SYRIE – Ruines humaines, dans la prison de Palmyre

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Depuis l’offensive des hordes jihadistes de l’État islamique contre Palmyre, médias et gouvernements du monde, surtout du monde occidental, sont ravagés d’émotion à l’idée de perdre ce « joyau du patrimoine de l’Humanité ». Une émotion muée en commotion depuis la chute de la ville, le 20 mai 2015. Que va-t-il advenir de la cité antique ? Quel sort sera-t-il réservé à ces ruines millénaires ? … Mais qui a seulement pensé à la prison de Tadmor ?

Pécaïre ! Et les médias occidentaux d’y aller de leurs spéculations et récriminations sur les raisons de ce nouveau revers de l’armée de Bachar, promu par eux, de criminel de guerre, au grade de défenseur du patrimoine mondial.

Certains journalistes européens pro-régimes zélés, qui avaient peu entendu parler de Palmyre auparavant, désormais très inquiets sur le sort des vestiges qu’ils viennent de découvrir sur « wikipedia », s’en sont même pris à la Coalition internationale, l’accusant de n’être pas intervenue par souci de ne surtout pas venir en aide au régime baassiste, et d’avoir par conséquent sacrifié ce « joyau », désormais menacé de disparaître de la vitrine archéologique…

Mais, quelles que soient les motivations de la Coalition, elles auront au moins permis la prise de la terrible prison de Palmyre, et peut-être d’en libérer les prisonniers, dont le sort reste inconnu.

Des prisonniers, les survivants d’entre eux, où qu’ils soient désormais, qui connaissent certainement, à présent, des conditions moins horribles, le centre de détention de Tadmor étant réputé pour être un centre d’abomination,  selon les nombreux rapports d’organisations de défense des Droits de l’Homme et les témoignages d’anciens détenus revenus de ce pénitencier comme de l’enfer même.

Les pires atrocités y étaient en effet commises depuis l’avènement de la dynastie des Assad, qui avait fait de la prison de Palmyre l’un des plus sévères centres de répression, réservé aux prisonniers politiques et islamistes.

Pour la « petite histoire », une série de massacres y avaient été commis dans les années 1980, dont le plus important eut lieu le 27 juin 1980, au lendemain d’un attentat manqué contre le président Hafez al-Assad, quand les Brigades de Défense, sous le commandement de Rifaat al-Assad, frère du président, avaient pénétré dans la prison et exécuté environ cinq cents prisonniers dans leurs cellules, les dortoirs et la cour de promenade. Le même Rifaat al-Assad qui jouit aujourd’hui en France, au pays de la « Liberté-Égalité-Fraternité », d’un statut bien mérité, seulement interrogé par les autorités françaises sur l’origine de sa fortune, et nullement sur ses crimes. Et pourquoi pas, finalement ? N’avait-il pas été décoré de la Légion d’Honneur en 1986, par le président François Mitterrand ?

Des témoins ont fait le récit hallucinant des tortures « raffinées » et systématiques, d’exécutions sommaires, parfois collectives, dans cette prison, à un jet de pierre des cars de touristes insouciants, venus se faire photographier devant les célèbres colonnades. Des fosses communes auraient été creusées non loin des sarcophages tant vénérés des « palmyrophiles ». Ces touristes, « civilisés », qui se baladaient parmi les ruines, caméra au cou, main dans la main, se doutaient-ils que sous leurs pieds caressant le sable fin de l’oasis étaient enfouis des ossements ne datant pas de l’Empire romain, mais Assadien ? Entendaient-ils les cris d’épouvante, les hurlements des suppliciés ?

Faisant écho à l’ignorance  journalistique, le monde cybernautique exprime lui aussi, partout et sans retenue, dans un charivari « facebookien » hystérique, son angoisse existentielle à l’idée de perdre la « Perle du Désert », « Perle  de l’Humanité », sans le moindre coup d’œil à la « Perle de l’Inhumanité » qui brillait tout à côté ; et sans nullement se soucier du sort des détenus -que sont-ils devenus ?-, tout leur émoi étant concentré sur les ruines mortes, au mépris des ruines vivantes.

Heureuse Palmyre ! Elle a obtenu en quelques jours ce que la Syrie entière, croulant sous les bombes, les barils d’explosifs, les missiles Scud, éventrée de coups de baïonnette, étouffée de gaz sarin et de chlore, n’a pu obtenir en quatre ans.

C’est que les pierres qui s’écroulent sur la tête des Syriens depuis 2011 ne sont pas antiques, à l’instar des pierres de Palmyre. Pour la malchance des Syriens, les ruines qui les ensevelissent ne sont pas inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les enfants syriens, massacrés par milliers, n’ont pas le même statut patrimonial que les enfants de la reine Zénobie, pour mériter l’indignation et la mobilisation de la communauté internationale.

Et le plus choquant demeure qu’aux yeux de tous ces messieurs-dames des Droits de l’Homme si, pour sauver Palmyre, il fallait garder sa prison et ses conditions horribles de détention, alors soit, le choix est fait : sauvons Palmyre !

La Cour pénale internationale pourrait être saisie, faute d’avoir pu se saisir des crimes de « moindre » genre commis contre le peuple syrien depuis ces quatre années. Le monde entier, diplomatique, artistique, académique, journalistique, laïque, pathétique… est en émoi ! Les ruines de Palmyre doivent être coûte que coûte sauvées, au mépris des ruines humaines, vivantes, entassées dans la prison de Palmyre et dont on n’avait cure. On souhaitait que Palmyre ne tombe pas et que sa prison reste ! Les morts de la Cité sont plus précieux que les (sur)vivants du centre de détention. On craint pour les statues de Palmyre, qu’elles ne soient détruites ou emportées, et on se contrefiche des prisonniers statufiés, fossilisés, dans la prison de même nom et même adresse, de leur vécu, de leur mort…

« Il aura fallu la prise de Palmyre, de la cité antique, pour que le monde ouvre les yeux sur la prison de Tadmor », pourrait-on écrire. Mais non, même pas : cette prison, aucun média ne l’a même évoquée.

Mais le plus désespérant, le plus écœurant, le plus révoltant, c’est cette désinvolture, cette insouciance, cette connivence des nations, unies et non-unies, qui ne mettent aucune pression sur les États despotiques et les despotes pour que cessent ces crimes souterrains contre l’Humanité ; qui entretiennent des relations diplomatiques avec les États voyous ; qui reçoivent en grande pompe le gérant de la prison de Palmyre (le fils après le père, un certain 14 juillet, par exemple) et lui rendent pompeusement visite ; qui ne demandent pas à l’UNESCO de suspendre l’inscription du site de Palmyre au patrimoine mondial jusqu’à la fermeture de sa prison ; qui ne recommandent pas à leurs ressortissants de boycotter les ruines de pierre tant qu’elles côtoient des ruines de chair…

Faute de l’avoir fait nous-mêmes, nous voici rendus à constater que les égorgeurs islamistes ont brisé les verrous de la prison de la mort, la prison de Tadmor…

Les portes de la prison de l’enfer sont ouvertes. Palmyre est tombée. L’État islamique devrait en être remercié.

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Ronald Barakat

Sociologue et Journaliste (Beyrouth – LIBAN)

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