SYRIE – Les jeux sont faits… Rien ne va plus !

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Au Proche-Orient, la conjoncture se complique chaque mois un peu plus… Et il devient de plus en plus difficile d’appréhender les retournements d’alliances qui continuent décidément de jalonner une guerre de sept ans qui a causé plus de 350.000 morts.

Certes, la partie est probablement gagnée pour le régime, et Bachar Al-Assad conserve le pouvoir : après cinq semaines d’intense offensive lancée en février 2018, l’armée syrienne achève d’occuper la Ghouta orientale, cette colline qui domine Damas et d’où partaient les tirs de roquettes en direction de la capitale. Ainsi, le régime a repris le contrôle de plus de 55% du territoire, où vivent les deux-tiers de la population.

Dans le nord-est du pays, toutefois, l’armée turque s’est emparé en deux mois  de la ville d’Afrine, jusques alors aux mains des Kurdes de Syrie, qui contrôlent à leur tour Raqqa, l’ex-capitale du groupe jihadiste État islamique. Mais ces mêmes Kurdes se rapprochent désormais du régime de Bachar Al-Assad, qui règne à nouveau sur la « Syrie utile » et qui, tant que les Russes le soutiendront, restera à la tête du pays ; d’ailleurs, plus aucun pays occidental ne demande son départ comme préalable à un éventuel règlement de la guerre.

Les Iraniens non plus ne le lâcheront pas, Damas étant un jalon essentiel de l’arc perse bâti – faut-il le rappeler ? – à la faveur de l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003.

Cette construction patiemment édifiée, basée sur une instrumentalisation systématique de la religion chiite, pourrait se parachever dans les événements du Yémen, guerre orpheline qui semble n’intéresser personne sinon – à peine – par le biais humanitaire, et qui est caractérisée par le réveil de la tribu des Houthis, des montagnards appartenant au rameau zaydite du chiisme (du nom de l’imam Zayd, quatrième descendant du Prophète).

La guerre au Yémen complète en effet un imbroglio inextricable impliquant également l’Arabie séoudite, les Émirats arabes unis ainsi que, dans une moindre mesure, l’Égypte, et qui a des conséquences stratégiques multiples dans la région. En premier lieu, le retour des empires russe, perse et ottoman, ainsi que d’un impérialisme américain devenu imprévisible sous la présidence de Donald Trump. En deuxième lieu, le contrôle iranien sur le Golfe persique, par lequel transitent près de 17% des hydrocarbures de la planète. En troisième lieu, l’accès désormais direct de l’Iran à la Méditerranée orientale, par le biais de l’hégémonie de son allié, le Hezbollah, sur le port libanais de Tyr. Sans oublier ni l’intrusion sans précédent de l’armée turque sur le territoire syrien – opération magnifiquement baptisée « Rameau d’olivier », qui fait de nombreuses victimes dans les rangs des Kurdes de Syrie – ni les risques réels pesant sur le Liban, entraîné comme toujours et bien malgré lui dans la spirale de la violence régionale.

Dans le camp occidental, à côté de Washington et Moscou, la communauté internationale se réduit, comme peau de chagrin, à une Europe impuissante et divisée qui se contente d’aider au compte-goutte les Kurdes syriens et réagit très timidement, tout comme les États-Unis, aux attaques et bombardements sauvages de l’armée turque : les Kurdes, une fois de plus, sont les sacrifiés de l’histoire, immolés sur l’autel d’une realpolitik pour le moins incohérente, fondée sur le prétexte de l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et sur le chantage aux réfugiés syriens que Recep Tayyip Erdogan impose implicitement à l’Occident. « Ma main droite n’ignore-t-elle pas ce que fait ma main gauche ? ».

En conséquence, Iran, Russie et Turquie se retrouvent alliés objectifs mais aux intérêts totalement divergents : Téhéran entend sauvegarder l’édifice qu’il a mis trente ans à bâtir et demeure cependant précaire ; Moscou veut empêcher la « remontée » de djihadistes vers les territoires sous son contrôle et s’impose, comme à Alep en 2016 et à Homs l’an dernier, en négociateur avec les trois groupes rebelles actifs dans la Ghouta, obtenant l’évacuation de 34.000 personnes vers la province d’Idlib, qui échappe encore presque entièrement au régime ; quant à Ankara, souhaitant plus que tout éviter le cauchemar d’une entité kurde autonome en Syrie sur le modèle de celle qui existe déjà en Irak, elle a dû s’adjoindre des supplétifs jihadistes que toutes les autres parties ont eu tant de mal à déloger du territoire syrien, et elle menace d’avancer plus avant en Syrie, jusqu’à Minbij… où sont stationnés des commandos américains.

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Si les cartes sont ainsi régulièrement redistribuées, une seule chose demeure constamment certaine, outre une situation humanitaire préoccupante : Bachar Al-Assad excepté, le nom du futur gagnant de ce vaste conflit n’est pas encore sorti.

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Antoine SFEIR

Politologue – Journaliste Directeur de la revue Les Cahiers de l'Orient

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