ISLAM – Soufisme – Entretien (3/5) : «Les Musulmans sont en déphasage par rapport à l’humanité»

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Dans ses éditions précédentes, Le Courrier du Maghreb et de l’Orient a donné la parole aux islamistes fondamentalistes, aux Salafistes, partisans d’une lecture littérale du Coran et d’un « Islam authentique ».

Ces différents entretiens ont suscité de très nombreuses réactions au sein de la communauté des Musulmans « modérés », et dans le milieu du Soufisme notamment, très opposé aux thèses salafistes et à leur lecture d’un Coran qui, notamment, autoriserait la violence (le djihad armé) comme moyen licite de promouvoir et de répandre l’Islam.

Saïd DJABELKHIR[103509]Pour en débattre, Pierre Piccinin da Prata a engagé le dialogue avec Saïd Djabelkhir, journaliste algérien, chercheur en sciences islamiques et spécialiste du Soufisme.

Troisième partie de cet entretien, dont le premier volet a été publié dans l’édition de juillet-août 2016 du Courrier du Maghreb et de l’Orient.

Pierre Piccinin da Prata – « Le Coran ‘parle’ à travers nous, pas à travers Dieu. » Ne serait-ce pas plutôt que Dieu nous a parlé directement, au Prophète du moins, qui nous a fidèlement transmis le message, lequel a été consigné dans le Coran ? Décidément, les Salafistes me semblent faire preuve d’une rigueur et d’une logique plus exactes au regard du Coran ; et ce tant en ce qui concerne le processus de transmission du message qu’en ce qui concerne la mise en œuvre de  ce qu’il prescrit… Et j’insiste à mon tour : si les doctrines se heurtent et s’entrechoquent, ce n’est pas parce que le Coran est ésotérique ou serait imprécis, mais parce que d’aucuns, pour des raisons diverses et nombreuses (souvent politiques ou économiques et peu avouables), ont voulu lui faire dire ce qu’il ne dit pas, au-delà du sens simple et intelligible du message délivré. Il en va de même de toutes les religions, de la loi de Moïse, qui est d’une limpidité exemplaire, ou du message de Jésus-Christ, que des clercs ont trituré dans tous les sens pour justifier l’injustifiable, comme par exemple saint Augustin, la « guerre juste »…

Si je puis reformuler ainsi ma question : l’idjtihad ne doit pas être imposé au Coran pour adapter la parole de Dieu à la société comme elle va ; ce devrait être le contraire : ce devrait être la société qui devrait subir une forme d’idjtihad, pour devenir conforme à la loi de Dieu… Si je prends l’exemple de la prière… Le respect des cinq prières quotidiennes est une des règles fondamentales de l’Islam. Le Coran ne présente aucune ambiguïté à ce propos (pas plus qu’en ce qui concerne le châtiment réservé par Dieu aux voleurs… par exemple… la main coupée…). Pourtant, nombreux sont les Musulmans « modérés » qui ne respectent pas cette règle absolue des cinq prières quotidiennes… Et qui justifient leur attitude en prétextant de la modernité et des impératifs de la vie en société au XXIème siècle… Vous admettez donc que, par l’idjitihad et au regard de la modernité, ce pilier de l’Islam pourrait être abrogé ?

S. DJABELKHIRDieu ne nous a pas « parlé directement » comme vous le dites ; il ne l’a fait avec personne. Même au Prophète, il n’a pas « parlé directement » ; il lui a « parlé » à travers l’archange Gabriel. Dieu a transmis un message à l’archange Gabriel, qui l’a transmis à son tour au Prophète.

Mais il y a une chose très importante : nous ne savons pas la nature (je ne parle pas du contenu) du message transmis de Dieu à Gabriel. Nous ne savons pas non plus la nature du message transmis par Gabriel au Prophète. Cette « nature » est très complexe, elle n’est pas aussi facile à comprendre ou à faire comprendre que les Salafistes semblent vouloir nous le faire croire.

Donc Dieu n’a pas directement « parlé » au Prophète. Et même, concernant le Prophète, nous ne pouvons pas affirmer qu’il a « enregistré » littéralement, c’est-à-dire « mot à mot » (nous ne savons même pas s’il s’est agi de mots), le message de Gabriel. C’est pour vous dire toute la complexité du « phénomène coranique ». Et à son tour, le Prophète nous a transmis ce qu’il a pu intérioriser et/ou comprendre du message de Gabriel qui est d’une « nature » toute autre que celle du Prophète. Imaginez un ordinateur qui « parle » à un oiseau. Ce sont deux « natures » totalement différentes. Que peut transmettre un ordinateur à un oiseau ? Et à son tour, que peut comprendre un oiseau du « message » transmis par un ordinateur ? Et aussi : que peut transmettre cet oiseau aux autres oiseaux comme lui ? Et quelle sera la forme du « message » de l’ordinateur « reçu » par cet oiseau et « transmis » aux autres oiseaux ? Je pense que cet exemple peut dire quelque chose sur la complexité de ce qu’on appelle « la révélation ».

