Le conflit Israélo-palestinien, qui dure depuis soixante-six ans, est entré dans une phase supplémentaire, avec l’invasion par l’armée israélienne des territoires autonomes palestiniens de Cisjordanie (des territoires toujours sous contrôle partiel d’Israël, qui refuse de reconnaître l’existence d’un État palestinien complètement indépendant). Cette opération israélienne, baptisée « Bordure de sécurité », a fait suite à l’assassinat de trois jeunes colons israéliens. D’aucun y voient cependant une manœuvre de Tel-Aviv pour saboter le processus de réconciliation palestinien, tout récemment amorcé, entre le Fatah (qui contrôle la Cisjordanie) et le Hamas (dominant dans la Bande de Gaza), les deux principales entités politiques palestiniennes. Quoi qu’il en soit, la décision israélienne d’investir la Cisjordanie a entraîné une réaction immédiate du Hamas, qui a tiré plusieurs roquettes sur Israël. L’État hébreu a répondu par un nouveau bombardement de Gaza, qui a éclipsé les événements de Cisjordanie et généré une nouvelle crise, d’une grande intensité, au Proche-Orient.
Henry LAURENS – Un mot de contexte, d’abord…
Israël présente toujours ses opérations comme la démonstration de sa capacité de dissuasion. En menant cette opération majeure sur la Bande de gaza, comme elle l’avait déjà fait auparavant, Israël a parlé de dissuasion, qui devait empêcher le Hamas de se lancer dans une confrontation d’envergure avec Israël.
Mais, de son côté, le Hamas pensait avoir lui aussi des moyens de dissuasion suffisants pour qu’une intervention sur la Bande de gaza coûte très cher à Israël.
Donc, on était dans une logique de dissuasion ; mais, comme Israël considère toujours que, quand les autres font de la dissuasion, c’est de l’agression… Et Israël ne comprend pas que les autres aussi peuvent penser comme cela. La dissuasion n’a donc pas du tout fonctionné.
Comment cela a-t-il commencé ? Avec la mort des trois jeunes gens en Cisjordanie, les trois adolescents israéliens assassinés, et l’accusation d’Israël, que le Hamas avait donné l’ordre, même s’il semble que les Israéliens soient en partie revenus sur cette affaire… Ensuite, il y a eu l’intervention des Israéliens en Cisjordanie et l’arrestation de députés du Hamas et de nombreux anciens prisonniers palestiniens qui avaient été libérés à la suite des derniers pourparlers… Et le Hamas a réagi en lançant quelques roquettes sur Israël.
Par ailleurs, il faut dire aussi que le Hamas se sentait acculé sur le plan de la politique intérieure palestinienne : on sait que ses finances étaient exsangues, depuis le coup d’État militaire en Égypte et la fin des aides que lui octroyaient les Frères musulmans, et le Hamas n’avait plus aucun moyen de payer les fonctionnaires à Gaza et perdait en popularité ; il y a donc eu de la part du Hamas une sorte de fuite en avant… Qui a entraîné une surenchère dans la réaction d’Israël, alors que, semble-t-il, Netanyahou ne voulait pas s’engager dans une opération d’une telle envergure.
Maintenant, chacune des deux parties estime que les événements lui ont déjà coûté trop cher pour faire marche arrière et qu’il faut aller jusqu’au bout.
Le Hamas veut se faire reconnaître comme le maître de la bande de Gaza et obtenir une ouverture sur l’extérieur. Quant à Israël, elle veut garder une mainmise totale sur ce territoire.
Voilà pour le cadre.
À partir de là, les négociations deviennent difficiles et le président palestinien, Mahmoud Abbas, et ses amis du Fatah n’y peuvent plus rien…
Le Courrier du Maghreb et de l’Orient – Quelles sont les grandes lignes d’opposition entre le Fatah et le Hamas ?
