MAROC – La “disparition forcée” : entre “IER” et aujourd’hui

0

Un peu moins d’une année s’est écoulée depuis que le Maroc a ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Une convention adoptée le 20 décembre 2006, au terme de la 61ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU), et coulée dans la résolution A/RES/61/177.

Mais, comme dans bien d’autres domaines, si le Maroc, souvent qualifié de « bon élève » par l’Occident, a commencé d’adopter une législation progressiste et attentive aux Droits de l’Homme, dans les faits, les textes promulgués demeurent lettre morte…

La notion juridique de disparition forcée

La Commission des droits de l’homme de l’ONU a décidé de créer un groupe de travail  de cinq experts indépendants pour examiner les questions concernant les disparitions forcées de personnes. Le groupe de travail a défini comme « disparitions forcées », celles qui sont organisées par des agents d’un État ou par des particuliers ou des groupes organisés agissant au nom ou avec l’appui, direct ou indirect, ou avec le consentement ou l’assentiment de pouvoirs publics.

Pour définir un acte de « disparition forcée », le groupe de travail considère le fait de placer la victime en dehors de la protection de la loi. De plus, le groupe de travail considère aussi qu’un acte de disparition forcée peut débuter par une détention illégale ou par une arrestation ou une détention initialement légale. Autrement dit, la protection d’une victime contre une disparition forcée doit prendre effet au moment où se produit l’acte de privation de liberté, quelle que soit la forme de cette privation, qui ne se limite pas à une privation illégale de liberté.

Enfin, une détention qui serait suivie d’une exécution extrajudiciaire est considérée comme un cas de disparition forcée, dans la mesure où elle a reçu l’aval du gouvernement et si, après l’exécution, les agents de l’État refusent de révéler le sort de la personne concernée et/ou l’endroit où elle se trouve, ou refusent même de reconnaître que l’acte a été commis.

Selon le préambule de cette convention, la disparition forcée constitue un crime grave et « dans certaines circonstances, un crime contre l’Humanité ». En effet, l’article 5 précise que « la pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’Humanité ».

Par ailleurs, les États parties de la convention sont invités à inscrire dans leur législation pénale interne une définition légale claire et précise de la « disparition forcée » et de prévoir des sanctions à l’encontre des auteurs de cas de disparitions forcées.

Le Maroc devrait donc, en principe, procéder dans ce sens à l’occasion de la prochaine réforme du code pénal.

La non-reconnaissance par le Maroc de la compétence du Comité des disparitions forcées

Comme l’a dénoncé Amnesty International, le Maroc n’a toujours pas reconnu la compétence du Comité des disparitions forcées.

Il s’agit d’une instance formée d’experts, prévue par la convention et dont la mission est de surveiller l’application par les États parties des dispositions prévues par la convention. En effet, selon l’article 29, les États signataires sont tenus de présenter, par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, un rapport sur les mesures  prises afin de donner effet aux obligations contenues dans la convention, et ce dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la convention pour l’État partie concerné. Le Comité examine chaque rapport et peut émettre des commentaires, observations et recommandations à l’État partie. Il peut aussi demander des renseignements complémentaires sur la mise en application de la convention.

Cette reconnaissance n’est cependant pas obligatoire. L’article 31 de la convention précise que « tout État partie peut déclarer, au moment de la ratification de la convention ou ultérieurement, qu’il reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par des personnes ou pour le compte de personnes relevant de sa juridiction qui se plaignent d’être victimes d’une violation, par cet État partie, des dispositions de la convention. Le Comité ne reçoit aucune communication intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle déclaration. »

Or, jusqu’à aujourd’hui, le gouvernement marocain, n’a pas émis de déclaration reconnaissant la compétence de cet organe. Le gouvernement marocain interdit ainsi aux victimes de disparitions forcées, à leurs proches, à leurs représentants légaux, à leurs avocats ou à toute personne mandatée par eux, de saisir en urgence le Comité pour qu’il effectue des recherches dans le but de retrouver la personne disparue.

Néanmoins, et nonobstant la non-reconnaissance de compétence, une possibilité subsiste d’interpeller un État membre sur des cas de disparitions forcées constatés sur son territoire. Ainsi, lorsque le Comité est informé, par des sources crédibles, qu’un État partie porte gravement atteinte aux dispositions de la convention, « il peut, après consultation de l’État partie concerné, demander à un ou plusieurs de ses membres d’effectuer une visite et de l’informer sans retard ».

La disparition forcée entre « IER » et aujourd’hui

La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées précise que «  le Comité n’est compétent qu’à l’égard des disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l’entrée en vigueur de la convention ». Autrement dit, les cas de disparitions forcées enregistrés avant la date de ratification ne peuvent pas se prévaloir de ce nouvel instrument de droit international.

