ÉTAT ISLAMIQUE – «Daesh», Tigre de papier?

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Un gamin de 17 ans se prend pour Hannibal Lecter, joue les apprentis bouchers dans un train de banlieue… Et Daesh revendique…

Le potentiel de l’État islamique n’aurait-il pas été surestimé, tant sur le plan militaire, sur le terrain irako-syrien, qu’en ce qui concerne sa capacité de nuisance à travers de supposés réseaux djihadistes qui se seraient implantés sur le territoire des États membres de la Coalition internationale déployée au Moyen-Orient ?

C’est une question, peut-être sans réponse encore dans l’état de nos connaissance relativement à cette nébuleuse comme sortie de nulle part au printemps 2013, mais que d’aucuns se posent aujourd’hui, lorsque, d’une part, l’on constate le net recul des forces de l’État islamique (EI) en Syrie, en Irak et, si cela se confirme, en Libye également et, d’autre part, la capacité de nuisance terroriste très aléatoire, anarchique et somme toute géographiquement limitée (en Occident en tout cas) dont « fait preuve » le mouvement djihadiste.

Un potentiel de nuisance terroriste limité

Les États-Unis, en effet, bien que principal intervenant militaire en Irak contre l’EI et leader de la coalition internationale en guerre contre « Daesh », n’ont été que très peu inquiétés par la réplique terroriste du Califat, malgré l’appel du porte-parole de l’État islamique, Abou Mohamed al-Adnani (le « ministre des Attentats » de l’EI), le 22 septembre 2014, de tuer les citoyens des États membres de la Coalition. Cette « réplique » -en réalité les méfaits de particuliers sans lien direct avec l’EI ; des individus isolés, sympathisants de la cause djihadiste et qui ont décidé de leur propre chef de passer à l’acte, mal organisés, et non comme l’auraient fait des cellules bien entraînées agissant en réseaux larges et structurés-  s’est limitée à trois attentats dont la portée médiatique et militaire s’est révélée plutôt mince : attaque d’une exposition de caricatures du Prophète Mohamed, au Curtis Culwell Center, au Texas par un homme d’origine pakistanaise et un homme d’origine arabe récemment converti à l’Islam, aidés par un troisième homme, un anglo-saxon partiellement déséquilibré (3 mai 2015 – aucune victime autre que les deux djihadistes) ; massacre à l’aveugle dans la petite ville de San Bernardino, en Californie, perpétré contre une centre pour sans-abris par un couple c’origine pakistanaise (2 décembre 2015 – 14 morts et 17 blessés) ; et l’attaque d’Orlando, où un homme seul, Omar Mir Saddiqui Mateen, d’origine afghane, a mitraillé les clients d’une boîte de nuit fréquentée par la communauté homosexuelle (12 juin 2016 – 49 morts et 53 blessés). Tous les assaillants se sont revendiqués de l’État islamique, qui en a profité pour revendiquer les attaques. Mais aucune attaque d’envergure réellement commanditée par l’EI n’a frappé le sol des États-Unis.

Quand aux États européens, seules trois attaques, en réalité, ont été directement mises en œuvre par l’EI, à savoir l’attentat du Musée juif de Bruxelles, un site symbolique (24 mai 2014 – 3 morts), les attentats de Paris (13 novembre 2015 – 130 morts et 413 blessés) et celui de l’aéroport et du métro de Bruxelles, perpétré dans la précipitation et dont tout le potentiel meurtrier n’a pas été exploité (22 mars 2016 – 35 morts et 340 blessés), ces deux dernières actions terroristes ayant en outre été menées par une même et unique cellule…

Il faut en effet dissocier des ces événements l’attaque contre l’hebdomadaire français Charlie Hebdo (7 janvier 2015), qui n’est pas l’œuvre de l’EI ; une série d’attaques qui s’achève le 9 janvier, après le meurtre de deux policiers et l’agression d’un magasin juif.

