Samedi 8 octobre. Le ciel de Kidal s’est assombri à l’annonce d’une nouvelle funèbre : Cheik Ag Aoussa, chef d’Etat-major du Haut Conseil pour l’Unicité de l’Azawad (HCUA), membre de la Coalition des Mouvements de l’Azawad (CMA), est mort dans l’explosion de sa voiture alors qu’il rentrait d’une réunion au siège de la Minusma (ONU) à Kidal.
Selon les premières enquêtes menées par les ex-rebelles de la CMA, qui contrôlent Kidal devenue leur fief, « tous les constats ont écarté le passage sur une mine ». Autrement dit, la voiture « aurait été piégée à l’intérieur du camp » de la mission onusienne ( !).
Il ne fait pas de doute que la mort de cet ancien bras droit de Iyad Ag Ghaly est un coup dur pour l’ex-rébellion (dominée par la tribu touarègue des Ifoghas de Kidal) qui, de l’avis d’un grand nombre d’observateurs, est en perte de vitesse à cause des combats qui l’opposent depuis bientôt trois mois au Groupe armé touareg Imghads et Alliés (le Gatia) dont Gao est le fief (fief de la tribu touarègue des Imghads qui veulent se débarrasser de l’influence historique des Ifoghas sur la région).
Ce qui a amené les forces françaises de l’opération Barkhane à se déployer dans la ville de Kidal, pourtant sensée être confiée à la mission onusienne qui, en un an, a perdu 27 de ses membres.
Les deux groupes armés se disputent la gestion de la ville de Kidal. Ainsi, pour le Secrétaire général du Gatia, Fahad Ag Mahalmoud, le seul problème qui oppose le Gatia (Imghads) à la CMA (contrôlée par la tribu des Ifoghas), « c’est que les Ifoghas veulent que tout le monde soit derrière eux. Ils veulent être le seul interlocuteur de la communauté internationale (…) Il est impensable pour nous que les Imghads qui sont majoritaires soient dans une situation de dominés à Kidal, alors que les voies démocratiques leur donnent raison : le député est imghad, le maire aussi. C’est le plus grave problème du conflit. Tant qu’il n’est pas résolu, on n’avancera pas. »
Décidément, non, on n’avance pas. Depuis trois mois, les travaux du Comité de Suivi de l’Accord de Paix (Accords d’Alger de 2015, signés entre la CMA et le gouvernement du Mali) sont à l’arrêt, mettant ainsi l’application de l’accord au point mort.
Fragmentation
Au Nord, le Mali reste immergé plus que jamais dans la crise qui se prolonge avec les affrontements entre « la Plateforme » – mouvements armés du Nord, dont le fer de lance est le Gatia, partisans du gouvernement et de l’unité natioanle – et la CMA, réunissant les ex-mouvements rebelles.
Aujourd’hui, les acteurs de la mise en œuvre de l’Accord de paix, signé il y a plus d’un an, sont paralysés par l’extension du chaos qui fait qu’il est difficile d’envisager une sortie de crise. De fait, les affrontements entre Gatia et CMA, sur fond de guerre tribale, a créé une nouvelle donne que sont venues envenimer, ces deux derniers mois, les défections au sein du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA – figure de proue de la CMA au sein de laquelle il est rival du HCUA), et qui ont débouché sur la création de nouveaux groupes armés, de plus en plus nombreux et incontrôlables. En conséquence, la mosaïque des groupes armés dans le Nord fait tache d’huile.
Début septembre, Moussa Ag Acharatoumane, chef de la tribu touarègue des Daoussahak, pourtant cofondateur du MNLA, en est parti pour créer le Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA). Interrogé par Jeune Afrique, il a pointé le doigt sur les « déséquilibres à l’intérieur de la CMA, où la gestion est trop unilatérale », « la recrudescence de l’insécurité » et la « résurgence de conflits fratricides ». Mais un grand nombre d’observateurs ont décelé dans cette scission le signe d’un affaiblissement du MNLA (et donc de la CMA), critiqué par certains militants rétifs à l’idée d’abandonner « les idéaux et les objectifs » qui étaient ceux du mouvement à l’origine de la rébellion : l’indépendance.
C’est notamment l’avis de son ancien porte-parole en France, Moussa Ag Assarid, qui a démissionné fin avril dernier, pour se consacrer à son association Solidarité Azawad créée en 2013.