Le Coran semble dire que le Prophète n’a pas « enregistré » la littéralité du message de « Gabriel », mais plutôt qu’il n’en a gardé que le sens qu’il a à son tour fait l’effort de « traduire » en mots et phrases arabes et qu’il a par la suite transmis à ses compagnons : « Il s’agit là d’une Révélation du Seigneur des mondes sur ton cœur pour que tu sois parmi ceux qui préviennent en une langue arabe pure et explicite.» (Coran, XXVI, 192-195) Chirazi, un ancien exégète, dit à propos de ces versets que le Coran a été révélé au cœur du Prophète, ce qui veut dire que c’est le sens qui lui a été transmis par Gabriel, et c’est le Prophète qui s’est chargé par la suite de faire l’effort de « traduire » ce sens dans la langue de son peuple.

« Le Miséricordieux a enseigné le Coran, a créé l’homme, lui a appris l’éloquence. » (Coran, LV, 1-4) Ibn Arabi, le célèbre soufi, dit à propos de ces versets, que « l’homme » cité n’est autre que le Prophète, à qui incombe la mission de traduire le message de Dieu, donc de Gabriel, en un langage compris par les hommes. En fin de compte, le Coran, c’est un texte dont le contenu est un « message » divin qui a été traduit par le Prophète en un langage humain. D’où la temporalité et l’historicité de ce texte, car le texte en lui-même est humain, même si le « sens originel » en est divin. C’est pour cela qu’il est très important de faire la différence entre la « parole de Dieu », que personne ne peut connaître ou atteindre, et le « Livre divin », c’est-à-dire un livre que les hommes ont écrit partant de sens et de signes qui sont d’origine divine.

Ainsi, « Gabriel » transmet des « signes révélationnels » que le Prophète fait l’effort de comprendre, d’intérioriser et de traduire dans un langage « facile » à comprendre et à interpréter (exotériquement parlant) par le commun des mortels : « Nous l’avons rendu facile dans ta langue, peut-être réfléchiront-ils. » (Coran, XLIV, 58)  Ou bien : « Nous l’avons rendu facile dans ta langue afin que tu annonces la bonne nouvelle. » (Coran, XIX, 97) Et encore : « Nous avons facilité le Coran pour qu’il soit mieux médité. Y a-t-il quelqu’un pour réfléchir ? » (Coran, LIV, 22)

Le message divin a donc été « facilité » ou « dilué », ce qui veut dire que nous sommes loin de la « version originale » de la « parole divine ». Ce message a donc été plusieurs fois « facilité », d’abord pour qu’il puisse être reçu et compris par l’archange Gabriel, puis par le Prophète, ensuite pour qu’il puisse être facilement traduit par le Prophète dans le langage de son peuple.

Vous semblez dire que l’interprétation salafiste du Coran est la « plus juste » ou « la seule valable ». Je ne suis pas de cet avis : malheureusement, les Musulmans adhèrent en majorité à la thèse salafiste, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils vivent un très grand anachronisme ou déphasage par rapport au reste de l’humanité. N’ayons pas peur des mots : les Musulmans ne sont pas dans le monde, ils sont plutôt à l’extérieur de ce monde, mieux encore : ils sont devenus le problème numéro un du monde.

Mais pour la religion (musulmane en l’occurrence) il ne s’agit pas de polémiquer théoriquement pour savoir laquelle de différentes lectures ou laquelle des interprétations est la plus « juste » ; comme je l’ai déjà dit, toutes les interprétations peuvent être « justes » au plan des règles de la langue arabe, et peuvent aussi être coraniquement soutenues et défendues. Non, il ne s’agit pas de ça ; il s’agit plutôt de savoir quelles sont les lectures et interprétations qui sont à même d’être utiles (je dis bien utiles) aux hommes et de répondre à leurs besoins dans leur contexte vital, ici et maintenant. Il n’existe pas d’interprétation « exacte » du Coran, c’est théoriquement et pratiquement impossible. Et même si une telle interprétation existe, il n’y a que Dieu qui peut la connaître, mais les hommes ne la connaîtront jamais, du mois dans cette vie : « À Allah le dernier retour. C’est alors qu’il vous annoncera ce sur quoi vous étiez en désaccord. » (Coran, V, 48)

Si les doctrines musulmanes se heurtent et s’entrechoquent, ce n’est pas par ce qu’elles ont délaissé « l’interprétation exacte du Coran », laquelle interprétation n’existe même pas. Si ces doctrines se heurtent, c’est justement par ce que les Musulmans n’ont jamais voulu admettre la temporalité et l’historicité du Coran, et par voie de conséquence la relativité de toutes les lectures et interprétations possibles et imaginables de ce texte « sacré ». Si les doctrines se heurtent c’est bien par ce que les Musulmans n’acceptent pas l’autre (la différence) à l’intérieur même du cercle civilisationnel de l’Islam, sans parler de ceux qui sont à l’extérieur de ce cercle.