Les auteurs des attaques sont, d’une part, deux frères d’origine algérienne, Chérif et Saïd Kouachi, responsables de l’attentat contre l’hebdomadaire ; et, d’autre part, Amedy Coulibaly, d’origine malienne, qui s’en prendra à une policière et à une épicerie cachère. L’attaque contre l’hebdomadaire est reconnue dès le 9 janvier par Harith al-Nadhari, un des chefs d’al-Qaeda au Yémen, une revendication officiellement confirmée ce même jour par un communiqué d’al-Qaeda en Péninsule arabique (AQPA), qui sera complété par un second communiqué, publié le 14 janvier, lequel précisera que l’hebdomadaire était la seule cible de l’organisation, suite à la publication des caricatures du Prophète et d’une condamnation à mort prononcée en son temps par Oussama Ben Laden lui-même, les autres cibles et les actions d’Amedy Coulibaly ne relevant pas d’AQPA. L’attaque contre Charlie Hebdo n’est donc pas une action de l’État islamique, auquel al-Qaeda n’a pas prêté allégeance ; le chef de la branche historique du mouvement, Ayman al-Zaouahiri, successeur d’Oussama Ben Laden, le fondateur d’al-Qaeda, avait même dénoncé l’EI comme mouvement dissident et concurrent (bien que, plus tard, après l’entrée en scène de la Coalition internationale, le 8 août 2014, contre l’EI, al-Qaeda appellera ses membres à soutenir l’effort de guerre contre l’Occident et que plusieurs cellules s’engageront sous la bannière de l’EI, sans réaction connue d’al-Zaouahiri).

La cheville ouvrière de l’opération, Chérif Kouachi, avait effectivement servit al-Qaeda en Irak, en 2004 et 2005. Il faisait partie de la « filière des Buttes-Chaumont », dirigée en France par un prédicateur islamiste, Farid Benyettou, qui recrutait pour l’organisation terroriste ; Chérif Kouachi avait été temporairement emprisonné dans le cadre de cette affaire. Son frère, Saïd Kouachi, quant à lui, avait bénéficié d’un entraînement au maniement d’armes de guerre et à la guérilla urbaine dans un camp d’AQPA, au Yémen, où il s’était rendu en 2011.

En revanche, Amedy Coulibaly avait prêté allégeance à l’EI (sans que l’on sache exactement s’il était en relation avec l’EI ou s’il a agit de son propre chef) ; l’EI qui tentera, mais sans crédibilité aucune, de s’attribuer l’attentat contre Charlie Hebdo. Dans les faits, Amedy Coulibaly avait été en contact, en prison, avec Chérif Kouachi et, selon l’enquête française, il aurait fourni les armes utilisées par les Kouachi, achetées par lui ça et là, probablement à la demande des deux frères.

Le seul fait d’armes de l’EI, dans ces attaques, serait donc l’agression contre le magasin juif (outre l’assassinat d’un des deux policiers) ; mais le scénario le plus probable est que Coulibaly aurait été « inspiré » par le projet des Kouachi et se serait immiscé dans les événements survenus le 7 janvier au siège de l’hebdomadaire pour agir à son tour, soit une opération maladroitement organisée par ce partisan de l’EI.

L’attaque du Musée juif de Bruxelles, par contre, si elle a aussi été organisée par un homme seul, a été menée de main de maître et avec beaucoup de sang froid, par Mehdi Nemmouche, d’origine algérienne, un combattant de l’État islamique de retour de Syrie, où il avait notamment participé à la séquestration de plusieurs otages français, en 2013 (l’un d’eux, le journaliste Nicolas Henin, assure l’avoir reconnu).

Une seule cellule djihadiste connue en Europe et déjà démantelée

L’attentat de Paris, du 13 novembre 2015, constitue quant à lui la seule opération d’envergure organisée par l’EI, coordonnant plusieurs groupes (trois commandos) lors d’une même attaque à grande échelle.

Un premier groupe, composé de quatre hommes, a pour objectif les abords du Stade de France :  trois djihadistes font exploser la charge qu’ils portent sur eux ; il s’agit de deux Irakiens, dont on ne connaît pas l’identité exacte, qui ont gagné la France pour l’opération, munis de faux passeports syriens, récupérés par l’EI sur les corps de soldats de l’armée de Bashar al-Assad (entrés sur le territoire de l’Union européenne par la Grèce, avec le statut de réfugiés, ils ont transité par la Croatie, puis l’Allemagne), et d’un Français, Bilal Hadfi, d’origine marocaine. Le quatrième homme, Salah Abdeslam, prend la fuite et se débarrasse de sa ceinture d’explosifs avant de regagner la Belgique, aidé par deux complices, Mohamed Amri et Hamza Attou.

