LIBAN – L’État et la nation, synthèse d’un divorce annoncé…

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Liban l'Etat inachevéDepuis la naissance de l’État libanais, ce sont en réalité deux « Liban » qui vivent l’un à côté de l’autre et s’affrontent, sur un même territoire : le Liban en tant qu’État et le Liban en tant que nation. Ces deux composantes, qui normalement doivent coexister, ont du mal à fusionner dans un même corps sociopolitique. Autrement dit, le « Liban » et les « Libanais » ne font pas toujours « un ». Une fracture que doit appréhender celui qui veut réellement comprendre l’évolution politique de « l’État » libanais moderne et l’histoire de ce pays, jalonnée de crises et de guerres, depuis son commencement.

Qu’est-ce que la « nation » libanaise ? En principe, tout pays a sa propre complexité, quel que soit le système sociopolitique qui le sous-tend. Mais, pour saisir la société « hétérogène » libanaise, plutôt que de rentrer dans le cercle vicieux qui met en avant l’idée d’un pays « ingouvernable », il convient de modifier l’angle d’approche traditionnel et de rendre compte le plus clairement possible des mécanismes qui font fonctionner cette nation, une nation plurielle, au sein d’un État souvent démissionnaire ; et montrer comment les Libanais essayent d’inventer « leur » nation pour pallier les conséquences d’une construction étatique en déphasage avec leurs attentes.

Naissance et défis de l’État moderne

Quand le Liban est-il né ? Comme tous les pays, le Liban n’a pas toujours existé. Toute construction étatique a besoin de mythes pour se construire. Elle se trouve ainsi enchâssée entre le réel et l’imaginaire. La construction du Liban ne fait pas exception à cette règle, d’autant moins que son histoire est souvent l’otage d’historiographies contradictoires.

Si le Liban comme « État » existe depuis le début du XXème siècle, il est possible de parler d’une « entité » libanaise à partir du XVIème siècle déjà. Le Liban a d’abord été le Mont-Liban ottoman. Il devient un État dans le sens moderne du terme avec la mise en place de ce qu’on a appelé « le Grand Liban », en 1920, lorsque la France le détache de la Syrie, sur laquelle la Société des Nations lui avait donné mandat. Le Grand Liban est ensuite mué en « République libanaise », à partir de 1926. Si la république obtient son indépendance en 1943, à la fin du mandat français, elle peine à trouver un équilibre propre. En effet, les règles de gestion politique d’inspiration européenne se trouvent défaillantes lorsqu’il s’agit de gouverner une société libanaise qui reste résolument hétérogène.

C’est là toute la problématique de l’identité libanaise, dont il est nécessaire de dégager quelques constantes pour une définition identitaire qui ne cesse de fluctuer au gré des « caprices » confessionnels. Dans ce sens, un retour au Liban ottoman ainsi qu’à la naissance du Liban actuel et à son Indépendance s’imposent. Plusieurs problématiques demandent réponse : comment comprendre les changements politiques et administratifs survenus au XIXème siècle ? Le passage du Grand Liban à la République libanaise consacre-t-il le dépassement manqué du communautarisme ? Que vaut exactement le « Pacte national libanais » de 1943 ? Peut-on parler d’une « exception » chéhabiste au XXème siècle ?

Guerres et « recalibrages » politiques 

Au début des années 1970, l’État libanais n’est plus que l’ombre de lui-même. L’espoir de réanimer le Pacte national s’amenuise. En fait, l’ordre libanais craque d’une manière visible, pavant la route vers une guerre qui va durer quinze ans.

Ce sera la déflagration, en 1975. Ce n’est pas dans un Liban pacifique qu’éclate la guerre, un certain 13 avril 1975… Mais dans un pays en mal d’État. Elle est l’aboutissement de plusieurs décennies jalonnées de crises et de tentatives de réformes avortées. Cette guerre de quinze ans constitue une réelle descente aux enfers du pays du Cèdre, en proie au règne des milices. La révision de la Constitution libanaise, par le biais de la signature des accords de Taëf, arrête la guerre ; mais elle n’apporte pas de remède au « vice » confessionnel libanais.