L’expression « faire dire au Coran ce qu’il ne dit pas » n’a pas de sens, car le Coran, comme je l’ai déjà expliqué, est un texte muet qui ne dit rien de lui-même. C’est l’effort intellectuel humain qui le fait « parler » et lui fait dire des choses. C’est pour cela que tout le monde peut avoir raison à partir du moment où il prend ses arguments dans le Coran.

Au Coran, on peut faire dire la chose et son contraire, ce sont les règles de la langue arabe qui le permettent, personne n’y peut rien changer. Il s’agit de lire et interpréter le Coran de la façon la plus utile et la plus à même de répondre à nos besoins et questionnements dans le cadre du contexte dans lequel nous évoluons.

Il en découle que le « message délivré » par le Coran n’est justement pas dans le Coran, mais plutôt dans l’interprétation qui peut en être faite par les hommes. C’est pour cela que certaines interprétations du Coran (comme celle des Salafistes et de Daesh) forment des criminels convaincus, et d’autres interprétations (comme celle des modernistes ou des Soufis) forment des hommes ouverts, tolérants et surtout pacifistes. Pour être plus précis, je dirai que le Coran ne contient pas qu’un seul « message délivré », mais plutôt une infinité de « messages délivrés ».

Cela dit, nous n’avons rien à « imposer » au Coran, car il ne dit rien de lui-même. Est-ce qu’on peut attribuer une phrase à quelqu’un qui ne peut pas parler ?

En effet, sans l’effort humain de lecture et de réflexion critique qu’est l’idjtihad, le Coran ne dira rien du tout. Il va sans dire que chacun va comprendre le « message délivré » du Coran à sa façon. Donc il ne s’agit pas encore une fois d’« imposer » nos idées au Coran, il s’agit plutôt de la nécessité de l’idjtihad pour essayer de déchiffrer le message coranique selon le contexte, les questionnements et les besoins de chaque société. 

Vous me dites que « c’est la société qui devrait subir une forme d’idjtihad pour devenir conforme à la loi de Dieu ». Je vous pose la question : comment comprendre cette prétendue « loi de Dieu » dont vous parlez, si ce n’est par l’effort humain de lecture, de réflexion critique et d’interprétation qui n’est autre que l’idjtihad ? Donc au final, est-ce la « loi de Dieu » ou la loi de l’homme qui interprète le texte « divin » selon son contexte et ses besoins ici et maintenant ? Je pense qu’on ne peut pas parler de « loi de Dieu » sauf dans le cas où Dieu procéderait par lui-même à l’interprétation et à la lecture de « sa parole ». Et ça c’est pratiquement impossible. Donc au final, il s’agit de la loi de l’homme et non pas de celle de Dieu.

Le texte coranique ne change pas, il est figé. Mais la réalité humaine et les besoins de la société changent. Quand la réalité change, les législateurs changent les lois de leurs pays. Mais il se trouve que le Coran est « sacré ». Donc pour les Musulmans il est « intouchable » sur le plan de la forme (même s’il a changé de forme à travers son histoire). C’est la raison pour laquelle nous devons impérativement soumettre la lecture et l’interprétation de ce texte aux changements sociétaux. Ce ne sont pas les sociétés qui devraient revenir en arrière, c’est plutôt l’interprétation du texte religieux qui doit se soumettre à la réalité humaine. 

La prière est citée dans le Coran, mais de façon globale, c’est-à-dire que le Coran n’en a pas donné les détails, lesquels détails ont été cités dans les Hadits du Prophète. Il se trouve que ces Hadits (tous authentiques) ne sont pas toujours d’accord sur certains détails de la prière, si bien qu’on trouve beaucoup de divergences sur cette question entre les différentes écoles de la jurisprudence musulmane. Ceci pour vous dire que rien n’est « absolu » dans le Coran. Je ne veux pas dire par là que la prière devrait être abrogée du Coran. Ce que je veux dire, c’est que le Coran n’a cité la prière que sur le plan du principe. C’est-à-dire qu’il a laissé les détails de la forme de cette prière sans les préciser. Il en découle que le musulman qui ne veut se tenir qu’au seul Coran a le droit de faire sa prière comme bon lui semble. Comme quoi la forme de la prière musulmane n’est pas forcément cette forme figée que nous avons héritée de nos ancêtres Musulmans.

