ARAB WORLD MAPS – Democracy in Maghreb and Middle-East

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Cinq ans révolus ont succédé à l’année 2011 qui allait, selon maints observateurs, radicalement transfigurer le Monde arabe. Cinq années qui donnent le recul nécessaire pour tirer les conséquences du « Printemps arabe », tandis que se précisent les orientations choisies par certains États et subies par d’autres.

Dans un contexte de progressive stabilisation et de meilleure lisibilité des conjonctures géopolitiques qui prévalent désormais, les experts du Courrier du Maghreb et de l’Orient se sont attelés à la tâche ardue de produire un classement raisonné des régimes en vigueur dans le Monde arabo-musulman, élargi à plusieurs États périphériques dont l’histoire et la dynamique interagissent avec leurs voisins arabes.

Ce classement original, établi en totale indépendance, répertorie les États concernés en quatre catégories : les démocraties, les démocraties partielles, les dictatures et les États faillis.

Il est bien certain que des nuances doivent être précisées à l’intérieur de chacune de ces catégories.

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AFGHANISTAN : si l’insécurité récurrente que les Talibans font persister dans le pays entrave régulièrement les processus démocratiques –et notamment lorsque doivent être organisées des élections-, l’Afghanistan a néanmoins réussi à adopter des institutions représentatives à l’échelle nationale, démentant l’argumentaire qui déclarait la prégnance du tribalisme dans la région incompatible avec la démocratie. Toutefois, le récent bras de fer qui a opposé les deux candidats dominants à la présidence de la république et se poursuit aujourd’hui par le biais d’un accord non prévu par la constitution démontre que plusieurs facteurs, dont les intérêts claniques ne sont pas des moindres, doivent encore être surmontés dans l’avenir – Afghanistan, une démocratie “hors-sol”

ALGÉRIE : en dépit d’une corruption endémique et de la crise politique liée à l’essor de l’islamisme salafiste dans les années 1990’ et pas tout à fait résolue encore, l’Algérie a su promouvoir un régime démocratique représentatif satisfaisant qui se caractérise par un pluripartisme et une opposition active au pouvoir en place, une presse libre et l’exercice avéré de la liberté d’expression. Toutefois, l’ampleur de la corruption au sein de l’État et la monopolisation du pouvoir par une classe politique issue du parti dominant grève partiellement la pratique démocratique – De la démocratie en Algérie et partout

ARABIE SAOUDITE (et les Monarchies du Golfe) : malgré quelques avancées démocratiques formelles et cosmétiques, les régimes du Golfe, dans les faits, n’ont pas mis en pratique la séparation des pouvoirs ; les familles régnantes continuent d’exercer un pouvoir totalitaire et opaque, et les Droits de l’Homme n’y sont que rarement pris en considération – L’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, entre théocratie et anachronismes

ÉGYPTE : le coup d’État militaire de juillet 2013 et le renversement du premier président civil et démocratiquement élu, Mohamed Morsi, ont porté au pouvoir une junte militaire représentée par le maréchal-président Fatah al-Sissi, laquelle a placé la société sous une chape de plomb comme le pays n’en avait jamais connue encore ; disparitions forcées, pratique régulière de la torture, exécutions sommaires constituent en Égypte le nouveau système de gouvernement – Égypte: Al-Sissi ou la démocratie à l’égyptienne

IRAK : sous la dictature de Saddam Hussein, l’Irak n’était pas libre, mais l’État était prospère, uni et indépendant. Toutefois, la majorité chiite était gouvernée par une minorité sunnite. Après l’invasion états-unienne de 2003, la revanche chiite a connu des proportions qui ont préparé le terrain à l’émergence d’organisation sunnites radicales telles que l’État islamique. Les conséquences sont désormais irréversibles : l’Irak est divisé entre ses communautés devenues très hostiles, principalement entre les Chiites, les Sunnites et les Kurdes. Par ailleurs, les ingérences saoudienne et iranienne ne font qu’élargir des lignes de fractures qui font de l’Irak un État « cassé » – Iraq, the broken state

