MALI – Le Nord dans l’étau d’une insécurité à deux visages

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Entre les attaques terroristes et les affrontements incessants qui opposent les groupuscules armés, le nord du Mali est plus que jamais un champ de bataille. Les populations semblent comme prises dans l’étau d’une insécurité à deux visages, abandonnées par le pouvoir malien arrivé « au bout du rouleau » après l’échec partiel de l’intervention française, « l’Opération Serval », et l’incapacité de la mission de l’ONU (Minusma) à pacifier la région. Pendant ce temps, la société civile demeure figée dans l’inertie…

Le mercredi 7 janvier 2015, une fusillade a éclaté dans les locaux du journal Charlie Hebdo à Paris. Douze morts, une dizaine de blessés, c’est le bilan de l’attentat commis contre l’hebdomadaire satirique français. Les caricaturistes Charb, Wolinski, Tignous, Cabu, les piliers de cette gazette sarcastique, irrévérencieuse, libertaire, « ont été arrachés à leurs crayons ». Les auteurs de l’attaque sont des soldats de cette idéologie littéraliste, le djihadisme.

Déclarations de solidarité, condamnations, cris de colère ont envahi les réseaux sociaux, la presse, la blogosphère. Le dimanche 11 janvier, une « marche républicaine » s’est tenue à Paris, en faveur de la liberté d’expression, à laquelle beaucoup de chefs d’État ont participé.

Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »), le président du Mali, y a également pris part… Ce qui a provoqué de nombreuses réactions d’indignation à Bamako.

En effet, beaucoup n’ont pas compris comment IBK, dont le pays est empêtré dans le terrorisme depuis plusieurs années, s’est prêté au jeu de cette marche, à Paris…

Le péril djihadiste

De fait, quelques jours avant l’attentat contre Charlie Hebdo, le lundi 5 janvier 2015, à Nampala, ville située dans le cercle de Niono (région de Ségou), le camp des Forces armées maliennes (FAMA) a subi un assaut d’al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). Les assaillants seraient venus de la frontière mauritanienne.

Bilan provisoire : 11 morts. Des civils, surpris par l’attaque, y ont laissé la vie…

Quelques jours plus tard, le vendredi 9 janvier, à Kidal un engin explosif a sauté lors du passage d’un véhicule de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la Stabilisation au Mali) qui transportait des soldats du contingent sénégalais à proximité de l’aéroport… L’attaque a fait 7 blessés…

Le premier visage de l’insécurité dans le nord du Mali a les traits des djihadistes, qui ont réussi à se fixer durablement dans la région, malgré « l’Opération Serval », l’intervention militaire française, qui a échoué à bouter les factions islamistes hors des frontières du Mali. Cet ennemi intérieur, plus dangereux qu’hier car devenu incontrôlable, continue de semer la terreur pour signifier qu’il n’a pas renoncé à imposer le djihad, le califat… et la loi du narcotrafic.

Le péril des groupes armés

La multiplication des factions armées et des chefs de guerre constitue l’autre visage de l’insécurité dans le nord du Mali…

La majorité des Maliens continuent d’espérer dans la signature d’un accord définitif qui scellerait la paix entre les factions. Au contraire, cependant, le « Projet d’accord pour la paix et la réconciliation au Mali », proposé par l’Algérie, chef de file de la médiation internationale, a semé les graines de la division dans le pays. Les leaders des factions nordistes le jugent « dangereux » ; ils y voient même un marché de dupes. Seul le gouvernement de Bamako, qui y trouve un avantage, a entériné le document. Dès lors, les pourparlers piétinent, sans cesse reportés sine die.

Pendant que les organisations citoyennes et la classe politique, à l’occasion de rencontres intercommunautaires à répétition, tentent de s’entendre sur le texte de ce projet d’accord, les séparatistes du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA ; principal mouvement touareg indépendantiste du nord-Mali) et le groupe armé pro-gouvernemental GATIA (Groupe d’Autodéfense touareg Imghad et Alliés) ont repris ouvertement les hostilités. Intervenant dans ces combats sanglants, la Minusma a pris parti contre les séparatistes, dans la localité de Tabankort. Le MNLA a protesté de cette partialité de la mission onusienne et appelé la population à sortir dans les rues de Kidal, pour demander le départ de la Minusma. En réaction, une marche de soutien à la Minusma et aux Forces armées maliennes a eu lieu à Gao…

Les derniers affrontements entre le MNLA et le GATIA ne font que confirmer les craintes formulées dès la création de ce groupe d’autodéfense. À l’époque, certains commentateurs avaient souligné que la création de ce groupe armé était révélatrice de ce que le statu quo qui prévalait entre le MNLA et les autres groupes armés du nord n’allait pas durer. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Flambeau, Intagrist El Ansari (correspondant du Courrier du Maghreb et de l’Orient au Sahel-Sahara) explique : « La profusion des groupes armés est avant tout le signe de conflits d’intérêt d’ordre clanique, ou tribal, qui se jouent localement et au sein des groupes armés initiaux. Ces derniers temps, il y a eu multiplication de groupes. Certains se revendiquent de l’Azawad [ndlr : nord du Mali, revendiqué par les indépendantistes], d’autres sont des groupements d’autodéfense. En fait, c’est simplement que chacun ne veut pas rester en marge, sous tutelle ou mal servi par un autre. (…) Et revenir à la table des négociations avec une revendication fédéraliste n’est qu’une manière pour les responsables de ces différents mouvements de se ‘dédouaner’ vis-à-vis de leurs militants… »

Pour d’aucuns, dans le sud du pays, les pourparlers d’Alger n’ont dès lors plus aucun sens ; les négociations sont ainsi perçues comme « une perte de temps pour l’État malien et un gain de temps politique pour le MNLA ».