Un deuxième commando, composé de trois hommes, mitraille la foule sur les terrasses des restaurants, évoluant dans les 10ème et 11ème arrondissements de la capitale française. Il s’agit de Brahim Abdeslam (le frère de Salah Abdeslam), de Chakib Akrouh, d’origine marocaine et qui a, à plusieurs reprises, voyagé en Syrie, entre 2013 et 2015, et d’Abdelhamid Abaaoud, le cerveau de l’opération. Deux des assaillants se replient ensuite, tandis que le troisième, Brahim Abdeslam, fait exploser sa charge.

Un troisième commando, enfin, également composé de trois hommes, pénètre dans la salle de spectacle Le Bataclan, où a lieu un concert qui rassemble plus de 1 .500 personnes, sur lesquelles ils ouvrent le feu. Tous trois sont français : Foued Mohamed-Aggad, Ismaël Omar Mostefaï et Samy Amimour, respectivement d’origine algéro-marocaine, algéro-portugaise et algérienne. Tous les trois se sont rendus en Syrie en 2013. La police anti-terroriste abattra les trois hommes.

Très rapidement, deux des trois djihadistes sortis vivants des attaques sont localisés à Saint-Denis, le 18 novembre 2015, et trouvent la mort à leur tour lors de l’assaut de la police française (une complice, Hasna Aït Boulahcen, est également tuée lors de l’assaut policier). Il s’agit de Chakib Akrouh (qui a fait sauter sa ceinture d’explosifs au moment de l’assaut et provoqué la mort de ses deux complices) et d’Abdelhamid Abaaoud. Ce dernier est un combattant de l’État islamique connu pour avoir été longtemps actif en Syrie ; il a vraisemblablement été chargé par sa hiérarchie de planifier l’organisation des attentats.

Le 18 mars 2016, enfin, Salah Abdeslam, français d’origine marocaine, est arrêté par la police belge, dans une cache à Molenbeek, une commune de Bruxelles ; c’est le seul survivant des auteurs des attaques du 13 novembre.

L’attentat qui a frappé le métro bruxellois et l’aéroport international de la capitale belge est le fait du même groupe, mais de seconds couteaux et d’un logisticien, apparemment pris au dépourvu. Les quatre responsables en sont Ibrahim El-Bakraoui et Najim Laachraoui (il vivait en Belgique sous le nom de Soufiane Kayal, une fausse identité ; c’était l’artificier des attentats de Paris, qui fut aussi en contact avec les journalistes français enlevés en Syrie par l’EI, en 2013, et le photographe américain James Foley, assassiné par l’EI, par décapitation), Mohamed Abrini et Khalid El-Bakraoui (qui, à, la base, gérait les planques du groupe dirigé par Abaaoud ; en 2015, il avait essayé de se rendre en Syrie et, arrêté à la frontière syrienne par la police turque, il avait été refoulé vers les Pays-Bas), le frère d’Ibrahim. Ibrahim El-Bakraoui et Najim Laachraoui ont tous deux déclenché l’explosion de leurs bagages piégés dans l’aéroport de Zaventem (Bruxelles-National). Mohamed Abrini (le troisième homme de l’aéroport, « l’homme au chapeau » que l’on voit sur les images des caméras de surveillance) n’a pas fait sauter son bagage et a déserté les lieux ; il a été arrêté après une longue traque, le 8 avril 2016. Khalid El-Bakraoui s’est fait exploser dans le métro bruxellois, à la station de Maelbeek.

Ainsi, une seule cellule a opéré et son action, par ailleurs quelque peu chaotique –on est très loin de l’attaque menée « avec brio » par l’organisation al-Qaeda le 11 septembre 2011-, s’est limitée au territoire de deux États frontaliers, la France et la Belgique. Et l’attaque de l’aéroport belge semble, au point où en est l’enquête, avoir été improvisée et mise en œuvre dans la précipitation par quelques membres de ladite cellule, lesquels se savaient sur le point d’être localisés et arrêtés par les forces antiterroristes belges. La plupart des membres se connaissaient et étaient issus des communautés marocaine et algérienne.

