TUNISIE – Il est plus agréable d’être pauvre, mais respecté

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Les provisoires font leur cirqueLa Tunisie, dit-on, a réussi sa transition, tant bien que mal ; elle a élu son parlement et son président lors d’élections libres et pluralistes. Le peuple use et quelque fois abuse de la liberté d’expression (ce qui, en fait, est une bonne chose) et le nouveau gouvernement, en mode « Nelson Mandela », réunit toutes les tendances, dans la réconciliation nationale. Toutes ou presque…Si le cheval de bataille de Béji Caïd Essebsi est la « réconciliation nationale », certains y voient plutôt une trahison.

 La Tunisie réunit tous les ingrédients pour être admise dans le cercle des démocraties mondiales.

Comme la France et bien d’autres pays démocratiques, elle a même eu droit, elle aussi, à son attentat macabre : vingt-deux morts au Musée du Bardo, des victimes de plusieurs nationalités ; qu’elles reposent en paix.

Pourquoi un attentat en Tunisie ?

Parce que la Tunisie donne des idées, et ces idées ne sont pas les bienvenues au regard de certains gouvernants, qui préfèrent abandonner leur peuple à l’ignorance et l’obscurantisme, pour qu’eux même puissent vivre en nababs ou plutôt, en émirs, tétant les richesses du pays, sous le couvert de la religion.

Le peuple tunisien, avec ses envies de démocratie et de confort, alors que son sol ne recèle rien, donne à ces émirs de l’urticaire, à un point tel qu’un prêcheur syrien hébergé en Arabie Saoudite (toujours l’Arabie Saoudite) a lancé une fatwa qui interdit aux musulmans le mariage avec les femmes tunisiennes. On imagine aisément le désespoir des tunisiennes indépendantes, engagées et émancipées de la tutelle masculine depuis l’instauration, en 1956, du Code du statut personnel, lorsqu’elles ont compris qu’elles ne pourront plus épouser un de ces hommes qui considèrent que la femme n’est qu’une reproductrice, qui a moins de valeur qu’une vache.

Il fallait donc frapper le cœur de ce petit pays prétentieux, pour lui rappeler que, dans la vie, il y a des règles, auxquelles il va devoir se conformer.

Il a été décidé que la Tunisie doit sombrer dans le chaos, comme sa voisine libyenne, qui, pour le cas, a reçu un coup de main et de grâce de Monsieur Sarkozy et de son représentant de commerce, le communément dénommé « BHL », quintessence du narcissisme, de la mauvaise foi et du mensonge.

L’attentat a frappé juste : le nerf de la Tunisie, le Tourisme.

L’économie de la Tunisie a déjà beaucoup souffert depuis la révolution ; en s’attaquant au tourisme, les commanditaires de l’attentat ont l’espoir de détruire définitivement ce secteur si essentiel, afin d’isoler et de ruiner la Tunisie.

Et ne nous leurrons pas : les deux terroristes tués n’étaient pas des éléments isolés ; ils ont répondu à des ordres d’une plus haute instance, qui n’est pas du tout céleste.

Mais ils ont échoué, car le monde entier a été solidaire avec ce petit pays, qui ne veut pas se noyer dans un bain de sang.

Les marques de sympathie arrivèrent des quatre coins de la planète, d’où des anonymes promirent de venir sauver la saison touristique. Les Algériens ont même donné une avance : quarante-cinq mille d’entre eux débarquèrent, dés le lendemain des attentats.

Une grande marche fut organisée à Tunis, où se pressèrent les représentants de nombreux gouvernements ; le président français prit la tête du cortège.

Bien sûr, les manifestations ne décourageront pas les terroristes de frapper encore ; mais il était important de leur signifier « Vous ne passerez pas et nous ne sommes pas seuls ».

Une partie de la société refusa cependant de rallier cette marche, à laquelle des cadres d’Ennahdha, le parti islamiste « modéré » participait également.

« Islamiste modéré », c’est une invention des médias français… Je veux dire « occidentaux ».

Soit on est musulman et donc on pratique simplement sa foi en respectant les autres religions, soit on est islamiste et on ne respecte ni ne reconnait aucune autre religion, que l’on essaie dès lors de détruire. Mais tout cela semble encore un peu flou dans l’esprit de certains occidentaux.