Je ne reviendrai pas sur les châtiments corporels (couper la main du voleur, flageller et/ou lapider à mort ceux qui commettent l’adultère, tuer celui qui décide de ne plus être musulman, etc.), car il est évident que ces châtiments sont aujourd’hui dépassés. Il faut savoir que ces châtiments ne sont que des « lois express » qui n’ont pas été inventées pas le Coran, mais qui ont plutôt été « plagiées » dans l’urgence sur les châtiments qui existaient déjà dans la société arabe bédouine, et même dans la société israélite. Donc le Coran n’a fait que reconduire les châtiments qui existaient déjà chez les Arabes et les Juifs de l’époque.

PPdP – Vous jouez sur les mots : Dieu ou l’archange Gabriel… Par ailleurs, la « nature » du message, c’est indubitablement « la parole », « le verbe », donc des mots. Sur le plan de la foi, c’est exprimé et précisé dans le Coran, à maintes reprises ; et, sur un plan historique, c’est la nature de la révélation dans la tradition judéo-chrétienne dont l’Islam découle plus encore qu’il ne s’inspire… Et donc un message transmis littéralement, sans qu’un mot de Dieu ait été changé ; c’est également précisé dans le Coran, et j’en ai fait mention déjà… « La parole de Dieu s’est révélée en toute vérité et équité. Nul ne peut modifier Ses paroles. » (Coran, 6, 115) Elle a été transmise aux hommes par le Prophète en « une langue arabe pure » et « explicite » ; vous avez cité le verset adéquat. Donc, des mots, transmis par Dieu au Prophète Mohamed (par l’intermédiaire d’un archange), des mots « que nul de peut modifier », le verbe de Dieu, des paroles, simples et intelligibles (« faciles »). Et comment en serait-il autrement ? Dans son omnipotence, Dieu peut faire entendre sa parole à l’oiseau aussi bien qu’à l’ordinateur, il n’est pas soumis aux contingences que vous postulez, et peut appeler un chat un chat. Le Coran, ce sont les mots intelligibles et précis de Dieu, les lois de Dieu, celles que les Salafistes entendent mettre en œuvre en les respectant toutes, à la lettre… Et non un message « dilué » et qui se serait d’une certaine façon « corrompu » en passant par une sorte de « téléphone arabe », comme semblent le croire les Soufis.

Quant aux prières, la règle en est bel et bien précisée dans le Coran : « Glorifiez Allah donc, soir et matin! A Lui toute louange dans les cieux et la terre, dans l’après-midi et au milieu de la journée. » (Coran, XXX, 17-18)

Mais, laissons ces deux points… Bref, si j’ai tout bien compris de la position soufie, on ne doit plus couper la main des voleurs aujourd’hui, à Alger ou à Paris, parce que cette loi divine n’est plus d’actualité ; elle n’est plus adaptée à la société policée de ces États modernes, à leurs valeurs humanistes, alors qu’elle l’était au VIIème siècle, dans le contexte historique d’une société moins policée, plus brutale. Je n’épiloguerai pas sur l’idée selon laquelle le Coran aurait « plagié » les pratiques humaines de l’époque concernant les châtiments corporels… Mais, donc, les valeurs et les besoins ont changé ; et dès lors, l’interprétation à faire du Coran a changé également. Succinctement, s’il vous plaît : c’est bien cela qu’il faut admettre ?

S. DJABELKHIRJe ne joue pas sur les mots. Il se trouve que les choses ne sont pas aussi simples que certains veulent nous le faire croire. L’archange Gabriel est cité dans plusieurs versets du Coran, je ne l’ai donc pas inventé. Il est établi en Islam, que Gabriel est l’intermédiaire entre Dieu et ses prophètes.

Je repose la question : pourquoi Dieu ne parle-t-il pas « directement » aux hommes ? En est-il « incapable » ? Et pourquoi ne parle-t-il pas directement aux prophètes ? En est-il « incapable » ? Le phénomène de la « Révélation » a fait l’objet de très profondes divergences quant à sa « nature », et ce déjà depuis le premier siècle de l’hégire. La « loi divine » n’est pas une « dictée » qui nous vient « en direct » de Dieu. Elle n’est que l’interprétation humaine et relative d’un texte qui ne dit rien de lui-même.

La « loi divine » peut effectivement ne plus être d’actualité, et je pense que c’est le cas aujourd’hui pour l’exemple que vous avez donné (le châtiment du voleur) et pour bien d’autres exemples que j’ai déjà cités.

Il en est ainsi pour la simple raison que cette « loi divine » est temporelle et historique. Je ne dis pas que ce que j’avance fait l’unanimité chez les Soufis. Il se peut que certains d’entre eux ne soient pas de cet avis. Mais en tout cas c’est mon avis, et l’avis de beaucoup de chercheurs et d’islamologues actuels.