Certes, il faut également prendre en considération la cellule de Verviers, démantelée par les services du contre-terrorisme belge le 15 janvier 2015 : composée de trois hommes, Marouan El Bali, Sofiane Amghar et Khalid Ban Larbi, ce dernier ayant effectué un séjour en Syrie en 2014, la cellule projetait une attaque contre les forces de police belges. Mais elle non plus n’est pas indépendante du groupe créé par Abdelhamid Abaaoud, dont elle constitue une troisième composante, sans plus.

La « cellule Abaaoud » apparaît donc, jusqu’à nouvel ordre, avoir été la seule structure efficiente dont l’EI a disposé en Europe.

Ces hommes étaient des combattants des hommes déterminés, bien entraînés et, mis à part Salah Abdeslam et Mohamed Abrini (qui ont apparemment failli à leur mission), sûrs d’eux et d’une foi infaillible en la cause de l’EI (contrairement aux allégations politiquement correctes de certains témoins, immédiatement relayées par les médias, des tests toxicologiques effectués sur les dépouilles des djihadistes éliminés ont montré qu’aucun n’avait consommé d’alcool, ni de stupéfiant avant l’attaque) ; ce qui n’est pas le cas des « amateurs » qui frappent aujourd’hui, au hasard de leur humeur.

Or, on peut admettre que cette cellule a été complètement anéantie, les derniers éléments du groupe, un Algérien, Adel Haddadi, et un Pakistanais, Muhammad Usman (qui avaient quitté la Syrie en compagnie des deux Irakiens membres du commando du Stade de France) ayant été arrêtés le 16 décembre 2015 en Autriche. Mohamed Amri et Hamza Attou (qui ont aidé Salah Abdeslam à regagner la Belgique), respectivement français et belge, habitant Bruxelles, ont également tous deux été appréhendés, de même qu’Amine Choukri (proche de Salah Abdeslam et revenu en Europe, de Syrie, par la Grèce) et le Suédois d’origine syrienne Osama Krayem, qui a participé à l’organisation des attentats, sans qu’on en connaisse exactement le rôle, et plusieurs autres petites mains (souvent des petits délinquants proches des auteurs des attaques, mais étrangers au contexte islamiste), chargées des transports, de trafic d’armes et de diverses tâches logistiques secondaires : ceux qui ont fourni les planques (Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah, Abib Aberkan, Sihane Aberkan et Mohamed Bakkali), ceux qui ont servi de chauffeurs (Lazez Abraimi, Ali Oulkadi et Abdeilah Chouaa), et aussi Samir Zahrio et Bilal Pierre Ndjeka, d’origine congolaise, amis de Bilal Hadfi, Fayçal Cheffou, qui avait été identifié (à tort), à un moment de l’enquête, comme « l’homme au chapeau », Abdoullah Courkzine, Ayoub Barzarouj, Zakaria Jaffal, l’Algérien Mohamed Belkaïd, qui a joué un rôle logistique au niveau des communications lors de l’attentat de Paris (tué lors d’une opération de police), le Tunisien Sofiane Ayari, Abid Aberkane, Ahmed Dahmani, interpellé en Turquie, et Djamal Eddine Ouali, arrêté en Italie où il s’était enfui, tous proches des auteurs des attentats, certains ayant effectué des séjours en Syrie, d’autres ayant été identifiés comme partenaires des attentats par vidéosurveillance, tests ADN et/ou écoutes téléphoniques, mais tous n’étant pas forcément membres de l’EI.

Aucune attaque n’a été menée contre le Royaume-Uni. Ni non plus la Russie, pourtant très impliquée dans le conflit syrien et allié inconditionnel du régime baathiste de Bashar al-Assad, le principal adversaire de l’EI sur le terrain militaire ; exception faite de la destruction d’un avion de ligne russe au-dessus du Sinaï (où s’est implanté l’EI), le 31 octobre 2015, revendiquée par l’EI mais que l’enquête égyptienne avait d’abord attribuée à un incident technique avant de se raviser (on sait les liens qui unissent désormais le dictateur al-Sissi et le président russe Vladimir Poutine ; et l’intérêt que l’Égypte et la Russie ont de pouvoir justifier, l’une, sa politique répressive totale au nom de « la guerre contre le terrorisme » et, l’autre, son intervention en Syrie)… Et, peut-être, de cette étrange attaque d’un poste de police, survenue le 17 août 2016 dans la banlieue de Moscou, où plusieurs individus en possession d’armes blanches ont tenté en vain de prendre le bâtiment d’assaut –aucun lien n’a été établi entre les assaillants et l’EI, mais ce dernier a néanmoins revendiqué l’attaque…

