DJIHADISME – Concurrence des islamismes algérien et marocain

1

Après la multiplication des attentats plutôt isolés qui se sont succédé pendant quelques mois partout sur le sol européen alors que s’approchait la fin de Daech, les filières qui ont frappé Barcelone, en août dernier, ont rappelé celles qui avaient ciblé Bruxelles.

Par leur organisation, elles ont révélé le retour à des profils de djihadistes plutôt jeunes et délinquants, organisés en réseaux et fortement idéologisés pour passer à l’action en « meute » et en fratries. Ces réseaux construisent un environnement propice : la délinquance forme les hommes à l’action violente, les réseaux existants permettent des solidarités et des trafics au-delà de celui du simple haschisch, et qui peuvent aussi faire transiter facilement de l’argent pour d’autres objectifs.

Or, il se trouve que ces jeunes djihadistes sont tous d’origine marocaine, aussi bien dans le cas des attentats de Barcelone que de Bruxelles. Bizarrement, on n’est que rarement confronté à des Français d’origine algérienne ou à des Algériens.

Peut-être y a-t-il à cela une explication, pour laquelle le temps pourrait nous donner raison.

Les enjeux électoraux de 2019 en Algérie

C’est dans moins de deux ans. En effet, l’enjeu crucial des élections présidentielles de 2019 en Algérie risque de remettre sur le devant de la scène l’importance des mouvements islamistes dans le pays. Ils s’y attèlent en tout et y concentrent leur énergie. On ne peut pas être partout. Certes, l’Algérie a connu une décennie noire après l’invalidation des élections de 1992 et l’annulation de la victoire du Front islamique du Salut (FIS). Elle a donné avec la violence et l’islamisme, qui ont provoqué la mort de près de 200.000 Algériens. Beaucoup d’Algériens n’ont pas oublié. Mais qui peut prédire que le péril islamiste ne peut revenir, surtout dans un contexte géopolitique tel que celui qui préside aux destinées de ce début de XXIème siècle, et alors que l’Algérie partage ses frontières avec des pays déstabilisés comme la Libye et le Sahel qui s’embrase ?

En 1995, le conflit avait même débordé dans l’Hexagone, lorsque le GIA perpétra, notamment, les attentats au métro Saint-Michel. C’est à ce moment-là que l’islamisme algérien prit ses aises sur le sol français.

Mais il n’y avait pas de place en France pour deux courants du genre. En s’imposant en France, l’islamisme algérien repoussait les islamistes « marocains », hors-zone…

Rivalité des islamismes algérien et marocain sur le sol européen

En quoi y a-t-il eu plus tard une spécificité belge de l’islamisme marocain ?

Mathieu Guidère, islamologue et professeur des Universités, l’explique d’une pertinente manière : « La spécificité belge réside dans l’implantation des réseaux islamistes marocains. Une sorte de répartition territoriale s’est faite à partir des années 1990 entre les réseaux islamistes marocains et algériens : aux Marocains, la Belgique ; aux Algériens, la France. Cela fait suite à la domination djihadiste des Algériens au cours des années 1990 à la suite du GIA (Groupe islamique armé) qui a mené plusieurs actions en France : détournement de l’avion Air France (1994), série d’attentats à Paris (1995), assassinats à Paris, etc. »

Les Algériens auraient dès lors poussé les Marocains hors de France et ceux-ci se seraient réfugiés de l’autre côté de la frontière, en Belgique, sans jamais perdre leurs connexions en France.

De ce point de vue, on peut considérer les attentats de novembre 2015 à Paris (menés quasi exclusivement par des membres des réseaux djihadistes marocains) comme une incursion des Marocains sur le « territoire réservé » des Algériens.

Cette rivalité est ancienne et se nourrit de la rivalité qui prévaut au sud de la Méditerranée entre les deux pays, le Maroc et l’Algérie, dont les hostilités n’ont jamais vraiment cessé depuis les années 1960 et la « guerre des sables » (1963) entre les deux pays.

Au moment de l’indépendance du Maroc et de l’Algérie, en effet, le Maroc a voulu récupérer les territoires de Béchar et Tindouf qui avaient basculé, du temps de la colonisation, côté algérien (en 1950). Suite à l’échec d’un accord, une offensive est déclenchée par Hassan II, en octobre 1963, pour tenter de s’en emparer, par la force. Finalement, un accord sera signé sous l’égide de la Ligue arabe et de l’Organisation de l’Unité africaine. Il n’y eut aucun gagnant. Depuis lors, la zone est démilitarisée.

Les rivalités s’étendent alors au domaine du djihad

Après la rivalité dans le domaine du trafic de drogue (haschisch), les filières marocaines et algériennes ont étendu leur rivalité au domaine du djihad.