Alors pour vous répondre : oui, c’est cela qu’il faut admettre.

PPdP – Mais alors, dans le cas d’une société musulmane, qui aurait conservé une culture éminemment guerrière et brutale –je pense à certaines tribus nomades que je connais très bien, dans le sud de la péninsule arabique ou dans le Sahara-, une culture pour ainsi dire identique à celle du temps du Prophète… Dans ce cas-là, il n’y aurait donc aucun problème à continuer d’appliquer la règle et à couper la main des voleurs ?

S.DJABELKHIRCe ne sont pas les tribus ou les chefs de tribus ou la culture tribale qui décident de la validité ou la non validité du texte religieux (couper la main du voleur par exemple pour prendre le cas que vous avez cité). C’est le juriste éclairé qui décide si la « loi divine » est valable ou pas pour le contexte sociétal actuel, qu’il s’agisse d’une société tribale traditionnelle, ou d’une société moderne.

J’ajoute qu’une société tribale qui échappe au contrôle de la modernité peut appliquer « les lois religieuses » comme bon lui semble. C’est le cas par exemple du Yémen ou de l’Afghanistan actuel.

Mais là on va parler d’un Islam tribal évoluant dans une société patriarcale et une culture identique à celle du temps du Prophète.  

PPdP – Donc, un Coran a géométrie culturelle variable… Dieu n’aurait-il pas mieux fait de délivrer son message directement à des cultures plus éclairées et moins brutales ? De s’adresser à Socrate dans l’Athènes du Vème siècle a.C., par exemple, plutôt qu’à Mohamed ; ou, mieux, peut-être, d’attendre la naissance de Voltaire ? Il aurait évité de faire couper les mains des voleurs, bien des « malentendus »… Et de la souffrance…

S. DJABELKHIRLe Coran en tant que texte ne change pas, mais sa lecture et son interprétation s’adaptent suivant les variations sociétales et culturelles. C’est la raison pour laquelle les écoles doctrinales et jurisprudentielles ont évolué à travers l’Histoire. Le Coran n’a pas changé. Ce qui a changé c’est le contexte et les interprétations.

Il ne sert à rien que Dieu délivre son message à des cultures et des sociétés éclairées, car ce genre de sociétés n’a pas besoin de religion. Le but ultime de la religion, quelle qu’elle soit, est de guider et d’éclairer les pas d’une société obscurantiste vers la lumière de la civilisation (j’entends par « civilisation » l’humanisation de la vie). Mais si la société arrive au stade de cette civilisation, à cette humanisation de la vie, c’est-à-dire à un stade où l’homme vie en harmonie avec son prochain dans le respect des droits et l’acceptation des différences ; dans ces conditions la société n’a plus besoin de religion ni de « révélation ».

C’est pour dire que les Socrate et les Voltaire n’ont plus besoin de religion. La religion est un train qui va vers une destination.

Une fois cette destination atteinte, on descend du train. Un train n’est pas fait pour y habiter. La religion est juste un élément qui aide les sociétés à devenir matures. Une fois cette maturité atteinte, elles n’en ont plus besoin. Mais le fait est qu’il y a des sociétés qui arrivent à ce résultat plus rapidement que d’autres. Les sociétés musulmanes patinent toujours, elles ont des difficultés à évoluer.

PPdP – Poussons maintenant la logique soufie jusqu’à ses conséquences… Le Coran est une œuvre humaine et non divine ? Un texte dépassé, obsolète, écrit par des Bédouins au VIIème siècle ? L’émanation d’une culture donnée à un moment donné ? Et non la révélation divine universelle et intemporelle ? On est bien d’accord ?

S. DJABELKHIRVous prenez des raccourcis.

D’abord je ne prétends pas représenter la « logique soufie ». Je représente mon point du vue personnel en tant qu’islamologue et chercheur dans le domaine du soufisme, sans plus. Le Coran est une « révélation » divine transmise, selon le Coran lui-même, par deux intermédiaires : le premier est l’archange Gabriel, le deuxième est le Prophète Mohamed. Cette œuvre a été transcrite et compilée par des humains aussi. Je n’ai jamais dit que ce texte était « obsolète et dépassé ». J’ai bien expliqué que ce texte est temporel et historique, et que c’est le côté jurisprudentiel, que ce sont les «lois » et règles de la jurisprudence qui y sont dépassées, pour une raison très simple, c’est qu’elles ont été édictées pour un espace et un temps bien déterminés.

Le reste de cette œuvre, les valeurs humaines et morales restent « valables » car elles sont universelles et font l’unanimité dans toutes les sociétés qu’elles soient traditionnelles ou modernes.

