MAGHREB – FMI : des recommandations pas très recommandables…

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Les politiques de change* en Tunisie, au Maroc et en Égypte ont un point commun : un surendettement public aggravé, qui impose le recours à des financements du FMI.

Comme à l’accoutumée, l’institution de Bretton Woods fait les mêmes recommandations : réduction des dépenses publiques par le renoncement aux subventions des produits de premières nécessités, la privatisation des entreprises publiques et la dépréciation de la monnaie nationale, afin de relancer les exportations.

Lors de ses visites au Maroc et en Tunisie, fin janvier 2018, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, exprima son soutien à la transition vers des systèmes de change flexibles, et implicitement la dépréciation du dirham et du dinar.

Il convient de rappeler que le FMI a accordé au Maroc, pour la troisième fois consécutive en juillet 2016, une aide de 3,47 milliards de dollars ; et une nouvelle tranche de prêt de quelque 2,03 milliards de dollars en faveur de l’Égypte, portant ses concours à ce pays à 12 milliards de dollars. Le FMI avait validé, en mai 2016, l’octroi d’un crédit de 2,9 milliards de dollars à la Tunisie.

Entre novembre 2016 et octobre 2017, le passage à la convertibilité totale de la livre égyptienne a engendré en Égypte une flambée de l’inflation supérieure à 30 % par an.

Les préconisations du Fonds rappellent étrangement les plans d’ajustement structurels (PAS) qui ont ravagé les industries marocaines, tunisiennes et égyptiennes. Les dirigeants de ces pays et leurs experts font une confiance aveugle à ce qui est recommandé par l’institution de Washington. Pourtant le bilan de ces politiques est catastrophique en matière de croissance et de développement économique.

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Les effets des PAS ont fait l’objet d’un exposé synthétique s’appuyant sur des enquêtes et des approches différentes par Mohsin S. Khan (1990), qui analyse les effets macroéconomiques générés par les PAS sur 69 pays en développement de 1973-88. Cette étude montre qu’à court terme, les transactions courantes et la balance des paiements** s’améliorent, l’inflation et la croissance baissent.

Dell (1982) et Diaz-Alejandro (1984) notent que le PAS est un « programme financier » qui impose des restrictions du crédit domestique et des dévaluations afin d’améliorer la balance des paiements. Initié sur le plan théorique dans les années 1950-60, les PAS multiplient les objectifs allant des politiques monétaires et de change, aux politiques fiscales, taux d’intérêt, prix et dépenses publiques. Les politiques de libéralisation des échanges et de modification des salaires sont également prises en compte.

Il convient de s’interroger sur la place du taux de change dans les dispositifs du FMI. C’est un instrument visant à faciliter l’accroissement des exportations afin de générer des capacités financières nouvelles en devises fortes.

La dévaluation est perçue comme un instrument indispensable au rééquilibrage de la balance des paiements courants, par le biais d’une réduction de la demande globale, par une réaction positive de la demande étrangère, par une baisse des prix des exportations en devises et de la demande intérieure par une hausse du prix des importations en monnaie nationale. On peut s’interroger sur la portée de la réaction de la demande étrangère dans le cas de pays en développement exportant essentiellement des produits primaires : la dévaluation ne peut valablement améliorer la compétitivité extérieure de ces pays que dans le cas où ils exporteraient des produits manufacturés. Le changement de prix relatifs induit par la dévaluation entraîne des arbitrages de la part des agents nationaux en faveur de produits domestiques au détriment de produits importés. La concentration des exportations sur des produits de base peu demandés par les nationaux minimise la portée de la dévaluation.

La dévaluation est perçue par le FMI comme un moyen de promotion des exportations, afin de permettre aux pays endettés d’augmenter leurs recettes en devises et par là-même de rembourser leurs dettes.

Donovan (1981) analyse les résultats de 12 pays ayant pratiqué dans les années 1970 une forte dévaluation de leur monnaie (entre 68 % et 15 %) dans le cadre d’accords de confirmation avec le Fonds. Cette étude confirme que « tous les programmes prévoyaient une amélioration significative de la performance des exportations, mesurées en termes réels résultant des incitations et de la rentabilité accrue du secteur exportateur ». Cependant, les réalisations ne confirment pas complètement cette prévision. En comparant les taux de croissance des exportations avant et après la dévaluation on observe que seulement 6 des 12 pays ont connu une amélioration de leur performance.

Assidon et Jacquemot (1989) confirment ces observations quant aux effets des politiques de change en Afrique dans les années 1980. Seuls 4 pays sur les 15 étudiés ont une élasticité positive entre variations de change et exportations entre 1980-1987. Pour 15 des 16 pays étudiés, les dévaluations s’accompagnaient de sévères restrictions de changes et le rationnement des devises, élément décisif de la limitation des achats à l’étranger.

Kaldor (1983) pense que l’industrialisation des Pays en développement exige une certaine protection, condition d’un développement harmonieux. De ce point de vue, les dévaluations ne constituent pas une bonne forme de protection dans la mesure où elles ne favorisent pas l’expansion d’un secteur industriel.