Personne n’a oublié la déclaration de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française, à Marrakech, en décembre 2012, lorsqu’il annonçait que le Front al-Nosra faisait du bon travail en Syrie contre Bachar al-Assad, et qu’il était donc assez difficile de le désavouer.

Difficile de désavouer Jabhet al-Nosra ? De désavouer al-Qaïda ?

Il faudra le faire savoir aux victimes d’al-Nosra ; ça les réconfortera certainement, dans leur tombe.

Mais pour l’heure en Tunisie, le président Béji Caid Essebsi, a été l’invité de son homologue français, et l’Elysée a mis les petits plats dans les grands ; François Hollande fit grand honneur à son invité en lui étalant toute la panoplie des apparats, réservée aux grands de ce monde (le dernier en date était le président chinois) ; au grand bonheur des Tunisiens qui y voyaient là une marque de respect, respect qui semblait perdu par ces trois dernières années, par Marzouki et la Troïka qui opéraient à la tête de l’État.

Oui, les Tunisiens étaient heureux de toutes ces marques de respect. Mais ils se sont posé une question : « pourquoi ? »

Pendant la campagne présidentielle, François Hollande n’avait pas su dissimuler son soutien, tacite, au président provisoire sortant, Moncef Marzouki ; et, les médias français s’étaient efforcés d’enjoliver l’image de nos islamistes, de nos « modérés ».

Et voilà qu’aujourd’hui, tous font un pont d’or à BCE (Béji Caïd Essebsi) ; espèrent-il par là lui faire oublier leurs prises de positions pro-Marzouki et pro-Nahda.

La Tunisie a besoin de matériel pour sa sécurité, mais n’a pas les moyens d’en acheter. Qu’a cela ne tienne, Paris essaie de persuader le Qatar, qui lui-même investit beaucoup en France -entre autre dans les banlieues qu’il fournit en mosquées et prêcheurs wahhabites qui poussent les jeunes au jihad- de régler les factures de ces fournitures, qui ne coûtent que quelques millions d’euros, et de les offrir à la Tunisie.

Il ne faudrait pas qu’après cet accueil, BCE se montre ingrat en s’adressant à la Russie ou à la Chine, la Chine qui, après avoir mit un pied en Afrique, est en passe de devenir le premier investisseur sur ce continent, après la Malaisie. Mais, de cela, il n’y a aucun risque…

Une des différences entre la Chine et le Qatar, pense-t-on en Tunisie, c’est que, lorsque la Chine investit, elle crée des infrastructures, elle crée des emplois, elle crée des universités ; bref, elle investit vraiment. Le Qatar, quand à lui, il s’achète le pays ; il se l’achète mais ne bâtit rien, hormis des mosquées. Tout le reste, il se le réserve, à son bout de désert.

Mais il est vrai aussi que si l’administration française critiquait aisément les méthodes de Bachar al-Assad, qui se débat au milieu d’al-Qaida, d’al-Nosra, de Daech, bref de l’État islamique… et d’autres groupes terroristes comme Boko Haram… non, pas Boko Haram ; eux, ils ont été créés pour l’Afrique, et le Qatar finance tous ces extrémistes, sans recevoir de remontrance de personne…

BCE rentra au pays à temps, pour le 9 avril, le jour de la fête nationale qui commémore la répression sanglante de la police française contre les manifestants tunisiens qui avaient demandé un parlement, le 9 avril 1938, à l’époque du protectorat français. Il ramena dans ses bagages la même promesse qui avait été faite, un an auparavant, à Moncef Marzouki : la conversion de 60 millions d’euros de dettes en projets d’investissements. Donc finalement, il ne ramena qu’un plat, mal réchauffé.

Alors, les Tunisiens, après maintes suppositions et supputations, ne trouvèrent que des raisons de diplomaties, sous-entendant « politesse », à cette curieuse invitation… Mais ils furent heureux, tout de même, de toutes les marques de déférences prodiguées à leur BCE et, donc, à la Tunisie, qui retrouvait ainsi un certain prestige.

Parfois, les Tunisiens oublient que le prestige ne nourrit pas son homme…

Mais il faut bien l’avouer : il est plus agréable d’être pauvre et respecté que d’être pauvre et méprisé.

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Mounira BOUZID

Écrivain (Bizerte - TUNISIE)

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