PALESTINE – Une cause perdue ?

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Alors que la Palestine commémorera dans moins d’un an les 70 ans de la Naqba [ndlr : l’exode palestinien de 1948], plusieurs mécanismes sont enrayés, de ce qui est nécessairement un processus long et à l’issue incertaine, dans des territoires palestiniens toujours occupés et en outre aux mains de leaders divisés.

L’actualité des territoires palestiniens, c’est la poursuite de la colonisation. En Cisjordanie, ce sont le mur et les colonies, les check-points, et les attaques répétées sur la population de la part des soldats et colons israéliens contre des civils ; dans la bande de Gaza, c’est un blocus israélien imposé depuis plus de dix ans à une population qui a subi trois offensives israéliennes incroyablement meurtrières en cinq ans. Et le sentiment qui domine dans les territoires palestiniens, c’est l’absence de perspective pour l’avenir, notamment avec l’échec désormais consommé du processus de paix, et le silence de plus en plus complet et complice de la communauté internationale, alors que la conjoncture régionale n’évolue pas en faveur des Palestiniens, oubliés aussi des États arabes, en particulier du fait des troubles consécutifs aux révolutions dans plusieurs pays du Moyen-Orient, de plus en plus marqués par l’instabilité et le mouvement permanent des pouvoirs, qui ne font plus depuis longtemps leur priorité de la cause palestinienne. Et l’arrivée de Trump à la Maison blanche vient ajouter un poids supplémentaire dans une balance déjà défavorable à l’indépendance de la Palestine.

Face à cette situation globale, des Palestiniens résistent encore, par des actions de formes différentes : négociations politiques, lutte armée et actions non-violentes. Mais ces différentes stratégies de résistance n’aboutissent à aucune réalisation concrète, sur le terrain, et elles déçoivent une population civile en attente d’une solution politique.

Le désaccord inter-palestinien

Pourquoi la transition politique vers un État palestinien démocratique n’a-t-elle pas réussi ?

Principalement parce que les acteurs politiques palestiniens s’opposent en promouvant trois projets incompatibles : un projet de négociations de paix avec les Israéliens, favorisé par le Fatah qui continue de s’accrocher à la perspective d’un aboutissement de pourparlers, projet lié à un processus de paix qui réclame le respect des engagements par toutes les parties. Un projet qui, tout au contraire du premier, considère la résistance armée comme seule manière de mettre fin à l’occupation, favorisé quant à lui par le Hamas, la seconde formation politique palestinienne majeure (un projet parfois ambigu, souvent jalonné par une trêve non affichée avec l’armée israélienne). Et un projet qui a émané de la société civile, d’ONG et de comités populaires, qui revendiquent une résistance citoyenne et non-violente, principalement en Cisjordanie, et optent pour des actions pacifiques, symboliques… auxquelles Israël (voire même la communauté internationale) ne prête aucune attention et qui sont sans conséquence pour l’occupant (le problème est aussi qu’il n’y a aucune coordination entre les différents comités qui s’activent chacun de leur côté et se disputent parfois, et ces actions ne sont pas non plus permanentes -elles se produisent seulement quand l’armée israélienne évacue des maisons ou détruit un quartier ou des villages- ; et elles n’ont aucun soutien officiel de l’Autorité palestinienne, ni d’ailleurs de la majorité de la population qui les sait inefficaces).

Trois attitudes qui se court-circuitent et auxquelles une partie de la population, désillusionnée, a réagi depuis octobre 2015 par un mouvement de révolte incontrôlé, un soulèvement populaire qui s’est répandu en Cisjordanie et dont le bilan est déjà lourd : 300 morts et 7.000 blessés, passés sous silence par les deux principales factions qui se disputent le pouvoir. Un soulèvement désespéré qui s’essouffle, livré à lui-même et sans soutien de la part des leaders palestiniens eux-mêmes.

Ainsi, les divisions et intriguent qui ont fracturé la résistance palestinienne rend aujourd’hui presque impossible la réapparition d’un grand mouvement populaire de masse, d’une nouvelle Intifada, dont les leaders ne sont plus en mesure d’assurer le développement sur le long terme.

Plus de vingt-quatre ans après les accords d’Oslo (1993), la création d’un État palestinien coexistant avec Israël n’a jamais semblé aussi illusoire – seule une partie de la Cisjordanie est sous le contrôle exclusif des Palestiniens – alors que le bilan humain demeure catastrophique et ne cesse de s’alourdir : la moitié de la population palestinienne vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage avoisine les 45 % et les ressources en eau sont de plus en plus restreintes. Sans compter la liste des morts, qui s’allonge chaque année davantage, presque quotidiennement, sans que ne réagisse la communauté internationale, comme si elle s’était habituée à l’écrasement des Palestiniens qui serait devenu « normatif » ; et ainsi n’a-t-elle pas réagi en juillet et août 2014, alors que l’armée israélienne a bombardé cinquante jours durant les agglomérations très densément peuplées de la bande de Gaza. Bilan : plus de 2.200 morts civils.

Ainsi, en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne a dénoncé les affrontements entre soldats israéliens et jeunes palestiniens ; braquée comme depuis des décennies sur l’idée de négociations qui n’ont abouti qu’à l’extension permanente des colonies israéliennes sur des territoires palestiniens, elle ne veut pas d’une militarisation du conflit, d’une Intifada, encore convaincue –s’il faut en croire les leaders- qu’il faut donner une chance de plus aux négociations.

