PALESTINE – Récit des voyages manqués d’un professeur de Gaza

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Professeur de langue française à l’Université de Gaza, Ziad Medoukh est depuis près de deux ans l’un des principaux correspondants du Courrier du Maghreb et de l’Orient en Palestine. Il nous raconte les péripéties d’un universitaire gazaoui, confronté au blocus israélien…

Depuis plus de trois ans, j’essaie de voyager en France et dans des pays francophones pour de courtes périodes, afin de participer à des conférences et colloques universitaires. J’essaie de sortir de Gaza, ma prison à ciel ouvert, soit via le passage de Rafah, situé au sud de la bande de Gaza, à la frontière avec l’Égypte, soit via le passage d’Eretz, au nord de la bande de Gaza, passage contrôlé par l’armée israélienne, pour gagner la Jordanie, par l’intermédiaire du Consulat de France à Jérusalem.

Neuf tentatives en trois ans. J’essaie depuis 2014, mais en vain. Je n’arrive pas à sortir de Gaza ; je suis toujours bloqué dans ma prison.

Ma dernière tentative de voyager a eu lieu à la mi-avril 2016 : j’étais invité en France, en tant que professeur-chercheur à l’Université du Havre et comme conférencier dans un colloque international sur la Francophonie à Orléans. Impossible de sortir ; malgré l’obtention du visa français et du permis jordanien, et malgré les efforts du Consulat de France à Jérusalem pour m’obtenir une autorisation israélienne de quitter Gaza via le passage d’Eretz, efforts auxquels les autorités israéliennes n’ont pas donné suite. Comme d’habitude, soit elles ne répondent pas, soit elles répètent à n’en plus finir que « le dossier est en cours de traitement ». Ceux qui ont été confronté à cette situation connaissent bien la musique…

Comme directeur du Département de Français de mon université, professeur, chercheur universitaire, coordinateur du Centre de la Paix, poète et écrivain d’expression française, je reçois une petite dizaine d’invitations chaque année à participer à des conférences, colloques, séminaires universitaires, ou des projets de recherche dans des universités francophones et des laboratoires de recherche, à signer  des jumelages et parler de coopération scientifique universitaire, aussi à présenter mes livres et recueils de poésie, en France et dans les pays francophones, ou à recevoir des prix littéraires et diplômes de mérite.

J’essaie de participer à ces événements, afin de rencontrer des collègues et des personnes extérieures à Gaza, et de faire passer le message de « Gaza la vie » au monde francophone.

Chaque fois, je commence des démarches très longues pour pouvoir sortir de Gaza, et malgré l’obtention de toutes les autorisations nécessaires des côtés palestinien, égyptien ou jordanien, je n’arrive pas à quitter Gaza ; je suis toujours bloqué, comme toute la population civile de cette prison sous blocus israélien, depuis plus de neuf ans.

Cette situation montre bien que nous sommes toujours occupés, et que l’armée israélienne domine et contrôle le ciel, les frontières et la mer de Gaza.

Les autorités israéliennes parlent souvent de « facilités » pour Gaza et pour ses habitants, mais dans les faits, ils interdisent la sortie des Gazaouis de leur prison à ciel ouvert.

Je tiens ici à saluer les efforts considérables du Consulat de France à Jérusalem. Je remercie aussi les collègues universitaires, en particulier mon ami et collègue Stéphane Valter de l’Université du Havre, qui, depuis trois années, insiste pour m’inviter dans son université ; et les associations qui, malgré les pertes financières lorsque les billets d’avion, réservés et achetés, ne sont pas utilisés puisque, au tout dernier moment, je ne peux pas sortir de ma prison, insistent cependant pour m’inviter. Car pour eux, inviter un professeur de Gaza représente un investissement en billets d’avion et en hébergement, et tout cela risque d’être perdu en cas d’annulation.

Les autorités israéliennes m’interdisent de voyager, mais j’essaye de garder le contact avec les collègues et les associations qui m’invitent, qui se montrent très attentifs à mon cas et au sort de tous les Palestiniens de Gaza, qui vivent cette situation épouvantable, qui dure et dure.

Quand je suis lauréat d’un prix littéraire, je charge un ami de recevoir la médaille et le diplôme et de lire mes poèmes ou mes mots, des mots qui traversent les frontières et s’élèvent au-dessus du blocus de la honte imposé par les forces de l’occupation israélienne sur plus de 1,9 millions de Palestiniens de Gaza, sous le regard d’un monde « libre » qui se tait.

