tous ceux qui la parlent, impliquant une conception panarabe ; et al-wataniyya, qui repose sur une conception plus locale de la nation, à l’échelle d’un État particulier ou d’une région particulière. François Zabbal impute « l’invention de la nation arabe (…) aux nouvelles élites citadines modernistes, nées des réformes ottomanes et réagissant au démantèlement de l’Empire » ; et, à la fin du XIXème et au XXème siècle, ce sont ces élites, qui sont éduquées séculairement, qui veulent transmettre leur approche au peuple et participer à modernisation des pays arabes.

Ceci-dit, Mehmet Ali déjà, alors vice-roi d’Égypte, avait entamé une série de réformes structurelles au début du XIXème siècle, pour démontrer qu’un progrès rapide était possible pour le Monde arabe.

Sous la férule ottomane, les Arabes étaient dominés mais unis. Le lent déclin de l’Empire ottoman permet progressivement aux mouvements antiautoritaires, indépendantistes et de pensée nationaliste de prendre leur essor -dirigés par des élites autochtones, en partie éduquées en Europe, qui diffusent la notion d’État national et laïc dans le Monde arabe. Mehmet Ali gouverne en Égypte pour le régime ottoman, mais il devient un précurseur du réveil arabe et réclame l’autonomie pour l’Égypte par rapport à Istanbul, un réveil qui se traduira dès la fin du XVIIIème siècle avec les premières insurrections arabes face au régime ottoman.

Les origines du panarabisme

C’est d’abord l’histoire de la « Nahda », de la « renaissance » arabe…

Le précurseur en est Mehmet Ali, qui, « grâce » à la courte intervention de Bonaparte en Égypte (1798-1801) et aux missionnaires chrétiens, réoriente l’Égypte vers l’Occident et la modernisation.

Dans un deuxième temps, l’idée de participation et de démocratie est importée, et celle de raison également, afin de réveiller la culture et la science arabe (iqtibas). Mehmet Ali adhère au projet de nation arabe et favorise l’émergence de cette renaissance. Les buts sont de rattraper le retard de l’Empire ottoman sur l’Europe en plein essor intellectuel. La Nahda se focalise surtout sur la langue arabe et l’élite éduquée joue un rôle important en adaptant les concepts et les idées importées aux sociétés arabes.

Les réformistes intellectuels Djemal ad-Din al-Afghani et Mohamed Abduh formulent les trois idées centrales de la Nahda. Premièrement, l’unité politique et l’unité religieuse (al-tawhid) ; deuxièmement, la réinterprétation des textes religieux (al-ijtihad) ; et, troisièmement, la consultation des élites (as-choura). Ces trois points permettent l’orientation du Monde arabe vers la modernité. Ils coïncident aussi avec les réformes ottomanes du « tanzimat », au milieu du XIXème siècle, qui réorganisent l’administration, les institutions, le militaire et la vie politique ottomans et introduisent des éléments démocratiques ainsi que les droits de la femme et le concept d’égalité. Leyla Dakhli qualifie la Nahda en tant que « mouvement romantique de redécouverte des anciens, de traduction des contemporains, de retour à la critique et au commentaire religieux, ambitionnant de redonner d’abord à la langue arabe sa modernité, sa capacité à dire le monde moderne, tout en l’unifiant ».

Dès lors, l’idée se fait jour qu’une nation arabe doit succéder à l’Empire ottoman, mais qui ne serait pas directement opposée à l’Empire ottoman au départ. Le moyen en est une mise en évidence de l’unité arabe et de la grandeur de l’héritage intellectuel commun (social, culturel et linguistique). Depuis l’Égypte, cette ambition s’étend vers la Grande Syrie  qui  devient le berceau du nationalisme arabe –s’inspirant toujours de la renaissance européenne. Mais, à la fin du XIXème siècle, on est encore assez loin d’une mobilisation arabe à grande échelle.

Petite histoire du panarabisme au XXème siècle

En 1908, le mouvement des Jeunes Turcs se révolte contre le pouvoir du Sultan ottoman ; s’ensuit une période de nationalisme strictement arabe, plus du tout religieux, répondant au nationalisme panturque.