Dans la bande de Gaza, en revanche, le Hamas qui contrôle ce petit territoire depuis 2007, reste favorable à l’action militaire. Mais, depuis le coup d’État militaire qui a renversé la démocratie à peine née, en Égypte, les milices palestiniennes observent, impuissantes, le général al-Sissi s’accorder avec Israël. Elles ne sont plus ravitaillées par le Sinaï, ne peuvent plus utiliser leurs missiles contre les villes israéliennes voisines : les tensions avec le pouvoir militaire égyptien, la fermeture du passage de Rafah et la destruction des tunnels qui reliaient la bande de Gaza à l’Égypte grèvent sérieusement leur potentiel ; et leur crainte, dès lors, de compliquer inutilement la situation d’une population déjà en crise et sous pression, en donnant à l’armée israélienne l’occasion de frapper à nouveau, les paralyse également.

La Palestine, une cause perdue ?

Cet état de division et de fragmentation, la rivalité de deux gouvernements qui se haïssent, l’un à Gaza et l’autre à Ramallah, les trois projets de résistance évoqués empêchent le soulèvement d’une lame de fond palestinienne, d’une troisième Intifada. Même si la situation devient de plus en plus critique et si la jeunesse se radicalise.

La question est simple : qui assurerait la mobilisation et l’organisation d’une nouvelle révolte palestinienne ?

Lors des deux premières Intifada, la première en 1987 (non-violente) et la deuxième en 2000, militarisée celle-là, il n’y avait qu’un seul mot d’ordre, respecté par tous les partis politiques et toutes les tendances qui agissaient sur le terrain ; il y avait aussi un Conseil suprême qui gérait et structurait toutes les actions proposées, lesquelles étaient ensuite mises en œuvre et acceptées par tous.

Aussi, comme l’écrivait le politologue Richard Falk en 2016 déjà, « il y a beaucoup de raisons de considérer la lutte palestinienne pour l’autodétermination comme une cause perdue. Israël exerce un contrôle militaire sur le peuple palestinien, une réalité politique accentuée périodiquement par des attaques brutales contre Gaza qui occasionnent des pertes civiles massives.

La résistance armée palestinienne organisée a presque totalement disparu, ce qui limite la violence anti-israélienne au désespoir d’individus palestiniens qui agissent d’eux-mêmes et courent vers une mort presque certaine en attaquant au hasard avec de simples couteaux des Israéliens qu’ils croisent dans la rue, en particulier des soldats et ceux qu’ils pensent être des colons.

Israël subit de moins en moins de pressions pour afficher en public une réceptivité à l’idée de négocier une paix aboutissant à la création d’un État palestinien indépendant. Les turbulences régionales au Moyen-Orient sont également utiles à Israël en ce qu’elles détournent l’attention mondiale vers le groupe État islamique, la Syrie et les vagues de migrants qui menacent la cohésion de l’Union européenne. Cette situation donne à Israël un laissez-passer et rend les revendications palestiniennes à peine visibles sur les écrans radar de l’opinion publique. »

Même si le cas palestinien est particulier de par la présence de l’occupation et de la colonisation, qui obligent les Palestiniens dans leur lutte et leurs revendications à un recours à plusieurs formes de résistance et de combat, y compris la lutte armée, nombreux sont les exemples qui montrent que la violence domine dans presque tous les pays de la région, et que la lutte armée est mise en œuvre, dans les révolutions et dans les mouvements et groupes d’opposition aux dictatures notamment.

La violence, une fatalité…

Dans le cas de la Palestine, la non-violence et l’esprit de Gandhi resteront un slogan sans conséquence sur le terrain.

Les attentats et le recours aux armes par des groupes ou des révolutionnaires dans les pays voisins, en Syrie et en Irak, en Libye, au Yémen, montrent que la violence n’a amené que la destruction, la radicalisation de toute une société, mais surtout la montée de groupes extrémistes.

Mais les mouvements civils ont quant à eux été écrasés par un pouvoir militaire sanglant, comme en Égypte ; ces mouvements sont donc obligés de recourir aux armes pour faire entendre leur voix.

Ainsi, le grand drame de la Palestine, c’est que, le processus de paix étant complètement anéanti par l’absence de volonté israélienne de le mener à un juste terme, les factions palestiniennes seront obligées de recourir à une violence inutile contre une occupation capable militairement (et sans craindre l’intervention de la communauté internationale) d’une riposte sanglante comme l’ont montré les trois dernières offensives israéliennes contre la bande de Gaza et les mesures de rétorsion israéliennes contre le soulèvement populaire en cours en Cisjordanie.

Mais c’est aussi le risque, peut-être plus dramatique encore, que cette violence palestinienne se retourne contre les Palestiniens eux-mêmes, comme c’est le cas dans la bande de Gaza, sous domination du Hamas et de ses organes de sécurité, et en Cisjordanie, où les forces de l’ordre de l’Autorité palestinienne répriment régulièrement les manifestants, les droits de l’Homme étant bafoués par les deux pouvoirs, presque militaires.

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L’avenir de la Palestine est aujourd’hui presque scellé, et le rêve d’un État palestinien semble abandonné par tous, parce que l’occupant israélien a pour lui la force armée, immensément supérieure à toute forme de résistance armée que pourrait développer le peuple palestinien, mais aussi à cause de la querelle apparemment sans issue qui oppose les deux mouvements historiques agissant pour la libération de la Palestine.

Le tout petit espoir qui demeure est ténu ; il tient à une question : Israël pourra-t-il éternellement maintenir un statu quo qui consiste à écraser sous les bottes une population en perpétuelle révolte ?

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Ziad Medoukh

Directeur du Département de langue française à l'Université Al-Aqsa de Gaza (Territoires Autonomes Palestiniens)

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