Henry LAURENS – Le Fatah, c’est un parti attrape-tout… Son cadre idéologique est dès lors assez large : il y a toujours eu des éléments très musulmans conservateurs comme des éléments très progressistes, au sein du Fatah. Au point que, aujourd’hui, le Fatah est assez vide sur le plan idéologique…
Le Hamas, en revanche, c’est un parti religieux, qui demeure assez fondamentaliste et défend en la matière des idées bien arrêtées…
Essentiellement, en outre, le Hamas, mouvement de combattants, s’est constitué en tant que force politique à partir du moment où l’Organisation de Libération de la Palestine (l’OLP), qui regroupait et unissait la militance palestinienne, a cessé de revendiquer la totalité de la Palestine et a accepté la formule des deux États, reconnaissant de facto le droit à exister d’Israël.
Le Hamas, de son côté, a continué de revendiquer la libération de toute la Palestine, suivant les chartes palestiniennes de 1964 et 1968.
Dans cette perspective, le discours du Hamas a toujours été de dénoncer les Accords d’Oslo de 1993 (qui, il y a vingt ans, envisageaient la création d’un État palestinien) comme une tromperie, de toute façon : « Vous croyez que vous allez avoir deux États, mais vous vous faites rouler dans la farine. Les Israéliens sont des escrocs et vous êtes bien naïfs si vous croyez qu’ils vont vous donner un État. »
Donc, après l’échec d’Oslo, le Hamas a pu surfer sur les événements : « On vous l’avait bien dit ! »
Mais, en même temps, le Hamas s’est retrouvé complètement bloqué, dans la mesure où la Communauté internationale ne s’est montrée prête à négocier avec le Hamas que s’il acceptait de suivre la même démarche que l’OLP, c’est-à-dire un processus qui conduit à la reconnaissance de l’État d’Israël.
La position du Hamas, qui reste infréquentable à cause de cette position, était donc devenue complètement incompatible avec celle du Fatah.
CMO – Le processus de réconciliation récemment mis en œuvre est-il sur la bonne voie ? Sur quelles bases se construit-il ?
Henry LAURENS – Bon… Disons que, ainsi bloqué, mais surtout poussé par ses problèmes économiques, le Hamas, qui n’avait pas vraiment d’autre choix, a accepté de lâcher du lest en commençant par évoquer la possibilité d’une trêve de très longue durée avec Israël…
Mais sans jamais complètement revenir sur la libération de toute la Palestine, qui reste son horizon ; un horizon qui serait atteint, peut-être, dans cinq siècles ou dans dix, mais qui reste l’objectif du Hamas.
Alors, cette réconciliation… Il faudrait que le Hamas reconnaisse la nouvelle charte palestinienne et accepte l’option des deux États…
Vous savez, le Hamas a toujours été d’accord de promettre des accalmies dans le conflit, puisque, après tout, le Prophète Mahomet lui-même faisait des trêves avec ses ennemis quand il n’était plus en position de force…
Donc, maintenant, le Hamas accepte le dialogue, mais les gens du Hamas, en somme, ce qu’ils disent, c’est : « Bon, d’accord ! Essayez de faire votre truc avec les Israéliens… Mais ça ne marchera pas ; ils vont vous avoir ! »
Aussi, ce gouvernement palestinien d’union entre le Hamas et la Fatah, c’était un gouvernement de technocrates pour gérer les affaires courantes. Et il a toujours été très largement entendu que, si le Hamas cesserait, progressivement, de constituer un contre-pouvoir, il conserverait néanmoins son autonomie militaire et ses objectifs.
CMO – La politique agressive du Hamas, qui a immédiatement répondu à l’opération « Bordure de sécurité » -et de manière unilatérale, sans consulter l’Autorité palestinienne (le gouvernement palestinien de Ramallah)- en tirant des roquettes sur Israël depuis la Bande de Gaza, ne grève-t-elle pas de facto le processus de réconciliation nationale ? Le Fatah, en effet, a fait le choix d’une politique de négociation avec Israël et l’accord de gouvernement, auquel le Hamas avait adhéré, allait dans ce sens.
Henry LAURENS – C’est la fuite en avant dont je vous parlais ! Le Hamas n’a pas le choix : ou bien il perd tout, ou bien il réussi à se faire reconnaître comme un acteur incontournable maîtrisant réellement la Bande de Gaza.
Le nœud du problème, pour le Hamas, c’est l’étranglement économique, à cause du blocus, qui est devenu total depuis que l’Égypte appuie Israël, et à cause du processus des transferts financiers, à savoir que c’est Israël qui gère les ressources économiques de la Bande de Gaza et peut comme elle le veut refuser de verser les fonds.
