GAZA – La Bande de Gaza dévastée, Netanyahou ébranlé, le Hamas auréolé ?

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GazaL’idée que le Hamas a remporté une victoire mais pas la guerre, après l’opération « Bordure protectrice », a fait son chemin depuis quelques jours dans la presse et auprès des spécialistes. Mais rien ne fait plus débat, en réalité, que cette conclusion d’une guerre de cinquante jours, qui fit plus de 2.000 morts dans le petit territoire gazaoui, dont près de 600 enfants, outre 10.000 blessés et plus de 200.000 déplacés. Le bilan est surtout très lourd, une fois de plus, pour la jeunesse à Gaza.

En réalité, au-delà des pertes considérables du côté palestinien, mais aussi, plus symboliquement, du côté israélien, au regard du nombre de victimes habituel (72 morts dont 66 soldats de Tsahal ; du jamais vu dans les guerres que l’État hébreu a mené contre Gaza), chacun a tenté un temps de s’approprier la victoire d’une guerre qui n’a mené à rien. Ou presque.

Israël n’a pas remporté de guerre : si elle a affaibli militairement le Hamas, l’armée israélienne a sous-estimé (ou fut surprise par) l’arsenal du mouvement islamiste et une fois encore sa capacité de résistance. La majorité des tunnels a été détruite, mais ils seront reconstruits. Le dôme d’acier a arrêté un certain nombre de roquettes, mais pas 90% comme ses défenseurs l’affirment souvent : en moins de cinq ans, et dans le même temps où le bouclier anti-missiles a été installé et perfectionné, des roquettes plus précises lancées par le Hamas tombent à proximité de Tel-Aviv ou à Jérusalem. Le problème politique du Hamas et de son rapport à Israël demeure, trois guerres plus tard. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, crédité de près de 80% de soutien de la part des Israéliens pendant la guerre, a vu sa côté de popularité chuter pour in fine se retrouver confronté à près de 54% des Israéliens, qui considèrent que la guerre a été un échec.

Le Hamas a remporté une grande victoire : celle de son image et de la résistance. On peut se considérer comme vainqueur même, sur un tas de ruines : le mouvement islamiste a pleinement joué son rôle de nuisance contre l’armée israélienne en maintenant son rôle historique de mouvement de résistance.

La trêve finalement négociée comportait des revendications du Hamas, qu’il défendait depuis un mois. Reste à voir si, sur le terrain, au-delà de l’élargissement de la zone de pêche, le blocus sera enfin allégé côté israélien et égyptien pour permettre aux deux millions de Gazaouis de mener de nouveau une existence normale.

Mais, ce qui est sûr, c’est que malgré l’alliance sunnite anti-Hamas pilotée par l’Arabie Saoudite et l’Égypte, l’Iran n’est pas prêt à abandonner le mouvement terroriste.

L’attitude du Hamas à l’égard de sa population n’est guère exemplaire. Accusé d’inciter les Gazaouis à ne pas respecter les appels à quitter leurs maisons ou à servir de boucliers humains pendant les bombardements israéliens, le mouvement islamiste avait, en 2012 également, procédé à quelques règlements de compte pendant l’opération « Pilier de Défense », à l’encontre de certains membres et cadres du Fatah et de l’Autorité palestinienne ; enfin, le Hamas pratique régulièrement la torture et le meurtre ou la liquidation en public des « collaborateurs » palestiniens accusés de collusion avec l’État d’Israël, comme tout récemment après l’opération « Bordure protectrice ».

Gaza a une fois encore tout perdu : avec plus de 2.130 morts, la population gazaouie a payé un lourd tribut à la résistance du Hamas et à l’opération israélienne disproportionnée, fidèle à la doctrine militaire Dahiya autorisant la démesure et le ciblage de victimes civiles. À ce titre, la jeunesse gazaouie fut l’une des grandes victimes : 600 enfants morts au milieu des décombres. C’est que près de 70% de la population a moins de 14 ans, et qu’il était prévisible que les principales victimes de la dernière guerre de Gaza seraient des victimes civiles, des personnes âgées et surtout des enfants et des adolescents.

L’UNICEF dénonçait fin juillet 2014 « le prix terrible que paient les enfants de Gaza ». L’ONG War Child of Defence dénonçait l’opération israélienne qui avait jusque fin juillet finalement fait plus de morts du côté des enfants mineurs que du côté des combattants du Hamas. La Déclaration des Droits de l’Enfant de 1959 énonce dans son article 1er que « l’enfant est reconnu, universellement, comme un être humain qui doit pouvoir se développer physiquement, intellectuellement, socialement, moralement, spirituellement, dans la liberté et la dignité. » Est-ce le cas pour ces générations perdues d’Irakiens ou de jeunes Gazaouis, aujourd’hui ? Certainement pas.

Les conséquences sur les enfants gazaouis du blocus et des restrictions alimentaires imposées par Israël à Gaza ont fait l’objet de nombreux rapports d’ONG, mais également des Nations unies. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) s’inquiète régulièrement de la hausse des indicateurs de malnutrition qui condamnent l’avenir des jeunes : augmentation des cas de retard de croissance, explosion des cas d’émaciation et de déficit pondéral chez les enfants, montée des taux d’anémie chez les enfants et les femmes enceintes. Que ce soient les retards de développement, les retards cognitifs, les malformations physiques ou mentales, les effets psychologiques lourds pour une jeunesse sous le coup de la malnutrition ou de la guerre, Gaza est déjà sur la voie de l’Irak, qui a subi dix ans de sanctions internationales, qui provoquèrent au moins une génération d’handicapés moteurs et mentaux.

Sans sa jeunesse, Gaza n’a aucun avenir humain, ni politique, ni social, ni culturel. Certains observateurs parlent de politicide ou de sociocide…

Le blocus est en effet une bombe à retardement pour des millions de Gazaouis, qui devront un jour ou l’autre tenter de revivre en paix, avec les Palestiniens de Cisjordanie et avec les Israéliens. C’est aussi une bombe à retardement pour l’État hébreu : il faudra tenter d’oublier l’histoire sanglante écrite par des factions politiques ennemies, qui tentèrent d’instrumentaliser le conflit pendant plusieurs décennies.

En attendant, la communauté internationale, passive pendant le conflit, va devoir reconstruire ce territoire dévasté, une fois de plus…

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Sébastien Boussois

Politologue, Chercheur associé à l'Université de Québec à Montréal (Observatoire sur le moyen-Orient et l'Afrique du Nord) , Collaborateur scientifique de l'Institut d'Etudes Européennes (Université Libre de Bruxelles - Belgique) et du Centre Jacques Berque (Rabat - Maroc)

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