Au Maroc, ceci pose évidemment la question des cas de disparitions forcées non résolus à ce jour et évoqués au sein de l’Instance « Équité et Réconciliation » (IER), pour la période comprise entre 1956 et 1999. Interrogé à ce sujet, Abdelilah Benabdeslam, membre du bureau central de l’Association marocaine des Droits humains (AMDH), explique que le dossier de la disparation forcée comprend deux volets : le premier concerne « le passé », c’est-à-dire la période couverte par l’IER de 1956 à 1999 ; le second concerne le « présent », c’est-à-dire la période postérieure à 1999.

La disparition forcée, entre 1956 et 1999

Selon Abdelilah Benabdeslam, toute la lumière n’a pas encore été faite sur les cas de disparitions forcées enregistrés durant cette période et traités par l’IER entre 2004 et 2005. À ce propos, le Conseil national des Droits de l’Homme (CNDH) a institué une commission dont la mission est de poursuivre les recherches concernant de nombreux cas comme celui de Mehdi Benbarka, Houcine El Manouzi, Abdelhak Rouissi, Abdelatif Zeroual, Ouazzane Belkacem, Omar El Ouassouli, Mohamed Islami et bien d’autres encore. Mais les familles attendent toujours que l’État marocain leur remette les dépouilles de leurs proches ou qu’il effectue des prélèvements ADN pour procéder aux identifications des corps des disparus lors des répressions violentes qui ont accompagné les événements de 1965, 1981, 1984 et 1990.

En outre, Abdelilah Benabdeslam ne manque pas de souligner que les responsabilités administratives et pénales n’ont toujours pas été établies à l’encontre des personnes qui ont commandité ou participé aux actes de disparitions forcées non encore élucidés.

La question de la disparition forcée devrait toutefois faire l’objet d’une préoccupation particulière, à l’échelle nationale, car elle est intrinsèquement liée à la préservation de la mémoire collective du peuple marocain : « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » (Aimé Césaire).

En Afrique du sud, par exemple, la prison de Nelson Mandela a été transformée en musée pour préserver la mémoire des années sombres de l’histoire du pays, au profit des jeunes générations et afin de sensibiliser la population au désastre de l’Apartheid.

Au Maroc, cependant, les pouvoirs publics n’accordent pas la même attention aux lieux où ont été enfermés, torturés et exécutés des centaines de Marocains. Ainsi, le tristement célèbre bagne de Tazmamart a été démoli ; et d’autres lieux de détention, tels qu’Agdez et Qalaat Meguouna, tombent progressivement en ruines.

La disparition forcée après 1999

Malgré les efforts déployés par l’IER pour mettre un terme aux pratiques de disparitions forcées qui ont entaché le règne du roi Hassan II, le spectre de ces méthodes de gouvernement a ressurgi après 1999, et ce  dans le cadre de la nouvelle politique de « lutte antiterroriste ».

Dès après les attentats du 11 septembre 2011, les associations marocaines de défense des Droits de l’Homme ont enregistré plusieurs nouveaux cas de disparitions forcées, concernant notamment des citoyens marocains de retour d’Afghanistan ; le nombre des cas recensés a été tel qu’un collectif de trois associations (AMDH-OMDH-FVJ) s’est constitué pour mener une grève de la faim en signe de protestation contre la résurgence de telles pratiques.

À la suite des attentats terroristes de Casablanca (16 mai 2003), le nombre de cas de disparitions forcées va atteindre un point culminant pour la période post-1999, touchant surtout les mouvements islamistes. Des personnes seront enlevées et détenues dans des lieux secrets et dans des conditions extrajudiciaires, parfois pendant plusieurs mois.

Une véritable « exception marocaine » puisque, alors que les pouvoirs publics marocains promouvaient à l’intention de la Communauté internationale les « progrès » réalisés en matière de Droits de l’Homme sous l’égide de l’IER, parallèlement, les violations des Droits de l’Homme se poursuivaient systématiquement, sous couvert de lutte anti-terroriste.

Et l’on notera encore que les cas de disparitions forcées qui ont eu lieu au Maroc après 1999  n’ont pas été exclusivement motivés par des considérations idéologiques ou politiques, mais ont aussi servi les intérêts privés de personne proches du pouvoir.

Le cas du boxeur Zakaria Moumni est en cela très éloquent, qui a tout récemment été entendu à l’occasion d’un colloque au Parlement européen, après avoir subi une disparition forcée, durant l’année 2010, dans le centre de détention secret de Témara, dans la périphérie de Rabat.

Témara, où ont été internés nombre de militants du Mouvement du 20 février, lors du « printemps arabe » marocain, rapidement étouffé par le gouvernement…

Share.

About Author

Rida Benotmane

Journaliste (Rabat - Maroc)

Leave A Reply