Il faut également considérer la fin des deux occupations, syrienne et israélienne. Comment expliquer le retrait de deux forces bien implantées dans un pays dont la souveraineté est fantomatique ? Si les relations libano-syriennes s’expliquent à la lumière du développement des égoïsmes nationaux à la fin de l’Empire ottoman et des évolutions géopolitiques régionales, les rapports avec Israël répondent à une logique différente. La logique interventionniste israélienne, en effet, a fini par disparaître avec le temps. Ce sont donc en réalité deux logiques différentes qui expliquent les deux retraits, à près de cinq ans d’intervalle.

Ceci dit, si, sur le plan purement politique, le Liban peine à constituer sa charpente étatique, sa société est toutefois en perpétuel mouvement…

Le Liban, une société plurielle qui s’invente

Le Liban est une société plurielle, car multicommunautaire. Y cohabitent près de dix-huit communautés religieuses différentes. Si les milieux homogènes sont organisés selon des règles sociopolitiques bien précises, celles-ci diffèrent des principes adoptés par les groupes dits « hétérogènes ». Pour le cas libanais, un « recalibrage » de certains principes s’impose. Il permet d’aller à l’encontre des idées reçues, pour appréhender le fonctionnement d’une société taxée – à tort- de « complexe ». Quelle société un peuple est-il capable d’ « inventer » lorsqu’il est en manque d’État ?

Pour y répondre, il est important d’abord de changer de grammaire politique, en reformulant plusieurs concepts souvent adoptés d’une manière approximative. On sait que la vie politique libanaise est fondée sur un consensualisme confessionnel. Qu’est-ce que le consensualisme et qu’est-ce que le consensualisme libanais ? S’agit-il de le dépasser ou de l’adopter à condition de mieux le gérer ? Par ailleurs, il faut aussi revisiter le paradigme majorité/minorité, souvent évoqué en science politique. Comment analyser le fait minoritaire ? Où se situe la césure dans l’opposition majorité/minorité lorsqu’il s’agit de l’adapter au cas libanais ? Autrement dit, qui est « majoritaire » qui est « minoritaire » au Liban ?

Trois exemples pertinents s’offrent à l’analyse : le travail associatif, le mouvement de masse de 2005, qualifié de « Printemps libanais », et la question du mariage civil, qui ne cesse de diviser l’opinion. L’intérêt de ces exemples est qu’ils mènent à l’examen de la pluralité libanaise en dehors de sa dimension confessionnelle.

Vie politique et perspectives

Quel bilan dresser de la vie politique actuelle à travers une vue d’ensemble des partis libanais, s’agissant d’un pays dont les groupes politiques ont subi une mutation permanente ? Et un point inévitable, souvent négligé : la question des énergies gazière et pétrolière, qui est au centre du discours politique interne et des préoccupations régionales actuelles.

Ce sont bien les partis, en effet, qui animent la vie politique au Liban. Ils jouent leur rôle dans la conquête du pouvoir et la socialisation politique. Ceci dit, jusqu’à nos jours, toute planification de dimension nationale s’est brisée sur le seuil des considérations confessionnelles. Si le fondement actuel des partis au Liban doit prendre en considération la base multi-religieuse du pays, la question d’ouvrir la voie à une représentation non confessionnalisée reste posée.

Reste la question, éminemment politique, de l’énergie. Le XXIème siècle sera-t-il gazier pour le Liban ? Que vaut le potentiel gazier et pétrolier du bassin levantin ? S’agit-il d’une bombe à retardement, présageant des conflits futurs ?

Autant de pistes de réflexion sur le présent et le devenir d’un État encore « inachevé »…

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About Author

May Maalouf Monneau, Dr.

Professeur Assistant en Sciences politiques (Relations internationales) à l'Institut supérieur des Sciences politiques et administratives de l'Université Saint-Esprit de Kaslik (Liban) - Chercheur associé au CESSMA Université Paris 7

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