Certes, les événements qui touchent les États occidentaux ont tendance à masquer les attentats perpétrés ailleurs dans le monde ; et l’EI a revendiqué des dizaines d’autres attaques, parfois beaucoup plus meurtrières, au Nigéria, en Libye, au Pakistan, Mali, Tunisie, Yémen, Kenya, Koweït, Égypte, Irak, Turquie, Cameroun, Tchad, Syrie, Afghanistan, Inde, Indonésie, Arabie Saoudite… Mais où sont les dizaines, voire les centaines de cellules dormantes, dont on pouvait redouter qu’elle s’activassent pour frapper partout, régulièrement et dans tous les pays actuellement en guerre contre l’EI ? Où sont les centaines de djihadistes de l’EI qui auraient pu s’infiltrer en Europe à la faveur des flots de réfugiés arrivés d’Afrique du nord et du Moyen-Orient ?

Aucun rapport entre ces craintes et les bricolages, en France, de Magnanville (13 juin 2016 – Larossi Abballa, assassine un officier de police et sa compagne à leur domicile ; il connaissait ses victimes et les a assassinées moins par engagement islamiste que par haine de la police), de Nice (14 juillet 2016 – un Tunisien, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, apparemment encouragé par une bande de « pieds nickelés » sympathisants islamistes mais sans lien avec l’EI et qui lui fournissent une arme, fonce dans la foule avec un camion, tue 86 personnes et en blesse 286 autres) ou de Saint-Étienne-du-Rouvray (26 juillet 2016 – Adel Kermiche et Abdel Malik Nabil égorgent un prêtre pendant une messe ; le premier avait tenté à plusieurs reprises, mais sans succès, de rejoindre la Syrie, et était sous contrôle judiciaire – une vidéo dans laquelle les deux terroristes font allégeance au calife Ibrahim a été diffusée sur les réseaux sociaux de l’EI, fait qui indiquerait que les deux hommes ont eu un contact, probablement indirect, avec l’EI) ; ou encore cette étrange histoire survenue le 26 juin 2015 dans l’Isère, où Yassin Salhi, d’origine algéro-marocaine, sans lien connu avec l’EI, décapite son patron et blesse onze autres personnes (selon l’agresseur lui-même, il a agit pour raisons personnelles et non en tant que djihadiste), et l’EI revendique à nouveau, et toujours après coup… Ou celle de cet adolescent d’origine turc, qui a blessé à l’arme blanche un passant juif (qui portait une kippa) ; « au nom d’Allah », a déclaré le garçon âgé de quinze ans, « et de l’État islamique », qui, cette fois-là, n’a pas revendiqué… Le 7 janvier 2016, un homme d’origine marocaine avait tenté d’agresser des policiers, armé d’un hachoir à viande ; l’individu portait une fausse ceinture d’explosifs… L’EI n’a pas non plus revendiqué… Ni l’attaque survenue dans un train Thalys, sur la ligne Amsterdam-Paris, le 21 août 2015 : un homme d’origine marocaine, Ayoub El Khazzani, blesse cinq voyageurs avant d’être arraisonné par d’autres passagers…

Rien de commun non plus avec les attaques qui ont eu lieu en Allemagne… Dans un train régional, en Bavière (18 juillet 2016 – un réfugié Afghan de 17 ans blesse 4 personnes à l’arme blanche ; on retrouvera un drapeau de l’EI dans sa chambre, colorié à la main) et à Ansbach (25 juillet 2016 – un réfugié syrien se fait sauter dans un restaurant, blessant 15 personnes ; il aurait tenté auparavant, mais sans succès, d’accéder à un festival de musique qui se tenait dans l’agglomération).

