Le mali a fait la une des médias en 2012, lorsque plusieurs mouvements nationalistes touarègues et arabes, issus de communautés laissées pour compte, se sont soulevés contre le gouvernement de Bamako, rapidement débordés par l’implication de factions djihadistes dans le conflit. Puis, quelques semaines après l’intervention française, Paris a annoncé la victoire sur les rebelles… La guerre pour Kidal reprend cependant. Beaucoup, au Mali, saluaient les efforts de la communauté internationale dans la mise en œuvre des processus pour la paix et la réconciliation, quand un nouveau trébuchement des plus hautes autorités maliennes a rappelé le pays à ses terribles réalités.Une guerre passée de mode, médiatiquement inexistante, mais qui n’en finit pas de rebondir et multiplie les victimes, dans la désunion nationale…
Pour affirmer la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, le premier ministre malien, Moussa Mara, a effectué, le 17 mai 2014, une brève visite dans la ville de Kidal. Erreur prévisible : dès l’annonce de la visite du chef du gouvernement, des marches de protestations ont été organisées par les partisans de la rébellion, encore très nombreux à Kidal, leur fief le plus important.
Malgré cette hostilité manifeste, le premier ministre malien a poursuivi sa visite, décision qui a entraîné des réactions armées, des échanges de tirs et des pertes inutiles en vies humaines, un regrettable bain de sang… S’en sont suivies une escalade verbale aux allures de déclaration de guerre et le déploiement immédiat de renforts sur Kidal.
Cette visite inopportune a rompu le cessez-le-feu consacré par l’accord préliminaire d’Ouagadougou de 2012.
Une brève bataille a ainsi eu lieu, le 21 mai ; et, sans surprise, les insurgés ont réussi à mettre en déroute l’armée du Mali, qui a du battre en retraite.
Deux événements de portée politique et historique majeure ont mis fin à cette escalade.
Premièrement, la signature d’un accord de cessez-le-feu, le 23 mai 2014, entre le gouvernement de Bamako et les mouvements armés engagés dans les combats, sous la médiation de Mohamed Ould Abdel Aziz, président de la République de Mauritanie, qui est intervenu dans le dialogue de par sa fonction de président de l’Union Africaine.
Ensuite, la tenue, en Algérie, au courant du mois de juin 2014, de conclaves politico-sécuritaires entre les mouvements armés du nord. Ces conclaves, grâce à la médiation de l’Algérie, ont abouti à la signature de la Déclaration d’Alger, le 9 juin, impliquant les trois groupements rebelles en guerre contre le gouvernement de Bamako (le Mouvement national de Libération de l’Azawad – MNLA ; le Mouvement arabe de l’Azawad – MAA ; et le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad – HCUA), lesquels réclamaient l’indépendance de l’Azawad (le nord-Mali, à majorité touarègue et arabe). Tous les trois ont manifesté leur volonté de participer à l’apaisement du conflit et à la recherche d’une solution négociée dans le cadre national. Parallèlement, plusieurs factions nordistes pro-gouvernementales ont signé une déclaration allant dans le même sens.
Mais force est d’admettre que le déplacement maladroit du premier ministre Moussa Mara à Kidal a ramené le Mali à sa situation antérieure au 18 juin 2012, date de la signature de l’accord préliminaire d’Ouagadougou : tous les acquis de l’accord d’Ouagadougou ont été remis en question, à l’exception des élections présidentielles et législatives qui ont déjà eu lieu.
Et il est difficile de comprendre l’acharnement irréaliste dont a fait preuve le chef du gouvernement malien, qui a mené à cette remise en question, balayant par son attitude les efforts, l’intelligence et l’habilité des interlocuteurs maliens, de tous les voisins du Mali et de la Communauté internationale, qui avaient conduit à cet accord.
Et d’autant moins que la maladresse du premier ministre s’est soldée par un fiasco pour son gouvernement, aux plans diplomatique et militaire d’abord : le monde entier à retenu que le « Mali nouveau » a déclenché une guerre de la manière la plus irresponsable qui pouvait être et, une fois de plus, a dû battre en retraite, faisant encore la preuve de l’inefficacité de son armée, pour se précipiter ensuite à signer un accord de cessez-le-feu.
Par un désastre au plan politique, ensuite : deux déclarations jumelles, reprenant les mêmes constats de mal gouvernance, les mêmes recommandations et indiquant les mêmes directions pour la sortie de crise ont été signées séparément par des mouvements tous issus des communautés du nord du Mali. Deux déclarations symptomatiques qui révèlent la fragilité de l’unité nationale à peine retrouvée et, plus prosaïquement dit, témoignent d’un retour à la case-départ.
Le seul point positif qui peut être mis en évidence au terme de cette nouvelle crise, c’est la capacité retrouvée du Mali de revenir aux vertus d’une diplomatie objective de solidarité et de bon voisinage, une diplomatie qui a raffermi ses bonnes relations avec les « pays du champ », directement impliqués dans le règlement du conflit, à commencer par la Mauritanie et l’Algérie…
Cette attitude déraisonnable du gouvernement à engager le Mali dans d’éternels recommencements n’est pas acceptable pour la Communauté internationale qui, au regard de la multiplication des foyers de tension et des désastres humanitaires de tous genres, ne peut admettre la déperdition de ses efforts de solidarité.
Elle n’est pas non plus acceptable pour la majorité des organisations civiles maliennes qui ont maintes fois attiré l’attention des autorités sur la souffrance des populations exilées et déplacées et indiqué à toute occasion la voie à suivre. Faut-il le rappeler ? Elles ont plaidé pour un dialogue inclusif sur un nouveau contrat social qui traduirait dans les faits les vertus de la bonne gouvernance et de la forme républicaine de l’État.
Elles ont mainte fois suggéré que le Mali inscrive la bonne gouvernance comme principe de base de l’action du gouvernement, avec la conviction que seule la stricte observation de ce principe peut durablement sauver le Mali.
Cette attitude déraisonnable n’est pas acceptable non plus pour les populations du nord, Touaregs et Arabes, chassées de chez elles lors de la reconquête sur la rébellion, celles qui se cachent alors qu’elles sont chez elles, celles qui sont encore dans les camps de réfugiés aux frontières des États voisins, celles qui sont oubliées alors même que les enjeux du conflit ont précisément pour cadre leurs terres et leurs terroirs, leur milieu traditionnel de vie.
Pour ces populations directement concernées, il y a des efforts basiques, simples mais importants, à consentir pour faire renaitre la confiance, permettre la réconciliation et ranimer l’espoir d’un vivre ensemble apaisé.
Au nombre de ces efforts, il y a l’urgence de définir enfin le cap vers lequel le gouvernement est réellement prêt à engager le Mali, définitivement, pour abréger les souffrances et la longue attente de ces populations.
Il y a une autre urgence : la prise en charge de la sécurité de ces populations, qui devra passer par la construction d’une armée républicaine, impartiale, à égale distance de toutes les communautés nationales, ouverte à toutes les communautés et forte de leurs apports.
Ces exigences et bien d’autres attentes des populations ne peuvent se négocier autrement qu’avec les populations elles-mêmes et, en cela, tout nouveau dérapage similaire à celui de Kidal, toute nouvelle déclaration de guerre, instrumentalisation de mouvements armés, instrumentalisation des communautés, ne feraient qu’éloigner de nouveau les Maliens, ceux du nord comme du sud, des solutions endogènes objectives et raisonnables qui, avec un peu de bonne volonté, sont pourtant pour le moment à portée de la main.