SYRIE – Le métropolite qui a remis les pendules à l’heure… du Christ

2

Le mercredi 30 septembre marque l’annonce, par le patriarcat de Moscou et de toute la Russie, du début d’une « guerre sainte » en Syrie. Détrompez-vous : nous sommes en 2015, et non en 1095 de l’ère chrétienne…

Mais cette fois-ci, c’est l’Église orthodoxe de Russie qui lance et bénit la campagne, devant le silence suspect de l’Église catholique de Rome. Je ne sais de quels versets et de quelles paraboles de l’Évangile certains ecclésiastiques et prélats d’hier et d’aujourd’hui ont tiré leur « feu vert » ou feu d’enfer pour tuer leur prochain, au lieu de l’aimer, si ce n’est comme eux-mêmes -ceci étant impossible, compte tenu de leur dignité- du moins comme on aimerait son serviteur.

En effet, à quels passages de la Bonne Nouvelle ces éminences religieuses puisent-elles leurs mauvaises nouvelles et pratiques ? Car je n’entends nulle part d’appels pour des guerres, saintes ou pas saintes, dans la Parole de Dieu. Mais au contraire, je lis dans le Nouveau Testament, qui est ma seule référence en tant que Chrétien, que « qui use de l’épée périra par l’épée », qu’il faut « aimer son prochain comme soi-même », et même qu’il faut « aimer nos ennemis et bénir ceux qui nous persécutent ». D’où nous viennent ces Pharisiens des temps postmodernes ? De quelle époque moyenâgeuse, caverneuse ? Sur la base de quelle doctrine chrétienne, quel dogme, quelle révélation nous délivrent-ils le permis de tuer, de détruire, de pousser davantage des populations à l’exode ? Par quelle bouche le porte-parole de l’Église orthodoxe de Russie, Vsevolod Tchapline, sort-il de telles hérésies? Par la bouche de quel maître ? Accrédité par quel dieu ? Par la bouche de quel Christ, quel Évangéliste, quel Sage, le patriarche Kirill de Moscou donne-t-il son aval religieux pour le massacre d’êtres humains qu’il devrait considérer comme des frères, en tant que serviteur de Dieu, fussent-ils terroristes ou pas, coupables ou innocents ? Serait-ce par la bouche du Diable ?

Quelle aurait été l’attitude du fondateur de sa religion et de ses disciples devant une telle insanité ? Ne craignent-ils pas, ces patriarches et messeigneurs, la sentence au jour du Jugement ? Ou bien cette perspective ne les effleure-t-elle même pas en raison de leur croyance toute rituelle, protocolaire, de façade, confortablement ancrée dans leurs luxueux privilèges temporels ?

Encore heureux que le métropolite de Beyrouth, Mgr Elias Audi, haut prélat de l’Église orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, ait eu le courage, l’humanité et l’honnêteté théologique de se dissocier, durant son homélie dominicale en l’Église Saint-Georges, de la position belliqueuse de l’Église de Russie et des propos hérétiques de son patriarche.

En effet, le métropolite a remis les pendules à l’heure du Christ, en des termes forts et sans détours : « Notre Église ne bénit pas celui qui tue l’autre, car celui qui tue l’autre, c’est comme s’il voulait tuer Dieu. L’Église ne bénit pas les guerres et ne les sacralise pas. Elle ne sanctifie pas les combats et refuse le concept de ‘guerre sainte’ (…) Ceux qui vous rejettent parce que vous suivez les commandements de Dieu sont eux-mêmes rejetés par Dieu. »

En espérant, toutefois, que ce franc désaveu de Mgr Audi, qui s’était fait attendre, soit en phase avec la position de son propre patriarche, Jean X d’Antioche, et en conformité avec les convictions intimes de ce dernier et ses sentiments in petto. En espérant également qu’il n’ait pas été uniquement exprimé pour apaiser l’indignation de la soixantaine de personnalités libanaises grecques-orthodoxes qui avaient, la veille, signé et fait circuler une pétition dans laquelle les signataires refusaient que « des guerres ou des actions terroristes puissent être justifiées au nom de la religion » et que « la protection des Chrétiens puisse servir d’alibi au service d’objectifs idéologiques ou politiques, comme certains ont tenté de le faire récemment en appui à l’intervention militaire de la Russie en Syrie ».

Parlant de protection des Chrétiens, il y a tout lieu de craindre que cette campagne russe, à connotation « chrétienne », entreprise sous un label « saint », ne réveille les grands démons confessionnels pour inaugurer un nouveau cycle de « croisades », d’animosités et de violences inter-religieuses, islamo-chrétiennes, qui dépasseraient le cadre conflictuel syro-irakien pour faire des Chrétiens d’Orient la cible justifiée de représailles, partout où ils se trouveraient dans des milieux majoritairement musulmans, notamment sunnites. Et vice versa pour les musulmans d’Occident.