« Je ne parle pas des arguments des uns et des autres, ou des justifications qui trouvent leur ‘pertinence’ ou pas dans la situation sur le terrain ou dans l’atmosphère politique du moment. Ce dont je parle, c’est la prédisposition des groupes à la segmentation, à l’éclatement, ce qui justifie l’inexistence d’unité et l’inexistence d’un projet politique qui aurait une adhésion des Touaregs dans leur globalité ! Il faut bien comprendre le fond du fond ! », explique Intagrist El Ansari, écrivain et journaliste malien collaborateur régulier du Courrier du Maghreb et de l’Orient. « Je n’irais pas jusqu’à dire que le MNLA n’existe plus. Il faut évaluer sur le plan militaire ce qu’il en reste ; sur le terrain, il est incontestablement très affaibli, par les différentes scissions. Quant au ‘projet politique’ présenté par le mouvement depuis 2012 à l’opinion, il est incontestablement caduc depuis l’Accord de Ouagadougou, de juin 2013, et la feuille de route, de juin-juillet 2014, qui balisèrent le contenu de l’Accord d’Alger de 2015. »
À vrai dire, au sein de la rébellion touarègue, le climat est à la fragmentation.
Comme l’a prouvé encore une fois la création, à travers un communiqué daté du lundi 10 octobre, du Congrès pour la Justice de l’Azawad (CJA), issu de la tribu des Kel Ansar de Tombouctou. Les deux chefs provisoires du mouvement sont bien connus : des anciens membres du MNLA et du HCUA.
La création d’autres groupes armés n’est pas exclure, d’autant que chaque tribu ou communauté touarègue cherche à avoir un poids dans le processus de paix qui se trouve bloqué aujourd’hui. Beaucoup de dispositions que le texte prévoit n’ont pas toujours pas été appliquées : patrouilles mixtes, désarmement, démobilisation et réinsertion…
Complot contre le Mali ?
Depuis 2012, les Maliens ont dit adieu à la paix avec la résurgence de la rébellion du Mouvement national de l’Azawad (MNLA), suivie à l’époque de l’éphémère coup d’État du capitaine Amadou Haya Sanogo contre le régime légal et constitutionnel du Président Amadou Toumani Touré.
Les trois régions du Nord, Tombouctou, Gao et Kidal, furent soumises aux groupes djihadistes Ansardine (mouvement islamiste malien fondé et dirigé par Iyad Ag Ghaly), AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique) et le MUJAO (Mouvement pour l’unité du Jihad en Afrique de l’Ouest), chassés en 2013 par l’intervention militaire française Serval saluée à par l’opinion publique nationale.
Aujourd’hui, le sentiment général a beaucoup changé, et la France est perçue comme une partie du problème.
En 2013, la France intervenait pour vider les régions du Nord des groupes armés, mais son intervention s’est limitée à Gao, laissant Kidal entre les mains des indépendantistes du MNLA… Ce qui a ouvert les vannes de la colère et de la déception dans le pays où l’opinion est de plus en plus d’avis que la France est pour beaucoup dans la crise : « Nous sommes littéralement désarmés face à l’insurrection, nos forces militaires n’ont aucun poids. Le conflit fait peur aux touristes et nous prive d’importantes rentrées d’argent. Mais il ne faut pas se tromper d’ennemi : ce ne sont pas les Nordistes. » affirmait fin septembre le célèbre musicien Salif Keïta à Jeune Afrique. Il ajoutait : « Je dis simplement que si la France voulait que la guerre s’arrête, ce serait fini demain. Le Nord est riche en pétrole, en uranium, et il est sans doute facile de marchander avec une minorité. Je pose aussi une question : qui a armé la rébellion ? Pour moi, Paris est en partie responsable ».
Ces propos, qui ont eu l’écho escompté sur les réseaux sociaux, traduisent assez clairement l’état d’esprit des Maliens qui, pour la plupart, pensent que la situation actuelle dans le Nord du pays a été « créée » par la France.
Des partisans de la théorie du complot ?
L’hebdomadaire Journal du Mali, dans son éditorial, estime que ces propos relèvent du fantasme antioccidental : « Voir le problème uniquement sous cet éclairage relèverait d’une analyse incomplète, parce qu’aussi complexe que soit la situation au Mali, il est difficile d’affirmer que les problèmes sont inventés. Ce qui se passe au Nord n’est pas qu’une question de rébellion et de terrorisme. C’est plutôt l’affaiblissement et la vacuité politique qui permettent l’émergence des idéologies radicales et séparatistes. C’est cela qu’il faut faire comprendre aux partisans de la théorie du complot… »
Alors que tous ou presque attendent qu’il intervienne pour mener une médiation entre les groupes armés qui s’affrontent à Kidal, le gouvernement semble s’être enfermé à double tour dans le silence.
Une position que beaucoup fustigent et qu’ils imputent à son incapacité de décider quoi que ce soit quant à l’avenir du pays qui, désormais, est plus clairement que jamais sous tutelle de la Communauté internationale.