En Belgique, deux policières sont attaquées à l’arme blanche à Charleroi ; le « djihadiste », selon plusieurs témoins, « aurait » hurlé « Allah Akbar ! » avant de frapper… L’État islamique a revendiqué l’action…

Des actions individuelles dont l’EI n’est très clairement pas l’organisateur et sur lesquelles il n’a aucune maîtrise, et qui sont ensuite récupérées par l’EI, qui « revendique »…

Du « terrorisme à la petite semaine » ; une « nouvelle forme de terrorisme » ou, plus exactement, une « exponentialisation algorithmique et aléatoire » du fait terroriste, mais pas une progression de l’EI.

Car l’EI n’est pas (vraiment) à la manœuvre et les apprentis terroristes qui se jettent dans la mêlée, sans formation, sans entraînement, sans moyens adéquats, ne sont pas systématiquement capables de faire des dégâts significatifs. Le « djihadiste » de Nice a eu « de la chance ».

On n’oubliera pas l’étrange attaque d’une conférence sur le thème du blasphème dans l’art et d’une synagogue, à Copenhague (Danemark), en février 2015 : Omar Abdel Hamid El Hussein, d’origine jordanienne, ouvre le feu, tue deux personnes et en blesse cinq autres, lors de deux fusillades à quelques heures de distance. Le l’EI, qui n’ pas revendiqué…

Ainsi, donc, l’EI n’a-t-il pas, par une propagande électronique omniprésente sur internet et relayée par la sphère médiatique, frénétique, grossi virtuellement son potentiel de nuisance et réussi à faire admettre une image de lui-même, celle d’un monstre invincible dont les tentacules s’étendraient à toute la planète comme les métastases d’un cancer incurable, une image en décalage complet (ou partiel) avec la réalité d’un petit poucet ?

L’EI recul partout en Syrie, en Irak et en Libye

Il semble en être ainsi sur le terrain des combats également, en Syrie, en Irak et en Libye.

En Syrie, l’armée régulière, coordonnée avec l’aviation russe, progresse aussi bien face aux derniers bastions de l’Armée syrienne libre et de Jabhet al-Nosra que face à l’EI, auquel elle vient de reprendre la ville de Qaryatyan, dernière de ses positions dans les monts Qalamoun ; en mars 2016, l’armée syrienne avait repris à l’EI la ville-symbole de Palmyre.

Dans le nord de la Syrie, les forces kurdes, alliées à d’autres formations, progressent chaque jour : cette coalition, les Forces démocratiques syriennes, campe déjà à quelques dizaines de kilomètres devant ar-Raqqa, la capitale de l’État islamique ; et elle a tout récemment conquis la ville de Manbij et, ce 24 août 2016, celle de Jarablos, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’ar-Raqqa. Sur le front de Tal-Affar, les forces kurdes du YPG (Kurdes de Syrie) et du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) combattent l’EI sans relâche. La capitale islamiste subit également les assauts de l’armée syrienne et de l’aviation russe par le sud-ouest.

Enfin, dernière arrivée en date dans la lutte conre l’EI, la Turquie s’énerve, qui, secrètement, continue de jouer à fond la carte islamiste contre les Kurdes de Syrie et ceux du PKK (et apporte à l’EI un soutien logistique et en armement), mais donne aussi des gages, à son allié russe (avec lequel elle ne pouvait que se rabibocher tôt ou tard, quoi qu’il en fût de ce Soukhoï étrangement abattu en novembre 2015), plus qu’en direction de l’Union européenne et des États-Unis dont Ankra ne semble plus avoir grand cas à faire ; et Erdogan de faire bombarder l’EI par son artillerie et de lancer pour la première fois des chars turcs en Syrie même, contre les djihadistes du calife Ibrahim… Contre Jarablos… Mais pour favoriser les groupes rebelles pro-turcs qui assiégeaient la ville, des groupes que la Turquie joue contre les Kurdes ! Et donc accélérer le départ des djihadistes de toute façon sur le point d’être mis en déroute, et ce au détriment des forces kurdes auxquels, sans l’intervention turque, Jarablos aurait fini par échoir… Mais c’est toujours ça de pris à l’EI.