Donc oui, le volet jurisprudentiel du Coran ne peut pas être universel ou intemporel, car il ne répond par sa « nature » qu’aux besoins de la société bédouine patriarcale qui l’a vu naître.

PPdP – In fine, serait-il que la position soufie ne serait pas celle d’un Musulman ; mais plutôt celle d’un « déiste » ? Il est évident que les lois de Dieu imprimées dans le Coran ne vous conviennent pas… Et que ce sentiment se confirme, que les Musulmans « éclairés » apparaissent comme « piégés » par ce texte, qu’ils essaient désespérément d’amender et par tous les moyens…

S. DJABELKHIRComme je l’ai dit, la position que j’expose est ma position personnelle en tant qu’islamologue et chercheur, elle ne représente pas la position de tous les Soufis du monde. Mais c’est bien la position d’un Musulman, pas d’un « déiste » comme vous dites.

Les « lois de Dieu » ne sont pas forcément et exclusivement ce que vous comprenez. Ce que vous appelez « lois de Dieu » ne sont au final qu’une interprétation parmi d’autres du Coran. Ces « lois » s’adaptent obligatoirement suivant les contextes.

Les Musulmans éclairés ne sont pas « piégés » par ce texte comme vous le pensez ; ils en font une lecture différente, c’est tout.

Encore une fois, tous les Musulmans ne sont pas obligés de lire le Coran de la même façon. Et aucune interprétation ne peut prétendre représenter à elle seule le sens du Coran.

Les Musulmans éclairés n’essaient pas « d’amender » le texte coranique, mais plutôt d’en faire évoluer la lecture et l’interprétation, et personne ne peut leur interdire ce droit qui est reconnu par le Coran lui-même.

PPdP – Admettons cela, en termes de postulat. Mais alors –et je reviens sur la question de la prière-, si je pousse l’idjtihad soufi un peu plus loin dans sa logique, on peut donc en venir à abroger la prière ; ou du moins l’obligation coranique qui est faite d’accomplir quatre ou cinq prières quotidiennes : « Glorifiez Allah donc, soir et matin! A Lui toute louange dans les cieux et la terre, dans l’après-midi et au milieu de la journée. » (Coran, XXX, 17-18) Cela apparaît logique, dans bien des cas, si l’on tient compte des besoins et impératifs de la société moderne… Imaginons que je sois un Musulman, un commerçant ou un restaurateur, par exemple, à Paris ou à New York, c’est-à-dire dans des sociétés laïques qui ne prévoient pas d’espace de temps pour accomplir les prières ; je peux difficilement, dans les sociétés modernes occidentales, me plier à cet exercice quotidien, fermer mon commerce en plein après-midi ou dans la soirée au moment où les clients se pressent dans mon restaurant. Ma lecture du Coran et mon interprétation, en fonction des réalités sociales et économiques qui m’environnent, peut donc parfaitement m’amener à « abroger » cette règle et à ne plus prier qu’au matin et à limiter les cinq prières quotidiennes au dimanche, le seul jour où j’en ai techniquement le temps.

S. DJABELKHIRPas besoin de faire tout ce détour, car déjà à l’origine la prière des Musulmans, des premiers Musulmans, à la Mecque, au tout début de l’Islam, était très simple et ne prenait rien du temps de travail.

Les premiers Musulmans faisaient deux prosternations le matin avant de sortir de chez eux (donc avant les heures de travail) et deux autres prosternations le soir après les heures de travail.

La prière musulmane actuelle peut bien être allégée et ramenée à sa forme d’origine.

PPdP – Votre réponse est très claire… Mais ce n’est pas la règle coranique… La question des cinq prières quotidiennes constitue presqu’un tabou, intouchable, pour l’immense majorité des Musulmans… Alors, poussons l’idjtihad soufi au bout de sa pratique : on peut en venir à abroger le verset qui proclame qu’il n’existe qu’un seul Dieu… N’y aurait-il pas là aussi un sens caché ? Une formule ésotérique à résoudre ?  Et probablement là plus qu’ailleurs, en fait…

S. DJABELKHIRMême si nous nous en tenons aux cinq prières rituelles, il y a des dizaines de façons de les faire. Cela est détaillé dans les anciens manuels de jurisprudence. Les premiers Musulmans faisaient leurs prières en plein combat. Il ne s’agit donc pas de pratiquer une forme bien définie de la prière, mais plutôt d’en observer le fond. Il se trouve que ce fond s’adapte à toutes les formes. Le Musulman peut bien prier sans que personne ne se rende compte de ce qu’il fait…

S’agissant de Dieu, il est évident pour les Soufis ainsi que pour tous les Musulmans, qu’il n’existe qu’un seul et unique Dieu.