Mes interventions dans les conférences et les colloques, je les fais via Skype ou visioconférence ; mais ce n’est pas toujours possible, du fait des problèmes techniques récurrents, comme les coupures d’électricité (actuellement, les foyers de Gaza  disposent de 4 à 6 heures d’électricité par jour). Sans compter les mauvaises connexions internet, souvent perturbées, qui sont le quotidien des universitaires de Gaza. La conséquence de tout cela, dramatique, c’est la rupture des contacts physiques et vivants avec les collègues, les universitaires et le monde associatif de l’extérieur. Et, parfois, de guerre lasse, les liens se dénouent… C’est ainsi que, peu à peu, l’occupant gagne sur nous.

Le voyage, pour moi, c’est très important. Même pour une ou deux semaines. Pas seulement pour souffler un peu et retrouver comme un air de liberté… Mais surtout parce que je suis convaincu de l’importance des contacts vivants et humains, et cela malgré les difficultés pour un Palestinien de Gaza de traverser les frontières et les passages, à l’aller comme au retour.

Voyager de Gaza signifie la fatigue, la souffrance dans les déplacements, les jours et les heures d’attentes devant les passages, les longues démarches à effectuer et les différentes autorisations à obtenir.

Pour moi, toutes mes rencontres à l’étranger sont intéressantes, même si, quand je m’éloigne de Gaza, ma prison me manque beaucoup, et ma ville natale ne s’absente pas de ma tête et de mes pensées, et je compte les jours et les heures pour retourner à Gaza. Cet éloignement de Gaza me cause beaucoup de peine et de chagrin, à moi, le grand voyageur ; même si je vais retrouver à nouveau l’isolement, l’enfermement, le blocus et les difficultés quotidiennes, car le plus important pour moi c’est de retourner dans ma prison pour continuer le combat via l’éducation, la culture et l’attachement à la terre, aux côtés de toute une population qui a choisi comme moi de rester sur place afin d’affronter la dure réalité de l’occupation, mais surtout afin de résister, d’exister.

À l’étranger, et en France en particulier, je reçois toujours un accueil très chaleureux, je suis très entouré et très soutenu par des amis, des solidaires, des personnes de bonne volonté.

Mais le sentiment qui m’habite, c’est qu’avec chaque voyage et projet de voyage, je suis plus que jamais attaché à ma ville, un attachement qui dépasse toutes les difficultés, toutes les souffrances et toutes les injustices subies par la population sous occupation israélienne.

J’existe au travers de ma résistance au quotidien dans cette ville enfermée, isolée.

Les trois forces qui m’aident à résister et à patienter dans ma prison sont :

Mon attachement à ma ville natale Gaza, je ne peux vivre en dehors de Gaza, c’est ici ma ville, c’est ici ma terre, je suis  comme le poisson qui ne peut pas vivre en dehors de l’eau.

Les jeunes, notamment les étudiants de français qui, malgré la situation actuelle dans cette région sous blocus, s’adaptent et gardent espoir pour l’avenir. Je sens que j’ai la responsabilité morale de rester aux côtés de cette jeunesse.

Enfin, les amis et les solidaires partout dans le monde. Je reçois des dizaines de messages chaque jour, via internet et les réseaux sociaux, de personnes formidables, messages de solidarité, de compassion, d’encouragements et de soutien, suite aux différents événements qui marquent Gaza ou après la publication de nos activités au département et à Gaza. Ce sont eux, ces amis et solidaires qui calment ma colère et ma frustration.

Ma frustration d’être toujours bloqué et cet enfermement que subissent les universitaires de Gaza sont encore plus durs à vivre si l’on compare la situation qui nous est imposée avec les conditions dont bénéficient les universitaires israéliens, qui ont toutes les facilités pour participer pleinement, dans leurs différentes disciplines, aux activités de la communauté scientifique internationale.

Mon cas, ce n’est rien en comparaison des malades qui risquent leur vie et des étudiants qui perdent leur bourse d’études parce qu’ils ne peuvent pas se rendre dans les universités prêtes à les accueillir ; même si ma sortie est importante pour rencontrer le maximum de personnes, témoigner sur la vie quotidienne sous blocus et aussi ramener des projets éducatifs et culturels pour les jeunes de Gaza.

Des personnes malades meurent tous les jours à Gaza, car elles ne peuvent être transférées rapidement dans les hôpitaux égyptiens ou israéliens, à cause de la fermeture des frontières. Elles souffrent du manque de médicaments et de beaucoup de matériel médical, à cause de ce blocus inhumain.