En outre, l’EI a perdu plusieurs de ses leaders charismatiques, tués, comme Omar le Tchéchène, parce que leur tête avait été mise à prix par la Coalition internationale ; et peu de gens résistent aux sommes folles mises en jeu, surtout depuis que le vent tourne… Ainsi, le 11 janvier 2016 déjà, un dépôt de l’EI contenant plusieurs millions de dollars avait été détruit, à Mossoul, par une frappe aérienne très précise, effectuée sur base d’un renseignement…

Mossoul qui, en Irak, après les reconquêtes de Tikrit, Ramadi et Falloudjah (bastion sunnite et verrou de la route vers Bagdad, tenu pendant deux ans et demi par l’EI), constitue le prochain objectif de la Coalition. La ville est déjà attaquée par l’armée irakienne. Toutefois, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK – Erbil), le premier parti du Kurdistan irakien, ne veut pas participer à l’effort de guerre : son président, qui est aussi le chef du pouvoir exécutif du gouvernement autonome kurde, Massoud Barzani, allié de la Turquie, estime que les Kurdes ont réussi désormais à délimiter leur pré carré, et qu’il leur est inutile de poursuivre plus loin la reconquête de l’Irak sur l’EI. Mais, sur les fronts de Mahkmour, les frappes de la Coalition permettent l’avancée de l’armée irakienne, surtout des milices chiites d’Irak, en vérité, renforcées par des contingents iraniens venus combattre le fléau sunnite financé par la très wahhabite Arabie Saoudite et plusieurs autres monarchies du Golfe pour faire échec à Téhéran dans une guerre par procuration qui contribue à complexifier le conflit.

Enfin, les moyens financiers de l’EI sont en baisse : les prix du pétrole sont bas et la Coalition frappe en outre les convois de camions-citernes qui transportaient l’or noir depuis l’État islamique jusqu’en terre ottomane où des hommes d’affaire le réceptionnaient à bon compte, avec la bénédiction du sultan ; une (presque) cessation d’activités, au grand dam d’Ankara (et d’Erbil), qui ne peut que constater les dégâts, impuissante…

En Libye, enfin, malgré l’anarchie ambiante et le chaos total qui, dans une « failed-statisation » galopante du pays, opposent les deux gouvernements ennemis, entre Benghazi et Tripoli, un peu de bon sens a su triompher et ramener les factions à s’entendre, le temps d’essayer de réduire, avec plus ou moins de succès, la poche conquise par les djihadistes autour de la ville portuaire de Syrte, au centre-côtier du pays, et proclamée wilayat (province) de l’État islamique. La bataille de Syrte n’est cependant pas encore gagnée, car les combattants de l’EI s’acharnent et multiplient les attaques-suicides qui impressionnent les miliciens libyens, pourtant soutenus par des frappes de l’aviation états-unienne…

Si l’EI venait à perdre la guerre de position qu’il livre en Syrie et en Irak et disparaissait en tant qu’État territorial (c’est-à-dire au sens onusien de l’état), pourrait-il se reconvertir en une internationale du djihadisme et continuer d’exister en tant qu’État islamique aux termes historiques de ce concept politique particulier, à savoir en tant que communauté de foi obéissant à son chef, le calife, successeur du Prophète Mohamed, la communauté des croyants, un État présent partout où sont les Musulmans qui s’en réclament, indépendamment de frontières fixes ?

Si tel était le cas, ce changement de stratégie serait immédiatement ingérable par les États européens et les autres, qui seraient pris pour cible par l’EI. Dans ce cas, la « guerre » serait de plus en plus présente dans les rues des métropoles européennes, partout, en vérité, aussi bien dans les grandes villes que dans les agglomérations de moindre importance, en province, dans les villages même, au grès et au hasard de l’apparition, imprévisible et incontrôlable, de djihadistes le plus souvent improvisés dont les soudains passages à l’acte ne pourraient en aucun cas être jugulés par une « surveillance » de l’espace publique. Comment, en effet, surveiller des millions d’individus insoupçonnables, anticiper les intentions de quelques-uns, noyés dans la masse immense des communautés arabo-musulmanes implantées de longue date en Occident ?

La question est donc : l’EI peut-il compter sur des partisans en grand nombre, qui se considèrent comme intrinsèquement membres de cette communauté des croyants, soumis au calife Ibrahim (Abou Bakr al-Bagdadi) et prêts à se sacrifier et à développer massivement cette nouvelle forme de terrorisme ?

Jusqu’à présent, les faits semblent répondre par la négative.

Ou bien l’anéantissement de l’EI en Irak et en Syrie aura-t-il pour conséquence l’extinction immédiate de cet engouement pour le djihad armé ?