L’efficacité d’une dévaluation comme instrument de promotion des exportations industrielles implique que la réduction du taux de change ait un très fort effet inflationniste et entraîne une baisse considérable des salaires réels.

Différentes approches…

L’approche Before-After – Reichman et Stillson (1978) ont été les premiers à utiliser cette approche. En isolant 79 PAS durant la période 1963-72, ils comparent le comportement des balances de paiement, l’inflation, la croissance, durant une période de 2 ans avant et après la mise en œuvre du PAS.

Dans 40 % des pays ayant appliqué le PAS, le taux de croissance est inférieur après l’application du programme. La dévaluation a été à l’origine de la recrudescence de l’inflation dans 5 pays des 9 qui l’ont pratiquée.

Connors (1979) prend un échantillon de 23 pays ayant adopté 31 programmes durant 1973-77. Il examine les effets une année après l’application des programmes par comparaison avec ce qui s’est passé une année auparavant. Sa conclusion est simple : les programmes n’ont pas d’effets discernables sur les objectifs ultimes que sont le taux de croissance, l’inflation, le déficit des transactions courantes.

Zulu et Nsouli (1985) étudient 35 programmes appliqués par 20 pays africains de 1980 à 1981. Il est noté une croissance inférieure ou stagnante l’année suivant la mise en œuvre du programme dans 60 % des cas.

En tout état de cause, toutes les études montrent plus ou moins une réalité peu améliorée, résultant de la mise en œuvre du PAS : l’amélioration des balances de paiement s’accompagne d’un ralentissement de l’activité économique.

L’approche With-Without – Cette approche vise à isoler les effets dus au PAS de ceux qui ne le sont pas. La méthodologie pratiquée est la suivante : supposer des pays avec ou sans programmes soumis aux même conditions environnantes en dehors des considérations de programme. Les performances remportées par les pays n’appliquant pas les PAS seraient une approximation de ce que seraient les performances des pays à programme qu’ils pourraient réaliser en l’absence du PAS.

Donovan (1981) examine 12 programmes dans 12 pays de 1970-76, pour constater une expansion des exportations plus importante pour ces pays par rapport aux pays en voie de développement (PVD) non pétroliers constituant le groupe de contrôle. L’inflation se ralentit davantage la première année que sur les 3 années de la période test. Néanmoins son taux se situe en dessous du taux des PVD non pétroliers. La conclusion la plus importante, à notre avis, est relative au taux de croissance qui s’affaisse davantage dans les pays à programmes que dans les pays sans programme lorsqu’on prend les comparaisons sur trois ans, même si au cours de la première année cette tendance est inversée.

Goldstein et Montiel effectuent une évaluation généralisée sur un échantillon de 68 programmes mis en œuvre par 58 PVD de 1974 à 1981. Au total, les pays à programmes font montre d’une performance faible. Les effets des programmes sur les transactions courantes, la balance des paiements, les taux d’intérêt, la croissance ou l’activité réelle sont négligeables.

Une autre approche a visé la comparaison des variables macroéconomiques clés actuelles par rapport aux objectifs assignés à ces variables par les autorités et le FMI dans l’application du programme (il s’agit de l’approche actual – versus targets).

PAS : Le débat dans les années 1990 et 2000

La littérature sur les plans d’ajustement structurels et les politiques de change qui en découlent connaît un nouvel essor dans les années 1990.

Deux types de critiques sont à l’origine de réajustements de la part du FMI, tant sur le plan théorique que pratique. Le premier concerne l’applicabilité des mêmes recommandations par des pays aussi différents structurellement que politiquement (pays d’Afrique du Nord, pays de l’Est européen…). Le deuxième met l’accent sur le rôle secondaire qui est assigné à la croissance.

Le jugement porté par Williamson au début des années 80 n’a rien perdu de son actualité : « Selon les critiques traditionnelles, qui émanaient surtout initialement de la gauche des pays emprunteurs, le FMI suit une approche monétaire doctrinaire, il ignore les spécificités nationales des emprunteurs, impose des conditions fort coûteuses, fait preuve d’un parti pris idéologique favorable au marché libre et défavorable au socialisme et empiète sur la souveraineté nationale tout en perpétuant la dépendance. Il y a quelques années encore, le FMI ignorait ces critiques, que cette attitude semble avoir intensifiées… et l’inquiétude a même gagné le parlement des États-Unis. »

Il est regrettable que les positions du FMI, qui se contentent d’administrer des solutions, se résument à la politique de change et à la politique budgétaire avec insistance sur les privatisations. Le FMI insiste particulièrement sur les réformes structurelles. En effet, le taux de change d’équilibre serait la résultante de fondements économiques corrects et non pas leur instigateur, fusse-t-il indirect. Parmi les propositions qui dominent actuellement, l’instauration de la convertibilité de la monnaie. Qu’en est-il dans la réalité ?

