PALESTINE – Guerre des crimes… Le Hamas en ligne de mire

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Depuis Tel-Aviv, de nouvelles révélations de crimes de guerre ont fleuri à la fin de ce printemps 2015, mais qui concernent cette fois le Hamas. Après Amnesty International, c’est à présent le gouvernement israélien qui diligente une enquête à charge contre le Hamas, accusé d’avoir liquidé des civils dans la Bande de Gaza, pour « faire des exemples » ; des accusations similaires à celles qui ont suivi le dernier conflit meurtrier à Gaza, durant l’été 2014, lequel s’était soldé par près de 2.200 morts du côté palestinien (essentiellement des civils) et environ 70, côté israélien (essentiellement des militaires).

C’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Entendons qu’après maintes études, enquêtes, de part et d’autre, on se rend compte, à chaque fois surpris, que, dans des conflits qui se disent asymétriques et unilatéraux, la responsabilité totale du crime n’incombe pas qu’à l’une des parties…

C’est souvent même l’occasion pour l’agressé, au nom de la guerre qu’il subit, de faire son propre ménage et d’épurer ses rangs d’individus soupçonnés de collaboration ou tout simplement en désaccord avec la ligne politique dominante. Il est facile, alors, de mettre cela « sur le dos » des ennemis.

Ainsi, dans les différents conflits entre Israël et le Hamas à Gaza, depuis 2008, l’annonce par Amnesty international et probablement bientôt les Nations unies de la responsabilité des cadres dirigeants du Hamas dans la torture et l’exécution de Palestiniens membres du Fatah et de l’Autorité palestinienne rééquilibre quelque peu la balance. La position, sans complexes, de l’État hébreu, qui confirme ces cas de tortures et de crimes de guerre, peut bien sûr interpeller, d’autant que, depuis des années, Israël a plus que largement été condamné par la communauté internationale pour la disproportion de ses « ripostes » ou « attaques », pour l’utilisation d’armes non conventionnelles et le ciblage de victimes civiles en accord avec la doctrine Dahiya (doctrine militaire israélienne justifiant la victoire à tout prix et par tous les moyens, c’est-à-dire disproportion et cibles civiles autorisées).

De forts soupçons pesaient déjà lors des précédents conflits de 2008, 2012 et 2014. C’est souvent ce qui faisait douter un certain nombre d’observateurs de l’authenticité de la réconciliation du « camp interpalestinien », au-delà même des divergences génétiques, historiques et politique de perception des solutions à trouver à ce conflit sans fin. Des clivages qui rendent encore plus fragile, face à un gouvernement israélien plus à droite, plus nationaliste, plus anti-État palestinien, plus « poursuite de la colonisation à outrance » que jamais, la désignation et la possible fédération à terme autour d’un futur chef reconnu par l’ensemble des Palestiniens des deux camps politiques radicalement opposés. Mahmoud Abbas n’est pas éternel et se dit lui-même las. La récente démission du gouvernement palestinien, tout comme les tractations récentes entre Israël et le Hamas (mais également celles entre ce dernier et l’Autorité palestinienne) révèlent l’impossible solution facile et rapide à la question dans un contexte régional où l’État islamique tente désormais de prendre pied à Gaza et de se rapprocher de Jérusalem.

Une guerre des enquêtes pour crimes de guerre

La dernière guerre menée par l’État hébreu contre le Hamas, suite à un enchaînement de faits passant de tirs de roquettes, de ruptures de trêve et d’enlèvements d’Israéliens en Cisjordanie (sans avoir à l’époque la certitude pour Netanyahou que le fait était bien celui du Hamas), a été l’une des plus meurtrières qui soient. En effet, l’opération « Bordure protectrice » s’est achevée après 51 jours de bombardements, et une coalition gouvernementale israélienne fragilisée. Si Netanyahou a fait le choix d’arrêter la guerre, ses « alliés » sur la marge extrême-droitiste, Naftali Bennett et Avigdor Liebermann, lui ont reproché son manque de fermeté et de ne pas avoir mené cette guerre jusqu’au bout, c’est-à-dire aller jusqu’à la destruction du Hamas. Voire de Gaza, pour en finir définitivement.

