MALI – Les djihadistes sont « partis pour rester »

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Alors que, depuis plusieurs jours, de Bamako à Tombouctou et Gao, les populations sont descendues dans la rue pour dire non à la revendication « fédéraliste » des rebellions du Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA), du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), du Mouvemant arabe de l’Azawad (MAA), qui se sont exprimés sous l’égide de la Coordination des Mouvements et Forces patriotiques de Résistance (CMFPR II), des attaques djihadistes meurtrières ont eu lieu ici et là, des explosions de mines et des tirs de roquettes, qui ont visé, surtout, des forces onusiennes de la Minusma (la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), lesquelles sont en train de payer un lourd tribut dans cette guerre qui n’est pas près de connaitre son épilogue.

L’Opération serval n’a pas pacifié le Mali

S’il y a une chose sur laquelle tout le monde ou presque semble d’accord au Mali, c’est que les djihadistes sont de retour !

Ils sont de retour, posent des mines, décapitent des civils accusés de collaborer avec les forces françaises. Comme ce fut le cas, fin septembre, pour Hamma Ag Sidi Ahmed, l’un des cinq otages enlevés par AQMI (al-Qaeda au Maghreb islamique) à Zouéra, village situé à 80 km au nord de Tombouctou. Hamma Ag Sidi Ahmed a été décapité par ses ravisseurs qui circulaient armés, à bord de pick-up.

Contrairement à Hervé Gourdel, l’otage français décapité en Kabylie (Algérie), l’enlèvement de ces cinq Maliens et l’exécution de l’un d’entre eux pas provoqué aucun tumulte médiatique. Même la presse locale s’est contentée de reprendre les dépêches d’agences de presse étrangères, sans plus… Une attitude qui porte trahit la banalisation de la violence djihadiste au Mali.

Même dans les hautes sphères du pouvoir, cet acte ne semble pas avoir reç la moindre résonnance.

Pourtant, l’émoi avait été total, aussi bien dans la rue que dans les rédactions, à l’annonce de la mort de l’otage français, victime, comme Hamma Ag Sidi Ahmed, de la cruauté de barbares qui ont rompu avec Dieu et les hommes.

Pourtant, Hamma Ag Sidi Ahmed n’était pas « seulement » un Touareg, comme on a pu le lire dans certaines dépêches, dont les responsables ont été rompus à la manipulation de l’approche « ethnographiste » quand il s’agit de parler du nord du Mali. C’était tout d’abord un Malien ! Il vivait dans son pays… dans une des régions qui ont échappé au contrôle du pouvoir central.

« Nous subissons un terrible choc. Cette décapitation est un acte d’une terrible violence et d’une inhumanité désolante, affligeante. Nous sommes encore tous sous un choc violent, et un chagrin que rien ne pourra consoler. Jamais un tel acte ne s’est passé dans la région de Tombouctou. Pourquoi ici et maintenant ? Je ne comprends pas le silence de la presse malienne à ce sujet. Les gens ne comprennent pas non plus le silence des autorités maliennes, qui n’ont encore pas dit un seul mot à ce sujet. Que va penser la famille de Hamma Ag Sidi Ahmed, face à ce silence ? », a déclaré un habitant de Tombouctou, proche de la victime.

Cette barbarie a eu lieu dans la région de Tombouctou, qui, comme celles de Gao et Kidal, demeure une enclave d’insécurité où les soldats de la Minusma sont régulièrement ciblés par des attaques djihadistes. Après la mort de dix casques bleus tchadiens en septembre, de neuf casques bleus nigériens le 3 octobre et de celle d’un sénégalais, le 7 octobre, lors d’un assaut des djihadistes contre un camp de l’ONU à Kidal, après les attaques qui se sont multipliées et les blessés que l’on ne compte plus, le tableau s’est noirci plus encore lorsqu’un véhicule du MNLA a sauté sur une mine, à Kidal toujours, le 12 octobre…

Il y a bientôt deux ans, la mosaïque islamiste qui regroupait AQMI, le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest) et Ansar Dine, a été brisée par l’intervention française, soutenue par les forces tchadiennes : l’Opération Serval avait repoussé les islamistes dans leurs derniers retranchements.

Le déploiement de la Minusma et de ses forces pour le maintien de la paix a suivi. En août dernier, « Serval » a été remplacée par « Barkhane », opération dont l’objectif est la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne.