L’armée israélienne a détruit en 2001 le seul aéroport  international de Gaza, un aéroport construit avec l’argent de l’Europe qui n’a jamais condamné sa destruction, ni  demandé des comptes à cet État d’apartheid  qui continue chaque jour à démolir des constructions palestiniennes, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Il est très difficile d’imaginer qu’en 2016, il y ait toujours un peuple, tout un peuple enfermé, encerclé, interdit de sortir de son pays et occupé.

Quelle injustice !

C’est horrible, ce sentiment d’enfermement, pour les Gazaouis.

Oui, l’enfermement est un sentiment épouvantable, non seulement pour les jeunes et les universitaires qui ont besoin de ce contact avec leurs collègues de l’étranger, mais aussi pour toute une population qui a envie de respirer.

L’enfermement limite la réflexion et la création, il participe à l’absence de perspective pour l’avenir, notamment pour les jeunes de Gaza qui, en majorité, n’ont jamais quitté ce carré de terre.

Combien de temps ce non-respect des lois internationales sans indignation des gouvernements et organismes internationaux va-t-il durer ?

Malgré cet enfermement, les Gazaouis résistent, existent et persistent. Ils espèrent sortir de leur isolement, de leur cage, de leur prison et, grâce à  cette espérance, ils voient s’approcher la lumière de la liberté.

Je tiens à remercier de leur soutien tous les amis et solidaires, partout dans le monde, qui, chaque fois que je suis bloqué, m’envoient des centaines de messages de soutien. Je poursuivrai mon combat avec mes mots, ma poésie, mon travail et ma plume, pour la levée du blocus israélien, pour la liberté de la Palestine, et pour une paix durable qui passera avant tout par la justice.

Malgré l’impossibilité de sortir de Gaza, je suis convaincu que les idées et les paroles ont toujours des ailes pour circuler librement, et que les forces de l’occupation ne pourront plus m’enfermer ma population et moi pour longtemps encore.

En attendant une sortie, un voyage, une ouverture, il ne me reste qu’à attendre, patienter et espérer, dans Gaza la vie !

Car la vie à Gaza est une résistance !

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Ziad Medoukh

Directeur du Département de langue française à l'Université Al-Aqsa de Gaza (Territoires Autonomes Palestiniens)

2 Comments

  1. Isabel rahma Garcia on

    Je veux rendre ici, mon hommage au professeur de Français à l´Univertité de Gaza, Mr Ziad.
    J´ai une grande admiration pour lui, car malgré les humiliations, agressions, manque de liberté, violences, et une vie sans Paix, dans tous ces articles, écris, poésies, etc , le mot Paix est écrit avec des mots du cœur et on le trouve dans chaque ligne, chaque virgule, chaque point. Il se mélange entre ligne et ligne, des fois en silence et autres avec la ferveur d´un grand homme de PAIX. Ce mot, ce merveilleux mot que représente pour tous les palestiniens la vie sans servitude, l´évasion, la liberté et une vie digne, Mr Ziad l´écrit sans rancune et sans violence. Cet homme ou la Paix règne dans son cœur, cherche et demande le rêve de tout homme sur terre. VIVRE LA VIE LIBREMENT pour lui et tout son peuple. Mr. Ziad demande avec force la liberté de voyager librement. C´est bcp demander..??

  2. Cailbault pierrette on

    Pour avoir tenté de voyager en Cisjordanie et ainsi passé des moments anxiogènes interminables aux postes de contrôle armés, et avec un passeport français, rien de grave au fond, juste un immense sentiment d’injustice et humiliant, je suis impuissante et donc en rage. Pour avoir relié Bethléem à Ramalah en taxi par la route de très grand contournement 3h de route pour un périple qui laisse le temps de voir tous les espaces dénudés sécuritaires autour des nouvelles colonies espaceovores, j’ai approché modestement ce que la violence d’état armée veut dire et laisse de colère amère au coeur et à la conscience. Au pied du mur immense gris qui betonne tout horizon, en sachant qu’y rester trop longtemps peut attirer l’oeil d’une arme planquée dans le mirador jamais très éloigné, j’ai pleuré…. Pour moi il est là le vrai” mur des lamentations “….J’ai honte .. Des politiques de mon pays et de l’organisation occidentale à laquelle il est lié.. Qui détournent le regard et garde le silence ou protestent piteusement sans agir, alors qu’ils se sont précipités toutes affaires cessantes quand l’intérêt économique a guidé leur “priorité” politique. Oui l’espoir est aussi une forme de resistance et le seul soleil des prisons. Alors avec vous et de toute ma conviction j’espère…..

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