Dans ce processus de réconciliation, le Hamas s’est vite rendu compte qu’il allait vers une mort douce : Israël, malgré l’attitude plus conciliante du Hamas, n’a pas donné les fonds aux gens du Hamas qui gouvernent à Gaza.
Donc, le Hamas n’avait plus le choix, de toute façon : entre une mort douce, lente, et une mort violente, mais en faisant bobo à Israël, le Hamas a pris le risque d’une mort violente.
CMO – Cela étant, une politique de négociation avec Israël est-elle réaliste, du point de vue palestinien ? Les accords de 2012, qui ont fait suite à la dernière « opération » militaire israélienne contre les Territoires autonomes palestiniens, accords passés sous l’égide du Caire, n’ont jamais été respectés par Tel-Aviv. Ils prévoyaient notamment la fin du siège de Gaza…
Henry LAURENS – Bien sûr, c’est toujours la même chose… Et, si vous considérez la présente crise, ce ne sont pas les négociations qui vont nous en faire sortir ; c’est l’accumulation des cadavres.
Et on ne peut pas non plus consommer éternellement des quantités de munitions…
Mais ce n’est évidemment pas une solution durable qui s’imposera ; une nouvelle trêve, oui, plus ou moins longue.
Pour arriver à une solution durable, il faudrait traiter la question fondamentalement. Or, le dialogue israélo-palestinien, il est mort.
Monsieur Kerry, le ministre des Affaires étrangères américain, est venu faire ce qu’il pouvait, c’est-à-dire rien, car il connaissait très bien les réalités du terrain.
Monsieur Netanyahou sait ce qu’il veut ; depuis le début des années 1990’ son but est bien défini : quelques enclaves palestiniennes dans lesquelles on rassemblerait un maximum de Palestiniens. Soit 10, 15 ou 20% du territoire ; comme ça, on peut dire qu’ils gèrent leurs propres affaires et ne sont pas opprimés… Et le reste à Israël.
Netanyahou a toujours été fidèle à cette vision des choses.
CMO – Qu’en est-il, selon vous, des intentions du gouvernement israélien, lorsqu’il prend la décision de réinvestir militairement la Cisjordanie ? Retrouver les assassins des trois jeunes colons ou, comme certains le suggèrent, détruire le processus de réconciliation palestinien ?
Henry LAURENS – Je ne pense pas qu’il faille approcher l’affaire en ces termes. Je crois plutôt qu’il s’est agi d’un moment dans un enchaînement dramatique, résultat d’une erreur de calcul comme on en commet souvent au Moyen-Orient…
D’un côté, il est possible que le Hamas ait donné l’instruction, générale, d’enlever des Israélien, pour effectuer un quelconque marchandage. De leur côté, les Israéliens savaient dès le début que les trois gamins avaient été tués, mais ils ont gardé l’information secrète pour faire un maximum de pub avec cet enlèvement, pour à la fois se présenter avec une image de victime à l’extérieur et à la fois se donner une bonne excuse pour frapper encore une fois les infrastructures du Hamas, en Cisjordanie ce coup-ci.
Et puis, on est entré, comme je vous le disais, dans un processus d’échec des dissuasions…
C’est typique de la région. Israël fait des guerres pour dissuader ses adversaires de faire la guerre. Ce qui est absolument absurde, bien évidemment. Mais ce fut le cas en 2006, en 2008, etc. : les Israéliens expliquent qu’ils font la guerre pour rétablir régulièrement la capacité de dissuasion de l’armée israélienne. Or, si l’armée israélienne a des capacités de dissuasion, elle n’a pas besoin de faire la guerre… Je montre mon bâton pour ne pas devoir l’utiliser, mais je suis forcé de l’utiliser pour montrer que c’est vraiment un bon bâton…
Je pense aussi que l’état major israélien est profondément contaminé par les enseignements de science politique sur les théories de la dissuasion : on voit de plus en plus d’officiers de l’armée israélienne suivre des troisièmes cycles sur ces questions, où on leur apprend qu’il faut faire la guerre pour montrer qu’ils ont les moyens de ne pas la faire…
CMO – Plusieurs membres du gouvernement israélien envisageraient de reconquérir Gaza… Est-ce plausible ? Pour qu’y faire ?