Des sociétés arabes secrètes sont créées, qui revendiquent le réveil arabe et le début de la politisation des revendications nationalistes (sans prendre en compte l’Islam), la fin de la soumission aux empires ottoman, britannique ou français et l’établissement d’une entité arabe unie.

Dans les années 1910 naît un réel projet séparatiste et les capitales européennes et nord-américaines deviennent les foyers « d’élaboration de projets nationalistes multiples ». Sera ainsi organisé, en 1913, le premier congrès général arabe convoqué par les organisations nationalistes arabes, formulant des demandes de réformes radicales et urgentes à l’intention de l’Empire ottoman, ainsi que le droit pour les Arabes de l’empire d’exercer des prérogatives politiques, d’occuper des postes dans l’administration centrale et de promouvoir l’arabe au rang de langue officielle des provinces arabes de l’empire.

La première guerre mondiale marque un coup d’arrêt : le gouvernement ottoman ne tolère plus d’opposition –toute forme de manifestation nationale arabe est dès lors considérée comme un acte de trahison et est sévèrement réprimée –c’est dans ce cadre que prend également place le génocide des Arméniens.

C’est alors que s’opère un rapprochement des milieux nationalistes arabes avec la France –facteur supplémentaire de distanciation des Arabes envers les Turcs- ; et, en 1915, les dirigeants arabes évaluent positivement les chances de succès d’un soulèvement contre l’occupant ottoman et s’allient avec les Français et les Britanniques. Ces derniers incitent le Chérif Hussein, dirigeant de La Mecque, fréquemment considéré comme le fondateur du panarabisme, à se révolter contre le pouvoir ottoman (épisode fameux, popularisé à travers l’histoire de Lawrence d’Arabie).

Français et Britanniques garantissent la création d’un État arabe après la chute de l’Empire ottoman. Hussein de La Mecque devient ainsi le leader de la révolution et demande le califat et l’indépendance de tous les pays arabes. Après l’exécution par les forces turques d’un grand nombre de militants nationalistes, le soulèvement arabe est déclenché, en 1916.

La chute de l’Empire ottoman, en 1918, libère le champ pour de nouveaux développements. La Syrie devient un pays indépendant, mais les Britanniques et les Français trahissent les Arabes par leurs accords secrets, connus sous le nom « d’Accords Sykes-Picot », et se partagent les territoires arabes libérés de l’Empire ottoman, encourageant les revendications sionistes en Palestine –donc une double trahison pour les Arabes.

Jusqu’alors, le but des nationalistes était l’indépendance des provinces arabes et la création d’un État arabe unifié ; l’arabisme est donc mis en avant, mais on ne peut pas encore parler de panarabisme ou de nationalisme arabe. Par contre, en réaction à cette double trahison, le nationalisme arabe se mue en mouvement d’opposition anti-impérialiste.

Après 1918, le sentiment national arabe devient très fort et fait son entrée en politique. Les États arabes ne sont pas des États-nations mais plutôt des « États-territoires », conséquence du tracé arbitraire des frontières dont ils ont fait l’objet après la première guerre mondiale.

Mais c’est l’échec des revendications arabes, victimes des divisions qui émergent du partage territorial consécutif aux accords Sykes-Picot et à la « trahison » européenne. Naît alors un patriotisme local ; mais pas un rejet du nationalisme arabe « global » pour autant. La force dominante n’est plus l’Empire ottoman, mais, désormais, le pouvoir colonial européen, britannique et français ; qui permet une nouvelle cohésion d’opposition, qui donne une fois encore aux élites l’idée de s’unir contre une force ennemie.

Dans les années 1920, de nombreuses révoltes contre les occupants ont lieu : en 1919, en Égypte, à l’issue de laquelle le pays devient indépendant, en 1922. Mais les Britanniques y maintiennent une forte présence militaire. En 1920, en Irak contre les Britanniques, qui par la suite abandonnent maints pouvoirs aux Arabes, restant toutefois un pouvoir consultatif. En 1925, en Syrie du sud, contre les Français, qui écrasent la révolte violemment. Donc, ces pays commencent à connaître des velléités plus fortes d’indépendance et d’union panarabe, qui se conjuguent dans les années 1930 avec des questions relatives au concept d’unité de la nation, à la place de la religion dans le mouvement nationaliste et au lien avec le panislamisme ; ou encore à savoir si le nationalisme est un projet politique concret, qui peut être politiquement promu, et quels seraient les nouveaux défis qui se présenteraient dans ce cadre pour les États arabes.