Dans le même temps, dans l’ombre, les forces du Hamas sembleraient avoir mené plusieurs campagnes d’arrestations, de torture et d’exécution, contre des Palestiniens accusés d’avoir collaboré… avec Israël.

Le problème est que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) mène depuis 1993 une campagne active de coopération sécuritaire avec Israël, puisque ce volet était prévu dans les accords. Ce qui n’était pas prévu, c’est que l’accord intérimaire dure, sans règlement définitif du conflit par un accord définitif. Vingt ans après, c’est donc un problème majeur d’appréhension de la question entre les deux parties, puisque les dits-« collabos » sont, toujours, des membres du Fatah, le parti du président Mahmoud Abbas.

Dans un rapport d’Amnesty International, intitulé Strangling Necks : abduction, torture and summary kilings of Palestinians by Hamas (22 mai 2015), les enquêteurs dénoncent l’exécution d’une vingtaine de Palestiniens, le 22 août 2014, sans aucune forme de procès, et la torture de dizaines d’autres Gazaouis, membres du Fatah.

L’État hébreu, renchérit donc lui aussi, en publiant un rapport de 277 pages qui fait peser sur le Hamas la responsabilité, plus large, des immenses destructions perpétrées l’été dernier lors de l’opération « Bordure protectrice ». Netanyahou y accuse ni plus ni moins le Hamas de porter également la responsabilité du déclenchement de la guerre, mais également du lourd bilan humain : la stratégie suicidaire du Hamas consistant à utiliser les civils comme boucliers humains aurait compliqué la tâche de l’armée israélienne, lorsqu’il s’agissait de tuer les membres du Hamas cachés au milieu des civils ou dans des bâtiments des organisations internationales, ou de viser les tunnels d’approvisionnement en armes du Hamas, lesquels débouchent sous des habitations civiles.

Les conséquences politiques et l’enchaînement des évènements récents

Les risques d’implosion palestinienne – L’enchaînement des évènements de ces derniers jours est-il lié à la complexification des relations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne ou plutôt entre Israël et l’Autorité ? Curieusement, les relations et négociations se sont récemment intensifiées entre… Israël et le Hamas. Celui que Tel-Aviv a toujours refusé de considérer comme un interlocuteur, voire comme un partenaire, est revenu en force dans la discussion. Car on ne fait la paix qu’avec ses ennemis, pas avec ses amis.

Depuis plusieurs mois, le président Abbas peine à faire entendre sa voix face à Netanyahou : après la guerre de l’été dernier, après la suspension du reversement des taxes à l’Autorité par Israël, Abbas avait menacé de rompre la fameuse « coopération sécuritaire », ce qui avait dégradé un peu plus encore les relations entre les deux parties. Il était fort à parier qu’à un moment ou à un autre, Netanyahou reviendrait vers le Hamas, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il est impossible d’oublier que le jihad islamique puis le Hamas de feu Cheikh Yassine ont été largement soutenus par Israël depuis Gaza à la fin des années 1980, contre Yasser Arafat et pour affaiblir le camp des modérés palestiniens. En vingt ans, Israël a perdu le contrôle sur sa bête de Frankenstein. Deuxièmement, le Hamas n’avait plus d’argent en juin 2014, ce qui l’a poussé à se rapprocher d’Abbas pour le paiement des salaires des fonctionnaires et à accélérer la réconciliation nationale (de façade). Troisièmement, le Hamas est, pour les uns, sorti affaibli de l’opération « Bordure protectrice » et, pour les autres, renforcé. Certes, claironnant sur un champ de ruines à l’issue de la guerre, le Hamas était toujours là ; et Israël n’a jamais eu intérêt à détruire le mouvement. Quid alors ? Comment gérer le chaos ? Qui mettre à la place ? Quatrièmement, le Hamas a du réorganiser ses alliances, après la perte du pouvoir par les Frères musulmans en Égypte, la stigmatisation du Qatar, pourvoyeur de fonds pour les islamistes démocratisants de tout bords, et se rapprocher de l’Iran chiite, habituel mécène du Hezbollah.