Mais les Soufis poussent cette idée encore plus loin pour dire qu’au fait Dieu est le seul qui existe, et donc tout ce qui existe, c’est Lui.

Alors vouloir « abroger » l’existence de Dieu dans la religion musulmane reviendrait à vouloir abroger l’existence même de l’Univers, car pour un Musulman l’Univers ne peut pas exister sans Dieu : « Dieu est la lumière des cieux et de la terre. » (Coran, XXIV, 35)

Sauf que dans la lecture soufie du Coran, Dieu et l’Univers ne font qu’un.

PPdP – Ainsi donc, l’idjtihad aurait ses limites… Pour abroger la règle relative à l’ablation de la main de voleurs, c’est OK ; mais il ne faut pas aller trop loin et s’en prendre à d’autres versets qui, eux, seraient comme « protégés » de l’effort d’interprétation… Bon, admettons… Mais, alors, force est d’admettre aussi qu’il y aurait donc, finalement, quelques « vérités absolues » ?

S.DJABELKHIRIl est bien évident que l’effort de l’idjtihad se fait dans la religion. Il ne peut donc pas abroger la religion tout entière.

Mais si on doit parler de « limites » pour l’idjtihad, je dirais que ses limites sont les « limites » du texte coranique lui-même, si toutefois ce texte a des limites.

Car le Coran affirme lui-même qu’il n’a pas de limites : « Si la mer était une encre pour écrire les paroles de mon Seigneur, certes la mer s’épuiserait avant que ne soient épuisées les paroles de mon Seigneur, quand même nous lui apporterions son équivalent comme renfort. » (Coran, XVIII, 109)

« Quand bien même tous les arbres de la terre se changeraient en plumes, quand bien même l’océan serait un océan d’encre où conflueraient sept autres océans, les paroles d’Allah ne s’épuiseraient pas. » (Coran, XXXI, 27) 

Si la parole de Dieu n’a pas de limites, l’idjtihad, lui non plus, n’a pas de limites. Mais comme il s’agit d’un effort de réflexion dans la parole de Dieu, nous ne pouvons pas « abroger » Dieu. 

D’autre part, il faut savoir que tous les textes coraniques qui ont été totalement ou partiellement abrogés, ou qui peuvent être suspendus, sont des textes qui sont directement liés au contexte sociétal qui n’est pas stable et qui change tout le temps. C’est le cas par exemple pour les « lois express » concernant les châtiments corporels, l’héritage et la condition de la femme. Il ne peut pas y avoir d’absolu pour nous, les humains, car nous n’évoluons pas et nous ne réfléchissons pas dans un cadre absolu. Il en découle que les vérités que nous pouvons percevoir et comprendre, ne peuvent être que relatives. C’est comme ça et nous n’y pouvons rien.

Les seules vérités qui sont « absolues », chez les Soufis, sont les vérités ésotériques. Mais ces vérités-là ne peuvent être perçues et comprises que par le Soufi lui-même. Ce sont donc ses vérités à lui seul et elles ne sont « absolues » que pour lui.

Selon la sagesse soufie, « celui qui sait ne dit rien ; celui qui dit ne sait rien »…     

PPdP – Les penseurs musulmans qui ont engendré le Salafisme n’étaient ni des illettrés, ni des faibles d’esprit… Il est difficile d’imaginer qu’ils se seraient fourvoyés à ce point dans l’étude du Coran et de la direction donnée par Dieu au Prophète. Serait-ce à dire qu’ils ont délibérément menti sur l’enseignement coranique et que leur objectif n’était pas la promotion de l’Islam ? Dans ce cas, quel serait l’agenda réel des Salafistes

S. DJABELKHIRLes Salafistes étaient effectivement faibles d’esprit. Ils le sont toujours d’ailleurs. Rien n’a changé depuis plus de quatorze siècles.

Mais que peut-on attendre de ceux qui interdisent l’apprentissage de la logique et la lecture de la philosophie ? Que peut-on attendre de ceux qui prennent leurs idées et interprétations pour des vérités absolues ? Que peut-on attendre des gens qui excommunient tous ceux qui ne pensent pas comme eux ? Que peut-on attendre de ceux qui prennent la femme pour une esclave sexuelle ?

Certains Salafistes ont délibérément menti aux Musulmans parce qu’ils étaient alliés aux pouvoirs en place et qu’ils avaient des intérêts à défendre. D’autres ont menti sans le vouloir et peut-être même sans le savoir, parce qu’ils se sont retrouvés dans un paradigme religieux majoritaire et qu’ils avaient le devoir de le défendre.

Mais la majorité écrasante des Salafistes reste très faible d’esprit. Ils n’ont pas le niveau d’avoir un agenda. Ce sont les califes et leurs ministres qui avaient des agendas…

Les juristes Salafistes ne faisaient que suivre l’agenda militariste hégémonique des califes. C’est la raison pour laquelle ces Salafistes ont engendré une interprétation somme toute obscurantiste de l’Islam, mais qui servait très bien les intérêts des califes.