Ces questions sont adressées en 1931 à la première conférence panarabe, qui se tient à Jérusalem, en marge d’une conférence panislamique, pendant laquelle l’indépendance et l’opposition aux pouvoirs coloniaux sont au cœur des discussions et des conclusions : la nation arabe n’accepte pas de division ; tous les efforts visent à l’indépendance totale en une seule unité ; le rejet et la résistance face à la colonisation.

Le fils du Chérif Hussein, qui avait déjà commandé les troupes des insurrections de 1916 et avait été brièvement le souverain d’une Syrie indépendante, dominait dans les années 1920 et 1930 l’arène politique panarabe. Après avoir fui la Syrie, il reçoit la couronne d’Irak, qui devient ainsi le premier foyer du panarabisme à l’époque. Sati’ al-Housri, intellectuel ayant joué un rôle important dans le développement du nationalisme arabe et dont la pensée a fortement influencé les nationalistes arabes, en particulier les Baathistes, devient le ministre de l’Éducation du roi Fayçal Ier d’Irak. S’inspirant du nationalisme allemand, il met l’accent sur la langue et l’histoire, transformant l’Irak en une « Prusse arabe », avec l’intention d’unifier le Monde arabe.

Avec le support de Fayçal, le Parti de l’Indépendance arabe est fondé en 1932 et, du fait du nombre croissant des révoltes locales, les pouvoirs coloniaux sont contraints de concéder plus de libertés aux États arabes. En 1933, Fayçal Ier meurt ; le panarabisme perd un de ses plus éminents défenseurs. Néanmoins, « le royaume avorté de Fayçal continuera pendant des décennies d’inspirer des plans d’unité arabe ». Son fils, le roi Ghazi, poursuit le rêve de son père, de créer une nation arabe sous l’égide de l’Irak, libre et indépendante. Après sa mort en 1939, son successeur s’aliène les sympathies panarabes et permet ainsi aux Britanniques d’interférer en Irak. Un des premiers coups d’État du Monde arabe rapproche l’Irak de l’Allemagne nazie et de l’antisionisme, qui devient un des éléments de cohésion pour les Arabes, dont il constitue le dénominateur commun. En réponse à ce phénomène, les Britanniques, qui réalisent et acceptent in fine l’existence du panarabisme, reconnaissent le mouvement et encouragent un rapprochement entre l’Égypte et le reste du Monde arabe, parvenant ainsi à contrer l’influence des capitales de l’Axe dans le Moyen-Orient. C’est à ce moment que se précise la rivalité entre l’Irak et l’Égypte pour le leadership du Monde arabe.

Durant la seconde guerre mondiale, des forces européennes occupent plusieurs régions du Proche et du Moyen-Orient, mais, par après, une vague d’indépendances des États arabes saisit la région.

Tandis que la seconde guerre mondiale déchire encore l’Europe, l’Irak propose en 1943 la création du « Croissant Fertile » regroupant l’Irak, la Syrie, le Liban, la Palestine et la Transjordanie. Cet État levantin constituerait ainsi une ligue arabe avec l’Égypte, que d’autres États arabes pourraient rejoindre. Cette proposition fut perçue par les Arabes comme une tentative expansionniste hachémite ; néanmoins, elle démontre l’adoption de l’identité arabe par les chefs irakiens. L’Égypte aussi fait sa proposition, sous le gouvernement de Nahas Pasha, qui fut plus populaire, à cause de l’aversion d’une large partie du Monde arabe à l’égard de la dynastie hachémite. Ni l’une ni l’autre idée n’était réalisée, lorsque, en 1944, le Protocole d’Alexandrie donna le coup d’envoi de la formation de la Ligue des États arabes, laquelle pris corps en 1945, incluant l’Égypte, l’Irak, la Syrie, l’Arabie Saoudite, le Liban, la Transjordanie, le Yémen et la Palestine.

Après la deuxième guerre mondiale nombre d’États arabes deviennent indépendants : la Syrie en 1946, la Libye en 1951, les pays du Maghreb un peu plus tard ; l’Irak et l’Égypte l’étaient déjà.