Mais, comme l’enseigne le dicton, « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » : l’EI a des stratégies de guerre assez déroutantes ! Il recule partout et, pourtant, il parvient à contre-attaquer à 30 kilomètres de Damas… Apparemment très efficaces dans l’offensive, surtout en situation de surprise, ils semblent moins aptes à la défensive.

Par ailleurs, l’EI se replie désormais dans ses fiefs, des villages sunnites qui, côté syrien, se sont révélés viscéralement anti-baathistes et ont combattu sans merci l’armée de Bashar al-Assad ; et il en est plus encore ainsi côté irakien, où les Sunnites sont prêts à se battre avec haine et rage contre les Chiites de Bagdad. Car, en Irak, c’est bien de cela qu’il s’agit, plus encore qu’en Syrie : l’armée irakienne reste une force peu fiable, et, le fer de lance de la reconquête, ce sont, sans conteste, les milices chiites irakiennes et iraniennes, impitoyables envers les Sunnites, accusés d’avoir soutenu l’EI. Elles seules occuperont le terrain militaire, puisque, de leur côté, les Kurdes, sur l’ordre d’Erbil, se sont retirés des villages arabes qu’ils avaient conquis, trop difficiles à contrôler (ils ont ainsi rasé plusieurs de ces villages, sans autre forme de tactique, pour créer un no man’s land le long des frontières d’un Kurdistan qu’ils ont désormais fixées par l’édification de fortifications spectaculaires).

En d’autres termes, les zones jusqu’à présent reprises à l’EI sont chiites ou kurdes ; maintenant, il s’agit d’envahir des territoires sunnites.

Un « Sunistan » pour achever l’EI ?

Cela dit, les Sunnites de Syrie et d’Irak ne sont pas tous –loin s’en faut- partisans du salafisme radical non plus… J’avais pu le constater à Falloudjah, lors d’un reportage (un peu risqué) au sein de l’État islamique, en juillet 2014 : si les Sunnites d’Irak avaient dans un premier temps accueilli les djihadistes de l’EI par rejet des vexations quotidiennes qui leur étaient infligées par les militaires irakiens (presque tous chiites depuis l’invasion états-unienne du pays, en 2003, la promotion du gouvernement chiite du premier ministre Nouri al-Maliki par Washington et l’éviction de l’armée de tous les militaires sunnites, minorité sur laquelle s’était appuyé Saddam Hussein pour gouverner en Irak), ces mêmes Sunnites ont très vite regretté leur allégeance tacite aux islamistes…

La stratégie la plus adéquate pourrait donc être de combiner les opérations militaires, là où elles sont utiles et réalisables, et des mesures politiques, qui viseraient à la création d’un espace politique étatique sunnite, un « Sunistan », pour ainsi couper l’herbe sous le pied des djihadistes de l’EI et en détacher les communautés sunnites.

Mais il s’agirait alors de renoncer à l’existence de la Syrie et de l’Irak, du moins à leurs frontières actuelles. Ce qui signifierait qu’une nouvelle page de l’histoire du Moyen-Orient serait (enfin) tournée, à marquer d’une pierre toute aussi blanche que celle qui conta la disparition de l’Empire turc ottoman.

Une nouvelle page qui reléguerait au statut d’anecdote les célèbres et terribles accords Sykes-Picot et cèlerait la fin de l’histoire postcoloniale du Monde arabe.

Enfin… D’une infime partie de ce vaste Monde arabe, pour dire le vrai… À l’échelle de trois petites villes, quelques villages et à peine davantage de campements bédouins…

Quant aux djihadistes qui avaient rêvé la restauration du Califat, Dieu seul sait vers où ils migreront…

Rentreront-ils sagement chez leur mère, penauds et guéris de leurs illusions, ou bien les emporteront-ils vers d’autres cieux ? En Palestine, où le désespoir des jeunes Palestiniens qui n’attendent plus rien d’éventuelles « négociations » futures avec Israël ne laisse plus d’autre choix que la lutte à mort ? Au Liban ou en Turquie ? En Jordanie ? En Afrique ? Ou plus à l’ouest…

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Pierre Piccinin da Prata

Historian and Political Scientist - MOC's Founder - Editorial Team Advisor / Fondateur du CMO - Conseiller du Comité de Rédaction

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