Ce qui n’est pas le cas par exemple pour les Mouatazila, les Soufis et les philosophes Musulmans qui prônaient un Islam relativement éclairé, et qui étaient d’ailleurs excommuniés par les Salafistes.  

PPdP – On tourne un peu en rond : aujourd’hui, les Salafistes sont plus que jamais en opposition avec les pouvoirs en place, et ils en paient souvent le prix ; ce sont par contre les « modernistes » qui acclimatent l’Islam aux aléas du temps… Vous avez affirmé que l’Islam, une religion « de paix », ne saurait obliger ses adeptes à combattre l’humanité tout entière pour imposer « sa vérité », la vérité « absolue » ; ce serait un non-sens, « une pure folie ». Sur quelle base établissez-vous que l’Islam est une « religion de paix » ? N’est-ce pas là un postulat sympathique ?

S. DJABELKHIRIl ne s’agit pas seulement de l’Islam. Toutes les religions sont à la base des religions de paix, ou du moins elles devraient l’être.

Dieu n’a aucun intérêt à vouloir provoquer une guerre sans fin entre les hommes, bien au contraire : « Allah appelle à la demeure de la paix. » (Coran, X, 25) ; « Ô vous qui croyez, rentrez massivement dans la paix et ne suivez pas la voie de Satan car il est un ennemi déclaré. » (Coran, II, 208) La voie de Satan n’est autre que la voie de la guerre. « Et si ton Seigneur le voulait, toute l’espèce humaine croirait jusqu’au dernier. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? » (Coran, X, 99) ; « Je ne suis pas adorateur de ce que vous adorez. Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. A vous votre religion, et à moi la mienne. » (Coran, CIX, 4-6) ; « Rappelle. Ta vocation est de rappeler, et non pas d’exercer une autorité exclusive sur eux. » (Coran, LXXXVIII, 21-22) ; « Tu n’es pas un tyran à leur égard. » (Coran, L, 45) ; « Combattez dans la voie de Dieu ceux qui vous combattent, mais ne soyez pas des provocateurs, car Allah n’aime pas les transgresseurs. » (Coran, II, 190)

Et même si l’Islam n’était pas une religion de paix à la base, le contexte actuel et qui dure depuis la chute de l’Empire Ottoman l’aurait obligé à devenir une religion de paix, car il n’avait plus le choix, et que dans le cas contraire il tendrait forcément à disparaître.

Tous les textes coraniques qui incitent à faire la guerre sont des textes limités dans leur contexte historique et rejetés ou suspendus par le contexte actuel.

Ce sont des textes qui demeurent uniquement pour témoigner de l’histoire de l’Islam et de la genèse du Coran.

 

 

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

4 Comments

  1. CEUX QUI vivaient dans un lieu désertique avec le 1/6 de l’eau nécessaire pour une vie digne d’un humain ne pouvaient être qu’on dehors de l’histoire, la détresse hydrique dans lequel est né l’Islam, ne peut laisser indemne ses adeptes ! Donc tout découle de ce “péché original”, que l’islam promet à ses adeptes de les récompenser , rétribuer, par beaucoup d’eau dans le paradis céleste où couleraient des fleuves d’eau, de vin, de lait et même de miel !!

  2. Donc selon ce pseudo-journaliste, Dieu a donné un message à son archange qui lui à fait sa propre interprétation puis l’a transmise au prophète qui à son tour à fait sa propre interprétation et dans tout ce cirque Dieu regarde son message se faire massacrer sans agir…Et encore on veut de nous accepter ce baratin de merde…et encore lire des commentaires genre le coran c’est parce qu’il avait une détresse en eau 🙂 🙂

    bon merci pour cet article de comique et à la prochaine avec The simpson.

  3. Yasser akram on

    J’ai pas put finir l’aticle c’est du n’importe quoi si vous vouler la verie’il faut ramener des vrai s musimants pas de charlatans je nai pas une grande connaissance sur l’islam mais je sais que l
    Le coran c’est la parole de dieu c’est seulement les oulama qui l’interprete ( n’existe plus )
    Couper. La mains au voleur c’est quand il n’ya pas de pauuverete’, (a l’epoque de omar il y avait des moment de misere , on ne couper pas la maindes volleur)
    Eljihad ondefend nos terre et notre religion meme pour cela dieu nous ordonne de ne pas tuer un enfant une femme de ne pas bruler unarbre ,un terorisste n’est pas un musilman
    L’islam c’est lapaie la maiconnaissance et cette haine que vous avez conttre les musulmans vous poussent afaire des jujement inequitables

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