Ceux qui claironnaient que les djihadistes avaient été défaits et que l’Opération Serval avait été une réussite complète se réveillent aujourd’hui du simplisme dans lequel ils baignaient : à Kidal, les groupes rebelles armés, le MNLA en particulier, qui avaient affirmé tenir la région sous contrôle, sont désormais comme submergés par les djihadistes qui y sèment la terreur. Même le gouvernement de Bamako a été bien obligé d’admettre ouvertement le retour en force des mouvements islamistes sur la scène malienne : le 8 octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Abdoulaye Diop, appelait le Conseil de Sécurité de l’ONU à « prendre urgemment les mesures nécessaires afin que la Minusma soit dotée des moyens appropriés pour exécuter pleinement son mandat, protéger les populations civiles et les casques bleus qui paient un lourd tribut sur le terrain. »

Le ministre Diop a en outre suggéré une révision du mandat de la Minusma, un « renforcement de ses capacités et de ses moyens, pour lui permettre de faire face au regain de la violence sur le terrain, en rapport avec l’Opération Barkhane. Peut-être le Conseil devrait-il envisager la mise en place d’une Force d’intervention rapide », a-t-il ajouté, « capable de lutter efficacement contre les éléments terroristes. »

Le mandat de la Minusma

C’est un fait, le nombre de casques bleus tombés dans les attaques terroristes est vertigineux.

Alors que l’on s’attendait à voir les soldats de la Minusma combattre les djihadistes, rendre « œil pour œil, dent pour dent », les responsables de la mission onusienne objectent qu’ils ont comme mandat de protéger les populations civiles, pas davantage, et qu’ils n’ont pas assez de moyens pour atteindre même cet objectif.

Autrement dit, la Minusma, « à un problème concret, oppose du juridisme », écrivait il y a quelques jours Alexis Kalambry dans un billet d’humeur : le directeur du quotidien Les Echos ne comprend pas pourquoi la Minusma, censée protéger le Mali, « aide à libérer des djihadistes, des terroristes, met la pression sur le gouvernement, désarme nos forces au nord. La Minusma décore à titre posthume des cercueils, prononce des oraisons funèbres, fait de pieux vœux, qu’elle sait ne jamais tenir. »

Et il poursuit : « Que dit la Minusma ? Le manque de moyens ? Le mandat ? Qui le croira de la ‘communauté internationale’ ? Quel est l’agenda caché ? À partir de combien de veuves, d’orphelins, de familles endeuillées, de défilés de cercueils, la Minusma prendra-t-elle la mesure de la situation ? »Il ne fait donc aucun doute que, dans la situation qui prévaut dans le nord du Mali, le pire est à craindre.

Les djihadistes sont partis pour rester !

Kidal, le bourbier

De ces derniers mois, les attaques kamikazes, les explosions de mines qui ont visé les casques bleus de la Minusma, à Kidal ou à Tombouctou et Gao, sont indéniablement le signe que le combat engagé contre les djihadistes a viré au cauchemar absolu. Les islamsites sont de retour et ils ne circulent plus en 4×4, mais en motos.

Le climat d’insécurité qui règne à Kidal trahit la réalité de la situation : un bourbier inextricable. Dans cette ville, la réalité va au-delà du cauchemar. Il y a un an, après la mort des deux journalistes de Radio France International, exécutés par un groupe djihadiste, les représentants de la communauté internationale se sont empressés de reconnaître Kidal comme une « zone de non-droit ». Les forces onusiennes déployées dans le cadre de la Minusma, l’armée malienne et les forces de l’Opération Serval (qu’on disait très concentrées sur le Sahara) ont été impuissantes à « siffler la fin de la récréation », dans cette zone où les armes circulent sans entrave.

Mais on sait aussi que Kidal est le fief des rebellions du MNLA, du HCUA et du MAA. Un cocktail de groupuscules rebelles qui sont loin de désarmer, en violation des accords du 18 juin qu’ils ont signés à Ouagadougou avec le gouvernement malien.

Alors qu’ils participent à Alger aux négociations de paix avec le gouvernement malien, l’insécurité à Kidal empire… Le premier ministre Moussa Mara n’avait pas tout à fait tort lorsqu’il déclarait à la tribune de l’Assemblée nationale française, en octobre, qu’un accord avec les groupuscules armés « ne suffira pas à régler la question du terrorisme. Au moins permet-il de clarifier le paysage, de distinguer ceux qui sont prêts à s’engager dans la logique politique du DDR -désarmement, démobilisation, réinsertion-, des groupes résolus à imposer le djihad, le califat ou la loi du narcotrafic ».

Le fait est que, à Kidal, il est difficile de savoir « qui est qui ». Qui est terroriste, qui est rebelle. De nombreux djihadistes se sont rangés sous la bannière des groupuscules rebelles dont Kidal est le fief, et ils bénéficient de cette couverture pour poser des mines, qui font des victimes, tant parmi les forces onusiennes que la population civile.

Loin de crier à une impuissance nationale et internationale, tous ceux qui ne refusent pas de voir admettent qu’à Kidal la situation, depuis juillet 2013, lorsque la Minusma a été déployée, n’a connu aucune amélioration sensible.

Dans le nord du Mali, l’intervention française a échoué : Aqmi, le MUJAO et Ansar Dine continuent de semer la terreur.

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Boubacar Sangaré

Journaliste (Bamako - MALI)

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