Henry LAURENS – Israël a tout à fait les capacités militaires pour reconquérir Gaza et la tenir.
Mais cela coûtera cher financièrement et militairement. Ce n’est donc pas du tout dans l’intérêt d’Israël.
Le statuquo actuel est génial pour Israël : « Elle garde l’essentiel de la dote, sans avoir à gérer la mariée ! » C’est une expression de Levi Eshkol, le premier ministre israélien en 1967. On veut la dote, mais pas la mariée : dans ce cas précis, on fait entretenir les Territoires palestiniens par la Communauté internationale, qui allonge les fonds.
Alors, pourquoi reconquérir Gaza ? La situation actuelle ne coûte rien à Israël, qui a pris possession d’une grande partie du territoire de la Palestine et a relégué les Palestiniens dans cette enclave. Pour Israël, c’est génial ! Elle évite les coûts de gestion et même la responsabilité de devoir administrer tous ces gens.
Les « Territoires autonomes », ça a été créé pour s’éviter ces corvées.
CMO – L’attitude passive, voire complaisante, des États arabes, dans cette crise plus encore qu’auparavant, étonne fortement. Cette attitude s’explique-t-elle ?
Henry LAURENS – Ha ! Mais vous pensez bien ! Ça pète en Irak, le Liban est dans une situation explosive, ça reste pas mal tendu en Égypte, c’est le chaos en Libye… Chacun a largement de quoi s’occuper !
L’Égypte a de gros problèmes intérieurs, catastrophiques sur le plan économique. Vous avez 170.000 morts en Syrie. Et l’Irak est en proie à une insurrection comme jamais vue.
Sans parler du Yémen qui bascule aussi !
Et le Hezbollah est trop occupé en Syrie pour se permettre la moindre intervention à partir du Liban-sud…
Et puis, comme le dit mon ami Jean-Pierre Filiu : « Réveillez-vous ! Vous pleurez sur Gaza, mais vous n’avez rien dit quand il y avait des bombardements sur le camp palestinien de Yarmouk, en Syrie ! »
Mais, en plus, il y a le fait que le Hamas est une pièce stratégique du jeu régional ; et ni l’Arabie saoudite, ni le régime actuel en Égypte ne veulent d’un Hamas fort. Le Hamas qui est dans la mouvance des Frères musulmans…
CMO – Qu’en est-il, en effet, de l’Égypte du maréchal al-Sisi, qui collabore activement avec Israël et a par exemple fermé les tunnels de Rafah, coupant toute retraite aux Palestiniens de Gaza et leurs principales voies d’approvisionnement ?
Henry LAURENS – Deux choses : d’une part, les Égyptiens n’ont jamais beaucoup aimé les Palestiniens. Il suffit de voir comment, de façon générale, les réfugiés palestiniens sont traités en Égypte pour ne pas avoir d’illusion sur la manière dont les Égyptiens considèrent les Palestiniens…
La population égyptienne est assez xénophobe ; ça, il ne faut jamais le perdre de vue. Ça ne les dérange donc pas vraiment que leur gouvernement abandonne les Palestiniens à leur triste sort.
D’autre part, le gouvernement égyptien reproche au Hamas sa responsabilité des troubles quasi insurrectionnels dans le Sinaï, qui ont commencé avec la prise de pouvoir du Hamas à Gaza et sa politique de développement de la contrebande, dans le Sinaï. On parle non seulement des armes que le Hamas a fait entrer à Gaza par le Sinaï : quand vous faites passer jusqu’à des missiles par les réseaux de contrebande… ; mais on parle aussi de la responsabilité du Hamas dans l’insurrection djihadiste qui déstabilise pour le moment la région du Sinaï.
Dites-moi dès lors ce que le Hamas pouvait attendre comme aide des militaires égyptiens ?