Gamal Abdel Nasser accède au pouvoir en Égypte en 1956, après un coup d’État fomenté en 1952 par un groupe d’officiers égyptiens qui avaient renversé le roi Farouk et débarrassé l’Égypte de l’influence britannique.

Nasser devient un symbole : c’est la nouvelle personnalité forte du panarabisme et il va le promouvoir durant tout le reste de son existence. Pendant cette époque de guerre froide, il offre aux Arabes un troisième chemin à travers l’idéologie panarabe. Les bases du panarabisme nassérien se trouvent dans l’auto-estime retrouvée par les Arabes dans la période postcoloniale, dans le ressentiment envers les puissances étrangères qui cherchent à s’immiscer dans les affaires intérieure des États arabes et à les manipuler –donc dans un rejet de l’Occident– et dans l’antisionisme qui permet une cohésion entre les États arabes, face à Israël –une idéologie qui semble conjuguer l’objectif de détruire le jeune État d’Israël et celui d’établir un État arabe uni. Toutefois, le rejet de la religion comme élément fondateur de l’identité politique reste une constante du phénomène, bien que l’Islam représente un élément de base de la culture et de l’histoire arabes communes. C’est ainsi une idéologie socialiste et laïque qui se développe en Égypte sous Nasser et dans maints autres pays.

En 1947, Michel Aflaq et Salah ad-Din Bitar comprennent la nécessité d’une résurrection (« baath », en arabe) des Arabes et fondent le parti Baath en Syrie, un mouvement politique laïque et socialiste, qui va rapidement se propager à travers la région. Dans les années 1960, des coups d’État militaires en Syrie et en Irak mettent au pouvoir des régimes baathistes. Bien que leur principe fondateur soit la propagation du panarabisme, peu d’efforts concrets seront mis en œuvre par ces régimes pour développer le panarabisme.

L’éducation européenne des élites a contribué au désir de modernisation et a initié le mouvement panarabe. Relié à l’éducation, la modernisation du pays, initiée par les élites et le gouvernement, passe par la réforme de l’État -aussi sur le plan politique. Mais la modernisation comme positionnement dans le Monde arabe et au niveau mondial suscite des tensions entre les pays arabes, sur les questions du pilotage du projet panarabe et des rapports de force entre eux.

L’apogée du panarabisme se situe entre 1958 et 1967, après le dernier plan anglo-hachémite d’une union d’État plus large, qui échoue et ouvre la porte à la domination du parti Baath en Syrie et en Irak.

Plusieurs tentatives de fusion sont entreprises, quelques années seulement après les premières initiatives irakiennes et égyptiennes. Notamment la République Arabe Unie, qui rassemble l’Égypte et la Syrie, entre 1958 et 1961 dans les faits, et jusqu’en 1971 sur le papier –un projet promu par Nasser. Le leader libyen Mouammar Kadhafi promeut aussi le panarabisme et projette « l’Union des Républiques Arabes », dont l’accord sera signé en 1971, mais qui ne prendra jamais forme et disparaîtra en 1984 avec le retrait unilatéral de l’Égypte, après une longue détérioration des relations entre Tripoli et Le Caire. Une « Fédération Arabe d’Irak et de Jordanie » avait brièvement vu le jour en 1958 –fédération entre deux cousins hachémites, les rois de Jordanie et d’Irak– qui n’avait pas duré plus de six mois, ayant succombé à l’abolition de la monarchie en Irak, suite au coup d’État.

Toutes ces tentatives auront été infructueuses et le mouvement s’essoufflera peu après la mort de Nasser, en 1970, et l’islamisation du régime de Kadhafi, entre autres causes.

En 1967 (guerre des six jours – troisième conflit israélo-arabe), la coalition arabe s’engage dans une guerre contre Israël, qui est présentée comme la « bataille du destin » ; mais les Arabes en sortent vaincus. « Le rideau tombe sur le panarabisme agressif » et le nationalisme arabe souffre alors d’un irréversible schisme qui entraîne sa marginalisation politique ; et le mouvement du panislamisme s’imposera peu à peu à sa place.

C’est ainsi le déclin de la grande période panarabe, et différentes raisons en sont à l’origine –pas seulement la défaite dans la guerre des six jours.