Pour cela, toutes les Églises devraient s’en aviser, conjurer « ses » et « ces » démons, prendre le contrepied de l’Église renégate de Russie et se solidariser avec la courageuse position de l’archevêque orthodoxe de Beyrouth, notamment les autres Églises d’Antioche et de tout l’Orient (maronite, syriaque orthodoxe, syriaque catholique, grecque-catholique melkite) sans oublier la nouvelle « grande muette » dans cette affaire : l’Église catholique de Rome, dont le souverain pontife est pourtant d’un naturel très loquace.

Share.

About Author

Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

2 Comments

  1. Charles Fayad on

    En effet comme l’écrit Ronald, nous ne sommes pas en 1095. Je ne crois pas en s’attardant sur cette date, que j’ai inventé l’eau chaude, mais c’est l’année qui a marqué d’une croix blanche ou noire, l’histoire de l’Humanité, ou pour être modeste, l’Occident. Pour ceux ou celles qui n’ont pas pris la peine de googler cette date, elle fut l’année où débutait les Croisades. Nous étions à une glorieuse époque où les Papes bénissaient les canons, comme aujourd’hui subsiste encore des messes où l’on bénit les animaux. Une fois par an on peut emmener sa bête domestique, son toutou, son canari pour le faire arroser de quelques gouttes d’eau bénite. Autre fois les canons, de nos jours les animaux !!!
    Nous sommes donc en l’an de grâce 2015, et l’humanité, si j’ai bien retenu mes leçons d’histoire et de géographie, a fait un fameux bond en avant. Les Américains, ne l’oublions pas sont allés sur la lune !!! Cela étant dit, il y un curieux pays à l’écart de la démocratie, la Russie pour ne rien cacher, un pays qui a connu la dictature communiste, et de nos jours est dirigé par un ancien militaire du KGB. Celui-ci, sur un coup de tête a annexé la Crimée, au grand dam des autres grandes puissances, qui en fin de compte n’avaient rien à lui reprocher…
    Tout cela pour dire qu’il subsiste dans ce pays, des prélats qui vivent à l’écart du monde, et parlent pour ne rien dire. Comme l’écrit Ronald : ’’’’’patriarche Kirill de Moscou donne-t-il son aval religieux pour le massacre d’êtres humains qu’il devrait considérer comme des frères, en tant que serviteur de Dieu, fussent-ils terroristes ou pas, coupables ou innocents ? Serait-ce par la bouche du Diable ?’’’’’ Quelle horreur ! Un prélat orthodoxe appelle à la guerre sainte !
    Cela sous-entend, qu’on s’attend au pire de la part d’un religieux, quelque soit sa confession, mais pas d’un Catholique ou d’un Orthodoxe. Pour ceux qui souhaitent m’accuser de mauvaise foi, je n’ai pas pensé à un religieux juif ou musulman… Personne n’a le monopole de l’horreur ! et l’appel au crime ou à la guerre sainte.
    Pour être bref, notre cher métropolite, (évêque chez les Roum orthodoxes) Elias Audi a raison de faire appel à la raison et non à la foi des fanantiques. Monseigneur, pour vous remercier de votre prise de position, je vous embrasse sur la bouche quelque soit votre haleine de vin de messe ou de havane. Vous êtes en odeur de sainteté……

    • Ronald Barakat on

      Merci Charles Fayad. L’année 1095 a marqué d’une croix plutôt noire l’histoire de l’humanité, et plus particulièrement celle de l’Occident, surtout que les croisades se sont soldées par un échec. Quant à Mgr Elias Audi, il a fait appel à la vraie foi (pas celle des fanatiques), et non à la raison, car c’est justement la raison – et la raison d’Etat – qui justifie les guerres saintes. Il a fait appel à la Parole de l’Évangile qui condamne toute forme de violence et il s’en est remis à la logique divine selon laquelle “notre Royaume n’est pas de ce monde”. Jésus n’était pas venu pour la libération du joug de l’occupant romain, comme le croyaient les juifs, mais pour la libération de l’emprise du péché. C’est pourquoi on lui a préféré Barabbas et on l’a envoyé sur la croix. Le christianisme, au sens pur, est une soumission à l’ordre politique établi, et une révolution spirituelle, faite d’amour, de pardon et de commisération. Pour le chrétien (véritable), la vie sur terre est un transit jonché d’épreuves pour mériter la vie éternelle.

Reply To Ronald Barakat Cancel Reply