IRAN : l’image médiatique du président Hassan Rohani, élu en juin 2016, a trompé la plupart des observateurs qui ont vu dans son accession au pouvoir (à la suite de l’intransigeant Mahmoud Ahmadinejad) couplée aux accords sur le nucléaire iranien la promesse d’une ouverture démocratique de grande ampleur. Cependant, paradoxe apparent, l’ouverture économique du pays a provoqué un raidissement des autorités de la république islamique et une aggravation des violations des Droits de l’Homme et des libertés individuelles dans cette démocratie représentative grevée par le rôle de décideur ultime que la constitution octroie au Guide suprême – Hasan Rohani: les désillusions d’une “ouverture” – Iran, “ouverture” en trompe-l’oeil

ISRAËL : souvent présenté comme « la seule démocratie viable du Proche-Orient », l’État d’Israël a cependant mis en place divers biais qui privent de leurs droits la fraction palestinienne de ses citoyens ; on peut donc considérer qu’il s’agit d’une démocratie dans sa dimension juive seulement, d’un « État juif démocratique » – Israël, le mythe d’une démocratie au Proche-Orient

JORDANIE : si la famille royale conserve un ascendant certain sur la société et une influence partielle sur le parlement, le royaume hachémite a connu depuis les années 1990’ une série de réformes qui font de la Jordanie la seule monarchie arabe proche du concept de démocratie effective – Democratic transition in Jordan

LIBAN : depuis la fin de la guerre civile, la société libanaise, multiethnique et multiconfessionnelle, a réussi à surmonter ses divisions et à développer un système de gouvernement et de représentativité législative certes complexe, mais efficace et qui, n’était la corruption de la classe politique, a permis à la fois d’éviter de nouveaux conflits armés intérieurs, d’imposer le respect des Droits de l’Homme et de promouvoir des élections libres et régulières. Consensus Democracy: the Lebanese model

LIBYE : les conflits claniques, tribaux et ethniques qui ont suivi la disparition du régime du colonel Mouammar Kadhafi et le développement de divers courants islamistes, puis la guerre civile, qui oppose dorénavant deux gouvernements et deux régions, la Cyrénaïque et la Tripolitaine, ont plongé la Libye dans un chaos inextricable dont il est difficile d’espérer la réémergence, un jour, d’un État national viable. Libya: a failed state and no way to return to stability

MAROC : il semble que les années de plomb du règne d’Hassan II soient dépassées et que le roi Mohamed VI se soit résigné à faire entrer son pays dans la modernité ; en outre, une opposition politique active s’est développée, qui contrebalance le poids du système d’État lié au monarque, le « Makhzen ». Toutefois, si le Maroc est souvent cité comme « un bon élève » reconnu comme tel par ses partenaires économiques européens, les avancées législatives en matière de démocratie demeurent parfois lettres mortes, non réellement mises en œuvre. Enfin, la pratique de la torture reste courante dans les prisons du royaume. Maroc – Entretien avec Souleiman Bencheikh: “C’est quand même mieux ici qu’en Turquie”

OMAN : cet étrange État qui fait exception en Péninsule arabique mérite une attention particulière ; le monarque y est toujours l’autorité incontestée, mais l’actuel sultan, Qabous Ibn Saïd, a instauré une démocratie consultative de facto en suivant généralement les avis de la « shoura », l’organe représentatif du peuple. Oman: A consultative democracy

PALESTINE : les institutions de l’Autorité palestinienne sont incontestablement démocratiques ; toutefois, les rivalités qui opposent le Hamas et le Fatah en ont suspendu les effets. Palestine: la démocratie entre divisions et occupation

SYRIE : depuis l’accession du parti Baath au pouvoir, en 1963, la Syrie vit sous la férule d’une dictature sans concession qui a érigé les prisons et la torture en système de gouvernement d’une population ainsi maintenue dans l’obéissance à l’oligarchie économico-politique qui domine le pays. La révolution qui a commencé en mars 2011 à la faveur du « Printemps arabe » a progressivement mobilisé une large majorité de la population syrienne. Toutefois, sans aucune aide extérieure, l’insurrection, incarnée par l’Armée syrienne libre, a rapidement échoué tant à renverser le pouvoir en place qu’à faire barrage à l’islamisme galopant qui s’est développé en Syrie, mettant à profit le chaos révolutionnaire et l’appui financier massif reçu de plusieurs États du Golfe. La victoire du régime de Bashar al-Assad, soutenu par la puissance militaire russe, à la fois sur les rebelles syriens et sur l’État islamique augure d’une continuité de la dictature baathiste – Syrie, l’occasion manquée…