Les Britanniques et les Français ayant quitté la région et les politiciens et leaders des pays arabes n’étant plus désormais les marionnettes de ces pouvoirs coloniaux, l’une des motivations du mouvement pour l’union arabe –le combat contre ces pouvoirs coloniaux– avait disparu. Le colonialisme avait constitué l’opportunité majeure pour les États arabes de s’unir contre un ennemi commun, comme cela avait été le cas à l’époque de l’Empire ottoman. L’opposition aux pouvoirs coloniaux par le droit à l’auto-détermination était difficilement critiquable par les pouvoirs coloniaux eux-mêmes. Ce qui avait largement contribué à accélérer le mouvement d’émancipation des nations arabes –mais, une fois la période coloniale achevée, la motivation en faveur du nationalisme est retombée. D’autre part, les attachements locaux et régionaux ont repris le dessus ; la notion de « qawmiyya » est donc remplacée par celle de « wataniyya ». De plus, les minorités se réveillent, réclament leur autonomie et s’opposent de facto au principe nationaliste : l’Irak, par exemple, révèle son caractère d’État artificiel ; l’Irak se fragmente entre des Kurdes, eux-mêmes issus de plusieurs ethnies, une minorité arabe sunnite au gouvernement et une majorité arabe chiite qui craint de devenir une minorité en rejoignant un projet panarabe… Par ailleurs et enfin, il n’y avait aucun intérêt dans l’adoption de concepts démocratiques par les dirigeants arabes –tels que le partage des pouvoirs, le pluralisme, la liberté d’expression politique– qui auraient pu contrebalancer la perte de popularité du panarabisme et garantir sa continuité.

Aussi, le rôle de l’armée devint plus important –comme outil de centralisation. La série de coups d’État qui ont eu lieu à partir des années 1950, « marque de fabrique du panarabisme », selon François Zabbal, démontre la « corrélation entre la faiblesse des institutions et le rôle grandissant des forces armées ». De plus, l’Arabie Saoudite commença de contrer le communisme soviétique en lui opposant l’islamisme radical, qui fut alors perçu comme une alternative viable au panarabisme et reçut la préférence de nombreux courants arabes.

Le panarabisme démystifié…

Les raisons du développement du panarabisme sont à trouver dans un premier temps dans le rejet du pouvoir dominant, à savoir l’Empire ottoman, qui entraîne la naissance d’un nationalisme arabe. Cette motivation se transforme ensuite en rejet de l’Occident à la suite des accords Sykes-Picot.

Les Arabes commencent alors à développer une conscience commune –encouragée par des penseurs tels qu’al-Housri qui déclara au Caire, en 1950 : « Il nous faut toujours affirmer que les Syriens, les Irakiens, les Libanais, les Jordaniens, les Hedjaziens, les Yéménites appartiennent tous à une seule nation, la nation arabe. » Sa pensée sera développée et traduite en partis politiques dans les années 1930 et 1940, comme par exemple le parti Baath, dont le principal objectif sera la propagation de la pensée panarabe dans un cadre socialiste et laïque –mais, une fois au pouvoir, les Baathistes ne mettront que peu en œuvre les principes du panarabisme.

L’antisionisme est utilisé par les dirigeants arabes afin d’unir les peuples arabes contre une ennemi commun, Israël, une politique qui culmina dans la guerre des six jours, qui mettra fin au panarabisme tel que l’avait propagé Nasser.

Mais le déclin du panarabisme n’est pas seulement explicable par la défaite contre Israël et la démoralisation du mouvement consécutif à la défaite ; il l’est aussi par le fait que l’Occident avait quitté le Proche-Orient et qu’il n’y avait donc plus de pouvoir dominant, et surtout par le fait que le panarabisme comme troisième voie dans le cadre de la guerre froide semble n’avoir été qu’une façade pour les dirigeants, souvent dictatoriaux, un moyen pour eux d’établir leur hégémonie dans la région.