Netanyahou a donc récemment fait le choix de la discussion ; mais, une fois encore, au détriment d’Abbas, le président de tous les Palestiniens. La démission du gouvernement de Ramdi Amdallah (premier ministre de l’Autorité palestinienne) devrait permettre à celui-ci d’être reconduit et d’apurer son exécutif. Le Hamas refusait cette dissolution du gouvernement palestinien, craignant d’être ensuite exclu bien entendu. En échange d’une nouvelle participation au gouvernement, le Hamas devrait remettre le contrôle des points de passage de la Bande de Gaza à l’Autorité palestinienne, dans le cadre d’un accord ; mais également prolonger de plusieurs années la trêve avec Israël (5 ans ?), et renoncer à l’idée de la constitution d’un État propre à Gaza, définitivement déconnecté de la Cisjordanie. En échange, revendication ancienne, le Hamas avait exigé au moins la construction d’un port flottant dans le petit territoire, qui n’en est plus doté. Uniquement réservé aux pêcheurs ? Pas sûr. Ce pourquoi Israël avait toujours refusé.

Le nouveau casting palestinien pourrait exclure à nouveau les technocrates, largement inspirés à l’époque par l’arrivée de Salam Fayyad, pour voir revenir en force les membres du Fatah et du Hamas. Les tensions n’auront donc pas fini de reprendre de plus belle. Ce qui arrangera une fois encore Israël… La priorité, pour l’État hébreu, c’est sa sécurité et sa sécurité avant tout ; et donc de s’assurer à tout prix que l’État islamique ne parvienne pas à prendre pied dans ce « Hamastan » qu’est Gaza pour le moment encore. Tel-Aviv a donc un intérêt majeur à prôner la politique du moins pire, et à se rapprocher du Hamas, pour ne pas qu’il finisse de basculer du côté de l’axe chiite et du côté de Daesh.

C’est un jeu périlleux pour toutes les parties et qui dépasse largement la question locale ; d’autant que Khaled Meechal, leader du Hamas en exil à Doha (Qatar), et l’éternel rival d’Abbas, Mohamed Dahlan, basé lui à Dubaï (Emirats Arabes Unis), ne font qu’accroitre les tensions régionales entre les pétromonarchies et le reste du monde. Comme si la partition israélo-palestinienne était vouée à se jouer à chaque fois en coulisses et ailleurs. Et pourtant, à chaque fois, ça n’a jamais marché.

Une inertie israélienne face aux crimes de guerre reconnus prochainement par les Nations-Unies ? – La coalition gouvernementale de Netanyahou avait été sérieusement ébranlée lors de la dernière guerre à Gaza. Avigdor Lieberman, qui avait pris ses distances avec « Bibi » [ndlr : Benjamin Netanyahou], est aujourd’hui dans l’opposition. Naftali Bennett, lui, de Maison Juive, est plus que jamais en cohérence avec la coalition nationaliste et extrême-droitiste mise en place après les élections du 17 mars dernier.

Même si elle se fait attendre, la publication du rapport de la Commission Mc Gowan Davis (anciennement « Commission Shabas », du nom du professeur de droit international William Shabas, qui avait démissionné après avoir été accusé de partialité en faveur des Palestiniens) des Nations-Unies, recensant l’ensemble des crimes de guerre perpétrés par Israël à Gaza lors de l’opération de 2014, ne risque pas d’ébranler le gouvernement. Il en a connu d’autres. Ce rapport ne sera pas le premier rapport classé sans suite.

Pourtant, rarement un des conflits censés fédérer l’ensemble des Israéliens et le gouvernement derrière n’avait vu les tensions internes gouvernementales éclater au grand jour. Affaire à suivre lors d’un éventuel prochain conflit à Gaza… Ce qui surviendra à un moment ou à un autre.

L’histoire parle quasiment tous les deux ans et ce n’est donc pas vraiment une prophétie ; et les crimes de guerre reprendront malheureusement, de part et d’autre.

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Sébastien Boussois

Politologue, Chercheur associé à l'Université de Québec à Montréal (Observatoire sur le moyen-Orient et l'Afrique du Nord) , Collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes (Université Libre de Bruxelles - Belgique) et du Centre Jacques Berque (Rabat - Maroc)

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