Ainsi, les Algériens sont restés majoritairement fidèles à Al-Qaïda (Al-Qaïda au Maghreb islamique – AQMI) et mènent des actions essentiellement en Afrique francophone, tandis que les Marocains ont rejoint massivement les rangs de l’État islamique (Daech) et ciblent prioritairement le territoire européen, en particulier la France et la Belgique. Ces derniers ne visent aucunement, qui plus est, un renversement de la monarchie au Maroc, contrairement aux Algériens qui espèrent toujours récupérer l’Algérie perdue.

Bref, derrière la rivalité des deux organisations terroristes (AQ et EI) se profile la rivalité entre djihadistes marocains et algériens, en Europe et ailleurs.

Comment expliquer cette divergence d’orientation idéologique ? La succession sans fin d’Abdelaziz Bouteflika est un enjeu majeur et les islamistes algériens ne disperseront pas leur énergie dans autre chose que de revenir en Algérie. L’Europe ne les intéresse pas, pas plus que l’islamisation de l’Europe.

Les islamistes marocains, quant à eux, par le biais du PJD (Parti Justice et Développement), sont déjà au pouvoir au Maroc, et ce depuis 2012. Ils peuvent dès lors se consacrer à des objectifs extérieurs.

Les islamistes algériens se concentrent plutôt sur la contrebande de cigarettes et les islamistes marocains, le haschisch. C’est un moyen, chacun dans son secteur, de faire tourner le financement du djihad.

*        *        *

En Algérie, c’est la frustration pour les islamistes depuis la fin de la guerre. Mais l’islam radical est devenu un label unificateur d’une colère, d’une protestation au Maghreb contre le pouvoir central, qui a pris cette couleur progressivement plus religieuse que culturelle. En Kabylie, on assiste à une explosion de la construction des mosquées depuis quelques années.

Certains disent même que, face au Maroc qui avait l’une des plus grandes mosquées du monde à Casablanca, Bouteflika a entamé le projet du siècle avec la construction de sa grande Mosquée à Alger, pour faire mieux, et surtout pour donner des gages aux islamistes.

Mais les réalités restent fugaces ; les rivalités, subtiles…

Ainsi, pour Anne Giudicelli (directrice de l’agence Terrorisc, que j’avais rencontrée à ce propos), l’idée de concurrence qui opposerait les islamismes algérien et marocain est à prendre avec des gants : « Il y a des liens entre les djihadistes marocains, tunisiens, algériens, qui se font sur le terrain européen. Il n’y a plus de distinction de langue ni de nationalité à ce stade. La francophonie est en réalité un des principaux facteurs liants plus que le reste. »

Elle pousse à relativiser l’argument, au nom des intérêts divers des uns et des autres : « Beaucoup de ceux qui pensent qu’il y a cette concurrence et une domination de l’islamisme algérien ont souvent un tropisme marocain : on considère souvent en effet que l’Algérie instrumentalise tout ce qui se passe au niveau des réseaux terroristes locaux et régionaux, sur AQMI comme au niveau européen.

Mais il faut bien comprendre que l’Algérie et le Maroc n’ont absolument pas les moyens de transposer leur conflit sur ce terrain-là.

En revanche, chacun des groupements comme des États utilisera la lutte contre le terrorisme comme une arme diplomatique, un atout pour la stratégie régionale, et une carte de puissance. »

Share.

About Author

Sébastien Boussois

Politologue, Chercheur associé à l'Université de Québec à Montréal (Observatoire sur le moyen-Orient et l'Afrique du Nord) , Collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes (Université Libre de Bruxelles - Belgique) et du Centre Jacques Berque (Rabat - Maroc)

1 Comment

  1. ce journaleux de cet article en manque de sensation forte et de scoop, ne connait rien du tout a la réalité Algérienne.
    il n y a aucune rivalité et concurrence entre les terroristes Algériens et maroc…………
    ce n’est pas un match de football ou un méga projet d’investissement économique pour se rivaliser et se concurrencer..
    le terrorisme en Algérie est révolu depuis la réconciliation nationale, les Algériens avaient trop souffert de cette obscure et macabre décennie dont ils ont compris les contours de cette diabolique manipulation de certains pays arabes en général et les monarchies du golf en particulier dont le qatar qui manœuvraient pour le compte de la France, des USA et sans omettre le précieux concours du makhnez.
    l’Algérie a compris sa douleur et ne souhaite pas revenir en arrière, le sale et terrifiant boulot nous le laisserons aux apprentis terroristes maroc………. de l’EI et du MUJAO qui tuent d’innocentes victimes en europe, en syrie, en libye et ailleurs, au lieu de s’affranchir de l’esclavagisme imposé par leur roitelet homo6.

Leave A Reply