« Au final, en conclut Martin Kramer, l’indépendance n’a pas changé la carte dessinée par l’impérialisme. » Le moteur le plus important durant la période où le panarabisme connaît son apogée, ce furent les velléités expansionnistes des pays arabes, surtout de l’Irak, de l’Égypte, de la Syrie et de la Libye ; « leurs propositions et contre-propositions, pour le ‘Croissant Fertile’, la ‘Grande Syrie’ et la ‘Fédération Arabe’ [entre autres], étaient des plans d’auto-agrandissement. » De plus, remarque François Zabbal, « les partis politiques arabes se sont inspirés des idéologies européennes de l‘époque –le nazisme, le fascisme et le communisme », ce qui explique en partie le culte de la personnalité souvent présent dans les mouvements panarabes, notamment autour de Nasser, et faisant partie de la motivation panarabe, qui en fait était simplement un moyen d’étendre la propre sphère d’influence de l’État et/ou du leader concerné : « alors qu’il se voulait unitaire et dépassant les antagonismes confessionnels et tribaux, le panarabisme devint un instrument aux mains de fractions tribales ou confessionnelles, qui s’en saisissaient pour imposer leur hégémonie sur l’État et son appareil et pour bannir le pluralisme de la vie politique. »

Seulement après ce que Fouad Ajami a qualifié de « Waterloo du panarabisme », à savoir la défaite des Arabes dans la guerre des six jours, il devint possible, explique Martin Kramer, « de critiquer les mythes de l’arabisme et de voir les différences entre Arabes, non pas comme accidentelles, mais comme réalités vivantes et qu’il fallait respecter ».

Le panarabisme avait tenté d’ignorer ces différences en se concentrant sur des éléments qui, examinés a posteriori, étaient éphémères.

Depuis son déclin, le panarabisme a été remplacé par le (pan)islamisme, un courant apparemment plus cohérent, à travers le Monde arabe, et plus permanent, qui s’est renforcé à la faveur de la chute des derniers dirigeants laïcs au cours de ces dernières années : Saddam Hussein en Irak, déjà depuis plus d’une décennie, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte (mais remplacé par une nouvelle dictature militaire, opposée, précisément, à l’islamisation du pays), Kadhafi en Libye et peut-être aussi bientôt al-Assad en Syrie.

Néanmoins, la situation actuelle au Yémen et l’influence grandissante de l’Iran chiite dans ce pays, à travers les conquêtes du mouvement houthiste, ont provoqué la formation d’une armée panarabe, issue de la Ligue arabe… Serait-ce la résurrection d’un mouvement panarabe ? Est-ce une progression du mouvement panislamique ? Ou est-ce une mesure mise en place par un vrai pouvoir hégémonique à des fin d’expansion de sa sphère d’influence, à savoir, face à l’Iran, l’Arabie Saoudite sunnite, qui, contrairement à l’Égypte, l’Irak ou la Libye durant le XXème siècle, dispose de considérables ressources financières et militaires un siècle plus tard ?

Mais, au final, le phénomène des « printemps arabes » a démontré qu’il y a plus de différences que de points communs entre les pays arabes : la Tunisie, un pays dont la population, très éduquée, n’accepte plus les régimes violents et qui s’aligne sur l’Union européenne ; l’Égypte, qui est retournée aux jours de Moubarak, en pire probablement ; la Syrie, qui sombre dans un chaos multilatéral extrêmement meurtrier ; le Maroc, dont le gouvernement contente et calme le peuple par des « réformes placébo », et que l’Union européenne félicite pour ses progrès législatifs en matière de Droits de l’Homme, jamais appliqués dans les faits ; la Libye, qui cherche désespérément a se (ré)organiser en tant qu’État…

Au fil du temps et des entreprises aventureuses des géants du Monde arabe, après l’éclatement des peuples d’Afrique du nord et du Moyen-Orient dans le chaos du « Printemps arabe », le panarabisme s’est révélé un mythe.

Ou alors, clairement une relique de la pensée d’un temps passé, qui ignorait encore les spécificités aussi fondamentales que diverses qui éloignent et séparent les uns des autres les « Arabes », sur le plan ethnique, mais aussi sur les plans sociopolitique, religieux, culturel… autant de facteurs tant prégnants que les « printemps arabes » ont faits remonter à la surface avec une telle stridence qu’ils ont certainement définitivement renvoyé aux grands rêves de l’Histoire qu’avait caressée le XXème siècle de rassembler un jour la « nation arabe ».

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Dorian Kronenwerth

Political Scientist and Economist - Managing Editor for English

5 Comments

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  2. Nour Cash Rifai on

    Article très faux, analyse peu défini et très superficielle.
    Je me desabonne: je suis tres decu de vous, surtout des commentaire comme paul antoun

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