En 2002, J. Stiglitz publia la Grande désillusion (Globalization and its discontents), où il affirme que le FMI fait passer l’intérêt de son principal actionnaire, les États-Unis, avant ceux des nations les moins favorisées et les plus concernées par les crises à répétition. En prenant comme exemple la crise asiatique et la transition russe, J. Stiglitz soutient que les politiques préconisées par le FMI ont souvent aggravé les problèmes dont il avait à s’occuper, engendrant des conséquences sociales dévastatrices et un accroissement de la pauvreté.

J.Stiglitz persiste et signe dans une interview au Point en date du 25 avril 2008 ; il déclarait alors : « Quand le FMI prête en 2008 de l’argent au Pakistan, à l’Islande, à l’Ukraine, il leur impose des taux d’intérêt élevés et une politique monétaire retsrictive. C’est exactement à l’opposé des politiques expansionnistes menées par la France et le Royaume-Uni. (…) Le résultat, c’est que cet argent prêté, assorti de telles conditions, va probablement affaiblir l’économie de ces pays et rendre plus difficile pour eux de rembourser ces fonds. »

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Lorsque le FMI ouvre son assemblée générale de printemps le 23 avril 2010, son directeur général a renouvelé son équipe, s’entourant de néo-keynésien à son image, comme Olivier Blanchard, chef économiste de l’institution qui n’hésite pas à rompre avec certains dogmes en préconisant un taux d’inflation pouvant aller jusqu’à 4%.

En 2010, les encours de prêts que le FMI a accordés atteignent 175 milliards de dollars, contre 16 milliards de dollars en 2007.

Ce sommet consacre la mort du consensus de Washington (libéralisme – restrctions budgétaires – privatisation) ; cette doctrine de politique économique d’inspiration néolibérale lancée fin 1980 et préconisée par Margaret Tatcher et Ronald Reagan. C’est Dominique Strauss-Khan, directeur général du FMI qui l’a annoncé dans une interview au quotidien économique français La Tribune du 28 avril 2010.

Il proposait ce que des économistes, dont je fais partie (C. Sari 2000), avaient appelé de leurs vœux : une individualisation du traitement de chaque pays, une coordination des politiques économiques en privilégiant le multilatéralisme, et davantage de régulation financière à l’échelle internationale.

[* Les politiques de change se définissent comme étant la gestion par les banques centrales des cours des monnaies. Certains pays comme la Chine gèrent directement le taux de change de leur monnaie (du yuan en l’occurrence) par rapport au dollar. Le dollar est flexible ; c’est-à-dire que ce sont les marchés des changes qui fixent sa valeur selon l’offre et la demande, mais la Banque centrale américaine peut influencer le marché en achetant ou en vendant les dollars. Les pays arabes ont des monnaies gérées par leurs banques centrales selon des politiques définies, soit en suivant le dollar, ou l’euro, ou les deux.]

[** La balance des paiements est le total des rentrées de devises dans le pays moins les sorties, qu’ils s’agissent des paiements des biens et services ou des recettes touristiques ou tous les transferts internationaux.]

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Camille Sari

Économiste - Chercheur-associé à l'Université du Québec de Montréal - Président de l'Institut euro-maghrébin d'Études et de Prospectives

2 Comments

  1. Analyse très intéressante.
    Le problème, c’est qu’il ne précise pas bien ce que serait l’alternative à ces politiques. Et si elles n’ont pas nécessairement d’effet positif, leur non adoption aurait des effets encore plus redoutables.
    C’est un peu – j’adore cette comparaison… – comme les trithérapies pour les séropositifs: ces médicaments ne soignent pas définitivement les malades, et en plus elles ont des effets pervers assez redoutables, qui les rendent assez inconfortables pour les malades.
    Mais sur la base de leurs inconvénients et comme elles ne débarrassent pas définitivement les malades du virus du sida, faut-il les abandonner ? Bien sûr, un malade peut le choisir, mais alors, la conséquence est assez simple: c’est la mort à plus ou moins court terme. Alors qu’avec les trithérapies, on vit aujourd’hui presque aussi longtemps qu’un non malade – et même si on vit mal, on vit, et c’est toujours préférable à la mort…
    Non, je ne vois pas quelle(s) autre(s) politique(s) on pourrait envisager, sauf évidemment à ce que les pays riches subventionnent abondamment et à fonds perdus les pays pauvres. Mais là, on n’est plus dans la politique économique mais dans la politique internationale…
    Et dernière considération: les pays en question ne souffrent pas parce qu’ils appliquent les médecines “libérales” du FMI: ils souffrent parce qu’ils n’ont pas mis en œuvre une politique réellement libérale avant de connaître leurs déséquilibres.
    Mais là, pour en discuter, il va falloir prévoir des jours et des jours et des kilos de sandwiches…

  2. Tres bon article qui resume l’inefficacite de cette institution a trouver de relle solutions et la persistence des etats a maintenir des politiques illusoires qui au final ne font qu’appauvrir leur peuple.
    L’auteur expose un probleme concret dont les effets sont negatifs a coup sur, il n’est pas oblige de proposer des solutions…

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