CMO – Vu de Cisjordanie, l’attitude de la population palestinienne est plutôt déconcertante. Quand on sait ce qui se passe à Gaza, on est surpris par le calme qui règne en Cisjordanie, voire par le désintérêt manifeste d’une majorité de la population… La fracture Fatah-Hamas n’existerait-elle pas seulement à l’échelle politique, mais serait-elle devenue réalité, dans les mentalités ? Le peuple palestinien serait-il désormais partagé entre deux entités, qui ont vécu séparées pendant une décennie complète et ont pris chacune un chemin différent, Gaza et la Cisjordanie ?
Henry LAURENS – Depuis 2000, en effet, Gaza et la Cisjordanie ne suivent plus du tout la même route…
En fait, pour dire les choses telles qu’elles sont : Gaza et la Cisjordanie n’ont eu de rapports réels l’une avec l’autre qu’au moment où elles étaient sous occupation israélienne, après 1967. Auparavant, depuis 1948, Gaza était sous administration égyptienne et la Cisjordanie faisait partie de la Jordanie, un État souverain. N’oublions pas cette réalité historique.
Jusqu’en 1967, donc, les relations entre ces deux zones palestiniennes étaient relativement faibles… Ne serait-ce qu’à l’époque nassérienne, la Jordanie était souvent dans le camp opposé à celui de l’Égypte et les rapports entre les populations palestiniennes des deux camps étaient presque nuls. Les relations humaines entre ces deux régions étaient très distantes.
Alors, certes, après 1967, avec l’occupation israélienne, les relations se sont renouées ; mais, depuis 2000, c’est à nouveau mort. Cela fait quatorze ans… Il n’y a plus de circulation : les gens de Gaza ne se rendent plus en Cisjordanie et vice-versa ; ils n’en ont plus l’autorisation. Donc, ces deux univers s’éloignent…
Aussi, je me rappelle d’un de mes passages en Cisjordanie, en 1998 ; c’était l’époque où on parlait de la construction d’une route qui devait relier la Cisjordanie et Gaza (ça n’a duré que quelques mois…) : les gens de Cisjordanie étaient inquiets ! Parce que l’arrivée de travailleurs de Gaza en Cisjordanie leur posait problème : à Gaza, on était payé d’un salaire de misère et on acceptait n’importe quelles conditions de travail ; alors, les travailleurs de Cisjordanie craignaient que l’arrivée de travailleurs de Gaza ne porte un sérieux coup au niveau de vie de la population cisjordanienne… Il y avait des attitudes de ce genre-là, vous voyez ?
Mais, surtout, depuis quatorze ans, il n’y a plus d’échanges. Depuis la prise du pouvoir du Hamas à Gaza, les deux populations vivent séparément.
CMO – La complaisance des pays arabes envers Israël, mais aussi de toute la Communauté internationale, et l’impunité totale dont jouit l’État hébreu lui permettent de multiplier les assassinats de civils sans risquer aucune sanction, d’aucune part. N’est-ce pas là, aussi, un des nœuds du problème ?
Henry LAURENS – Ha, ça ! C’est bien sûr la question récurrente… Mais… Vous avez toute la question de l’Holocauste… Celle, très complexe, de la proportionnalité des forces en présence… Bref.
Mais, en vérité et surtout…
Il ne faut pas reprendre l’argument qui, en France, à été celui du Grand Rabbin et d’autres, qui est de dire : « Vous n’avez pas manifesté pour l’Égypte ou pour la Syrie, alors pourquoi manifestez-vous pour Gaza ? » Ça, c’est un mauvais argument. Ça revient à dire : « Les Arabes ont le droit de tuer des Arabes, mais les Israéliens n’en auraient pas le droit ?! C’est du racisme ! »
De ce point de vue là, c’est un mauvais argument.
Toutefois, il est un fait que personne n’a bougé lors du coup d’État en Égypte, qui a fait des centaines de morts. Que personne n’a bougé pour la Syrie. Et je cite à nouveau le camp de Yarmouk, en Syrie, parce que, là aussi, c’étaient des Palestiniens.
Ce qui se passe en ce moment à Gaza est terrible, mais tout comme ce qui se passe en Syrie est atroce, la Syrie dont on a abandonné la population ; je vous ai dit : 170.000 morts, et on n’en parle même plus à la radio…
Alors, pourquoi voudrait-on que les États-Unis ou l’Europe bouge davantage pour Gaza ?
Propos recueillis par Pierre Piccinin da Prata