TUNISIE : seul pays du « Printemps arabe » qui a réussi à mener à son terme une révolution pour le changement social et politique, la Tunisie poursuit sa transition vers la démocratie. La menace d’une mainmise islamiste sur les institutions qui s’était profilée immédiatement après le départ du dictateur Ben Ali semble aujourd’hui écartée par la coalition partisane Nidâa Tounes qui, bien que fragile, a rassemblé les forces laïques de la société civile. Toutefois, ce parti a aussi permis aux anciens caciques de la dictature de revenir aux affaires et, par ailleurs, la corruption dévorante et les difficultés économiques importantes auxquelles le pays est confronté couvent une crise sociale aiguë dont les conséquences sont à ce stade imprévisibles – Tunisie: démocratie… « Dégage ! » – Tunisie: la démocratie était-elle si belle sous la dictature ? – Tunisie: consensus sur la scène politique

TURQUIE : l’AKP, le parti islamiste dirigé par Recep Tayyip Erdoğan, répète le scénario déjà joué à maintes reprises depuis l’instauration de la république par Mustafa Kemal. Comme précédemment, les islamistes, qui ont sans cesse refondé leur mouvement sous de nouvelles étiquettes, se sont lancés à la conquête du pouvoir, promouvant peu à peu les principes religieux au sein de la société et de l’État, au détriment des libertés individuelles. Comme à chaque fois que les limites apparaissaient dépassées, l’armée est intervenue pour dissoudre le parti islamiste au pouvoir et rétablir les principes démocratiques et laïcs du kémalisme. Cette fois, cependant, le coup d’État militaire a échoué, le 15 juillet 2016. Pour la première fois dans l’histoire de la Turquie moderne, le mouvement islamiste poursuit donc son ascension à la tête de toutes les institutions de l’État – Turkey: Dictatorial Democracy or Democratic Dictatorship (En-Türk) – Turquie: au pays des coups d’État…

YÉMEN : après la guerre des chefs qui a mis fin à la dictature d’Ali Abdallah Saleh, le Yémen a connu une année de stabilité sous le gouvernement d’un nouvel homme fort, Abd Rabbo Mansour Hadi, présenté (à tort) comme le premier président démocratiquement élu ; mais la géopolitique a rattrapé le pays qui sombre depuis lors dans une guerre totale opposant les rebelles Houthis, les différentes factions qui combattent pour le pouvoir, dont celle de Saleh désireux de revenir dans la course, les séparatistes du sud et la puissante présence d’al-Qaeda qui contrôle tout l’est du Yémen, le tout sur fond de rivalité irano-saoudienne. Yemen: more troubles ahead for a failed state

Commentaires par PPdP

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Emmanuel Pène

Cartographer, Historian and Economist, Founder of the website agathocledesyracuse.com Director of Consulting Services

3 Comments

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  2. liberté d’expression ou démocratie ? vous avez le droit de crier mais la caravane passe et les chiens aboient. l’injustice en Tunisie maintenant est a son apogée. si vous dérangez trop on vous accuse de terrorisme ou de diffamation. les vendu, les escrocs et les corrompus sont a la tête du pays et vous dites que c’est un pays démocrates. maintenant on regrette la période du dictateur Ben Ali au moins le pays était plus prospère et on avait un brin de justice.

  3. La Tunisie passe maintenant une période difficile, c’est une perturbation qui suit la chute de dictature, je ne sais pas si les passages dans les autres pays à la démocratie étaient la même ou non, mais en Tunisie il y’a quand même une liberté d’expression, une société civile actif et surtout un début de conscience pour lutter contre la corruption et l’escroquerie.

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