Les négociations n’ont en effet pas avancé : indépendance, autonomie, fédéralisme… Alors qu’il était clair pour toutes les parties que ces options n’étaient plus à l’ordre du jour depuis la signature de la feuille de route en juillet 2014, les chefs des factions continuent de les évoquer sans relâche, rendant impossible toute conclusion heureuse d’un processus qui n’aura été que du vent pour le Mali.

Le malheureux épisode de Gao

Le mardi 27 janvier, à Gao, les populations sont donc descendues dans la rue pour protester contre la signature d’un accord de mise en place d’une zone démilitarisée autour de Tabankort…

L’accord devait être signé entre la mission onusienne (Minusma), et la coordination des mouvements armés de l’Azawad.

Mais le document a malencontreusement « fuité » ; et la Minusma s’est dépêchée de le déclarer « non officiel ». C’est de qui a amené la population de Gao à descendre dans la rue pour dénoncer la mission onusienne qui, selon le ressentiment local, serait en train de faire le jeu des groupuscules armés indépendantistes.

Par ailleurs, le gouvernement de Bamako n’avait pas été informé de ces tractations…

Face à l’hostilité des manifestants, les soldats de la Minusma n’ont pas hésité à ouvrir le feu sur la foule (la hiérarchie de la Minusma affirme que les soldats avaient reçu l’ordre de en l’air pour disperser les manifestants). En faisant usage de leurs armes contre des manifestants qui n’étaient pas armés, la Minusma a détruit un peu plus encore la confiance entre la mission de l’ONU et la population. La Minusma est de plus en plus contestée, à la fois par les mouvements indépendantistes et par les partisans du gouvernement de Bamako, qui la perçoivent de plus en plus comme un ennemi du peuple malien.

Une société civile inerte

« Dans les pays où les populations, sans aide extérieure, sans l’État, se mobilisent spontanément, elles terrassent plus facilement le terrorisme. Ce qui est donc impressionnant dans ces événements, ce n’est pas forcément l’intervention des unités d’élites du GIGN, mais la marée humaine en faveur de Charlie, et dans toutes les villes de France.
Si les Français eux-mêmes avaient banalisé l’événement et ne s’étaient pas autant mobilisés et indignés, il n’y aurait certainement pas eu toute cette chaîne de solidarité humaine à travers le monde. 
», s’exclame Bécaye, un étudiant malien en France, alors que les critiques, à Bamako, ont fusé au moment de la participation d’IBK à la marche républicaine de Paris.

Depuis l’occupation des régions de Gao et Tombouctou par les islamistes, la rue bamakoise est restée le plus souvent vide, malgré les actes de violence, les exactions dont étaient victimes les populations sous occupation. Pour qui observe depuis un certain temps la vie citoyenne au Mali, il n’est pas besoin de dire que la politique de démission qu’ont promue les dirigeants du pays a fait du peuple malien ce que l’écrivain togolais Sami Tchak appelle dans son roman, La fête des masques, « une masse dont la vie, telle celle des bêtes, se résume à chercher à bouffer, à chier, à copuler, à enfanter, à crever, une masse dégoutante. » C’est un peuple démissionnaire, simplissime, qui hurle sa colère contre la mauvaise gouvernance, la corruption, dans son salon et dans son « grin » [ndlr : groupe de discussion informel], mais n’ose pas descendre dans la rue. C’est d’ailleurs ce qui explique l’absence d’une société civile forte.

Seule Gao, jusqu’ici, a fait exception. Ce n’est pas la première fois qu’une marche se déroule à Gao. Il y a plus d’un an, le 10 octobre 2013, les jeunes sont descendus dans la rue à Gao, pour dénoncer la vie chère, les coupures d’électricités, et pour exprimer leurs soucis de la sécurité physique et alimentaire. C’était après que le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) avait revendiqué des tirs d’obus sur la ville. La marche du mardi 27 janvier montre que l’occupation des islamistes et ses horreurs ont donné à la population de Gao un courage suffisant pour se manifester, pour rompre avec cette obéissance, comparable à celle d’un cadavre envers celui qui en fait la toilette mortuaire, qui caractérise le peuple malien tout entier. Un peuple comparable à un troupeau docile, qui somnole dans sa misère.

Cet exemple, qui vient de Gao, est peut-être le signe que ce peuple veut enfin se réveiller de la torpeur dans laquelle il a plongé et dans laquelle il n’a rien gagné sinon pauvreté, corruption, injustices, inégalités et népotisme…

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Boubacar Sangaré

Journaliste (Bamako - MALI)

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